Cette semaine, Robert Faurisson passait en procès pour ses déclarations négationnistes à propos de la Shoah dans le film "Un homme", hagiographie réalisée par Paul-Eric Blanrue et diffusée initialement par Marc Georges (voir plus bas à propos de ces personnages), sur le site d'extrême-droite "Medialibre", il y a déjà quatre ans.
Le film est accessible en deux clics puisqu'il est disponible sur YouTube. Si l'on cherche à s'informer sur le procès en tapant "Faurisson" dans Google Actus, on tombera immédiatement, outre la référence au compte-rendu d'audience publié par le Monde, sur le même site Medialibre, référencé comme "actualité" par Google, et sur le site de "publication libre" Agora Vox, qui relaie un article antisémite sur le sujet.
Aussi bien, beaucoup d'intellectuels méconnus, de chercheurs sérieux et ignorés du grand public aimeraient-ils souffrir de la même "censure" et des mêmes "persécutions" que le néo-nazi Faurisson et ses soutiens.
Faurisson passe certes en procès mais ceux-ci ne servent pas à grand-chose. Non seulement parce qu'ils sont menés en proportion une fois sur cent propos négationnistes et parce qu'ils se tiennent quatre ans après les faits. Mais aussi parce qu'ils semblent souvent traités par les procureurs et les juges comme une affaire de "routine". Ainsi à propos d'"Un homme", le procureur a-t-il uniquement requis six mois de prison avec sursis ( le "blogueur néo-nazi" Boris Le Lay à l'audience pourtant bien plus faible vient d'être condamné à 6 mois de prison ferme). La première condamnation de Faurisson à de la prison avec sursis remonte à 1981, pour des propos tenus sur Europe1. Sa dernière condamnation date du 3 octobre 2006. Robert Faurisson n'a jamais été incarcéré, ses sursis n'ont jamais été révoqués, alors même que l'ensemble de son activité consiste à récidiver en réitérant les mêmes propos, à la ligne près, sans interruption, par ses écrits, ses vidéos et ses enregistrements audio.
Quant aux amendes, nul ne sait, à part le Trésor Public, si Faurisson les paie, ou si comme son grand complice et ami Dieudonné il s'en abstient pendant des années sans encombres. Quand bien même il les paierait, ce serait avec sa retraite de l'Enseignement Supérieur. Robert Faurisson non seulement n' a jamais été révoqué de l’Éducation nationale, mais de plus, il a pu exercer le métier de propagandiste néo-nazi et négationniste à plein temps. Son salaire de détaché, à sa demande, au Centre national de télé-enseignement, ne comportait aucune activité effective d'enseignement. En 1980, il a aussi bénéficié d'une mesure collective de reclassement qui lui donne le grade de professeur.
On pourrait se consoler en se disant que les très rares procès qui lui sont intentés permettent au moins de combattre ses idées. Il suffit de lire l'article du Monde consacré au dernier en date, pour voir que ce n'est pas le cas. L'article comporte sept paragraphes dont trois sont consacrés à la reprise sans commentaire des propos négationnistes du militant d'extrême-droite. Un paragraphe décrit la plaidoirie de sa défense. Sur les trois restants, deux sont une présentation factuelle de l'audience, et un seul décrit les réquisitions du procureur. La majorité de l'article est donc la reprise des propos que le négationniste souhaite voir diffusés à la plus grande échelle possible. Le Monde a jugé cela plus pertinent que d'interroger des historiens du négationnisme ou des victimes des mensonges de Faurisson, survivantEs du génocide. Ce faisant, non seulement le journal reproduit des propos négationnistes, mais il donne même l'occasion à Faurisson de poser en travailleur acharné et prolixe, puisque sont retranscrits ses propos sur les innombrables "volumes" qu'il aurait écrit.
Or comme l'explique très bien l'historienne Valérie Igounet dans son excellente biographie du négationniste, les écrits de celui-ci sont la sempiternelle reprise des mêmes élucubrations, des redites perpétuelles, la répétition en boucle de quelques pseudo-arguments. Il n'y a jamais eu d'"ouvrage définitif" pourtant annoncé par Faurisson depuis vingt ans. On est confronté à une succession d'articles qui renvoient à des articles exactement semblables. Et il suffit d'aller voir son blog, puisqu'il est accessible, pour constater que beaucoup d'entre eux ne sont que de longues tartines à peine lisibles consacrées aux prétendus "complot" contre Faurisson, à des charges interminables contre les combattants anti-négationnisme. Charges dont le niveau peut se mesurer à l'une de ses dernières republications d'un "article" contre Valérie Ignounet: Faurisson ne trouve pas mieux que de répéter plusieurs fois, très fier de cette trouvaille, qu'il la surnomme , comme son acolyte Paul-Eric Blanrue, " Zigounette".
Voilà le niveau des "volumes" faurissoniens, dont Le Monde se fait complaisamment l'écho. De plus le journal omet très étrangement de citer Paul-Eric Blanrue, réalisateur du documentaire incriminé, tout comme son diffuseur Marc George, ancien du FN et fondateur d’Égalité et Réconciliation avec Alain Soral. Pourquoi cette anonymisation des kamarades de Faurisson ? Il y a certes des pays européens où les médias font le choix de ne citer aucun nom lorsqu'ils évoquent les condamnations pour négationnisme, afin de ne pas faire de publicité à ces néo-nazis mais ce n'est certes pas le cas du Monde. Celui-ci fut en effet le principal responsable de la médiatisation de Faurisson dans la presse en publiant le 29 décembre 1978 sa tribune intitulée : « Le problème des chambres à gaz ou la rumeur d'Auschwitz ». Le quotidien y est revenu sous forme d'autocritique en mai 2014 , sous une forme anecdotique et superficielle, mais continue aujourd'hui à lui offrir des citations in extenso de sa propagande.
Cette anonymisation partielle , visant les co-inculpés du procès, Blanrue et Marc George, a au moins une conséquence délétère: elle efface l'existence d'une mouvance négationniste inter-générationnelle, en ne laissant entrevoir que l'image d'un homme de 86 ans, dont on peut ainsi penser qu'il appartient au passé. Citer Marc George, c'est rappeler le réel des liens entre le Front National et les négationnistes, qui passent d'ailleurs aussi par Frédéric Chatillon, proche de Marine Le Pen et dont les photos avec Faurisson sont trouvables en un clic ( voir notamment l'illustration de cet article). Citer Blanrue, c'est citer non pas un obscur et inconnu néo-nazi, mais un militant d'extrême-droite de toujours, antisémite acharné, qui n'en fut pas moins journaliste à Historia et même ailleurs. En 2013, soit deux ans après la diffusion de son film sur Faurisson, il écrivait encore pour Le Point. Et citer Blanrue, c'est aussi citer un "essayiste" dont la bouillie antisémite fut parfois défendue comme ouvrage à lire, jusque dans les colonnes d'un blog de journaliste du Monde Diplomatique, comme ce fut le cas pour "Sarkozy, Israël et les Juifs", lorsque Blanrue avait inventé une prétendue censure de l'ouvrage.
Les conditions et le contexte du procès de Faurisson et de ses acolytes démontrent donc une nouvelle fois l'inanité dangereuse des débats innombrables, malheureusement tenus aussi dans le camp progressiste, sur le combat contre le négationnisme. Depuis des années, la seule question posée est celle des "limites à la liberté d'expression en général" qui auraient été amenées par les lois de lutte contre le négationnisme. Or le négationnisme s'exprime en réalité en toute liberté, et pire, les rares séquences judiciaires, bien loin de mettre un frein à cette expression sont, en raison de l'incurie médiatique ( voire de la complaisance ), une occasion de diffuser un peu plus de propagande.
La seule question d'actualité est donc évidemment celle-ci: quand se décidera-t-on à réprimer le négationnisme ?