Dossier :
l'Etat belge reconnaît sa responsabilité dans la déportation des Juifs.
Nous mettons en ligne plusieurs documents
1) Le lien pour lire le rapport dans son intégralité ainsi qu'un lien vers un site d'informations et de débats sur l'extrême-droite en Belgique
2)Article du Monde sur ce sujet
3) Articles sur des écrivains belges célèbres...et antisémites: Simenon et Hergé
4) Un document de Memorial 98 analysant l'antisémitisme en Europe, publié en 2002 et toujours d'actualité.
Memorial98
1)pour lire le rapport :
http://www.cegesoma.be/index_fr.htm
le site www.cegesoma.be
pour d'autres informations belges
Résistances Observatoire de l'extrême-droite
http://www.resistances.be/
Memorial98
2 Article du correspondant du Monde
Un rapport établit le rôle de l'Etat belge dans la déportation des juifs
LE MONDE | 15.02.07 |
BRUXELLES CORRESPONDANT
La Belgique a longtemps estimé qu'elle ne portait aucune part de responsabilité dans la persécution et la déportation de juifs pendant la seconde guerre mondiale. Une étude menée, pendant trois ans, par un groupe d'historiens mandatés par le Sénat belge et publiée, mercredi 13 février, démontre, au contraire, que l'administration, la justice et la police ont apporté "une collaboration indigne d'une démocratie à une politique désastreuse pour la population juive, belge comme étrangère".
En mai 1940, la Belgique est envahie par les troupes allemandes. Le roi Léopold III choisit de rester dans le pays alors que ses ministres, d'abord réfugiés en France, vont constituer, à Londres, un gouvernement en exil. Les secrétaires généraux, qui dirigent les divers départements de l'administration, vont désormais assurer la gestion de l'Etat. Ils feront rapidement le choix d'une "collaboration administrative maximale", explique le document de 1 100 pages, élaboré par le Centre d'études et de documentation guerre et sociétés contemporaines (Ceges). Car ces hauts fonctionnaires, souvent acquis aux idées de l'Ordre nouveau, doutent de l'avenir de la démocratie libérale et ont la conviction que l'Allemagne nazie finira par triompher.
L'occupant va, en outre, introduire rapidement ses hommes, des collaborateurs du Vlaams Nationaal Verbond flamand et du parti francophone Rex de Léon Degrelle, dans la haute administration. A l'époque, écrit le Ceges, une grande partie de l'establishment est contaminée par un "antisémitisme latent", qui est aussi le fait de la maison royale, de l'Eglise catholique et de milieux conservateurs rêvant de voir s'instaurer un régime autoritaire et corporatiste appuyé par le roi. "Une variante belge du régime de Vichy", écrit le rapport.
Tout cela conduit, au lendemain de l'invasion, à l'arrestation de 16 000 juifs. 7 500 seront déportés vers les camps français et, au total, 5 835 juifs de Belgique seront finalement emmenés vers Auschwitz, où ils seront quasiment tous exterminés.
A partir d'octobre-novembre 1940, la population juive va être recensée par les administrations locales, qui acceptent de déterminer qui est juif et qui ne l'est pas. Ce "choix délibéré" de céder aux Allemands est dicté par le fait qu'il est essentiellement question d'étrangers : 5 % seulement des juifs du pays possèdent la nationalité belge. Par ailleurs, médecins, fonctionnaires, enseignants, magistrats et journalistes juifs sont mis à pied. Le "contenu juif" des matériels scolaires est extirpé, sur ordre du ministère de l'éducation.
En 1941, le secrétaire général du ministère de l'intérieur, collaborateur, ordonne d'opposer la mention "juif" sur les cartes d'identité. En 1942 va débuter la politique de déportation en vue du travail forcé, avec l'appui de l'Office belge du travail. Début 1942, 2 200 travailleurs juifs sont envoyés en France pour participer à la construction du mur de l'Atlantique. Parallèlement, des déportations vers Auschwitz vont démarrer.
Si, à Bruxelles, les autorités refusent, dès ce moment, de faire distribuer l'étoile jaune et de prêter leurs policiers pour des rafles, la police d'Anvers fait du zèle : elle arrête un jour, sans ordre des autorités allemandes, 1 243 juifs qu'elle va leur remettre. Un revirement notable des diverses autorités ne s'opérera qu'à partir de la fin de 1942 et l'instauration du travail obligatoire en Allemagne. Après la guerre, note le Ceges, les questions sur les raisons de "docilité" de l'Etat belge seront toutes écartées.
Il aura fallu attendre plus de soixante ans pour que les choses changent. Après la publication du rapport, les représentants de la communauté juive, "sous le choc", ont évoqué un acte "courageux" des autorités publiques actuelles. Le premier ministre Guy Verhofstadt, qui fut le premier chef de gouvernement à admettre, il y a cinq ans, que les autorités belges avaient collaboré et avait présenté ses excuses au peuple juif, plaide désormais pour que ce chapitre de l'histoire du pays soit intégré dans les manuels scolaires.
Jean-Pierre Stroobants
Article paru dans l'édition du 16.02.07.
3) Simenon et Hergé
SIMENON, L'ANTISEMITE
Georges Simenon est assurément un grand écrivain. C’est aussi un grand antisémite. Dans le concert de louanges qui célèbrent le centenaire de la naissance du grand homme, le livre de Jacques-Charles Lemaître, Simenon, jeune journaliste (Editions Complexe) vient le rappeler fort à propos.
Entre janvier 1919 et décembre 1922, le jeune Simenon sort à peine de l’adolescence qu’il joue déjà les Rouletabille dans la Gazette de Liège, le grand quotidien catholique et conservateur de la ville au Perron. Sa plume est alerte, incisive et son sens de l’observation fait déjà merveille quant il épingle les figures des conseils communaux, rend compte des conférences ou des manifestations culturelles de la ville et retranscrit les dépêches des grandes agences. Soutenu par son mentor, Joseph Demarteau III, qui lui sauve plusieurs fois la mise quand ses articles font scandale dans le Landerneau liégeois, le jeune journaliste prend rapidement de l’assurance et passe de grouillot de la rubrique des chiens écrasés au statut de reporter, un rôle dans lequel il se montre être rapidement un pamphlétaire féroce et apprécié.
Gorges Simenon: Un antisémitisme « virulent et intégral »
Tour à tour antisocialiste, anticommuniste et anti-maçonnique, il est aussi antisémite. Sa prose est une prose de combat mise au service d’une presse nationaliste et réactionnaire. Mais c’est surtout dans l’antisémitisme que l’indéniable précocité de son génie trouvera à s’ébrouer avec le plus de volupté. Dans une série de quinze articles parus entre le 19 juin 1921 au 13 octobre de la même année, intitulés « Le Péril Juif », il démarque le fameux faux tsariste Les Protocoles des Sages de Sion pour égrener dans un feuilleton où le ton est à la fois docte et haineux (il puise si l’on peut dire, aux meilleures sources de l’antisémitisme de son époque), un concentré efficace et dévastateur de propagande antijuive. Dans une analyse où ni les Juifs, ni les Protestants ne sont épargnés, sans parler des Francs-Maçons, il dénonce la mainmise de la finance juive sur le monde, citant le « banquier juif anglais » Ricardo et le « Juif allemand » Karl Marx comme les inspirateurs d’une conception « mystico-judéo-économique », d’une « internationale de l’Or et du Sang », résultat de l’alliance entre la finance puritaine protestante et le socialisme.
Inspiré par les Protocoles des Sages de Sion
Depuis le brillant travail de Pierre-André Taguieff sur les origines des Protocoles des Sages de Sion (paru chez Berg International), on sait que ce document a joué un rôle majeur dans la justification de l’antisémitisme à partir des années ’20 où ce faux est publié en France par Grasset et largement popularisé aux Etats-Unis par Henry Ford. Les Protocoles(que Simenon orthographie Protocols, à la manière anglaise) sont « lancés » par un grand article publié dans le Times de Londres le 8 mai 1920. Un an plus tard, en août 1921, le même journal publie un article apportant « la preuve du faux », établissant que le texte des Protocoles était un plagiat d’un livre anti-bonapartiste publié à Bruxelles par l’avocat Maurice Joly en 1867 et qui voulait montrer comment Louis-Napoléon Bonaparte complotait pour s’emparer de la France. L’article montre assez simplement que le mot « France » avait été remplacé par le mot « monde » dans de longs passages de l’ouvrage. Mais le mal est fait. Le jeune Sim, comme bien d’autres, s’empare du document pour élaborer sa série d’articles. Faisant cela, il rejoint un certain… Adolf Hitler qui, lui-même, s’en est directement inspiré pour écrire Mein Kampf en 1925.
Sans l’ombre d’un repentir
Il n’est pas étonnant que le jeune « Sim » se répande ainsi en propos haineux à l’encontre des Juifs. Il est dans la droite ligne d’une tradition catholique belge qui entretenait depuis la Contre-Réforme, un antisémitisme quasi institutionnel. De nombreux écrivains ou artistes belges de renom ont commis ce genre de forfait : Emile Verhaeren, Hergé, Jean Ray, Michel de Ghelderode, pour n’en citer que quelques-uns. Le moindre des mérites de Jacques-Charles Lemaire qui publie tous ces textes in extenso, c’est de montrer aussi que Simenon, dont on connaît par ailleurs les errements collaborationnistes, loin de se repentir, persiste dans un antisémitisme qui, s’il avance désormais masqué, n’en est pas moins insidieux. Il émaille plusieurs de ses chef-d’œuvres, de Pietr le Letton à L’Ainé des Ferchaux, en passant par M. Hire. Ainsi M. Lemaire cite-t-il cette phrase issue d’un livre de souvenirs du romancier liégeois, Quand j’étais vieux : « Hitler a dû parler des Juifs comme j’ai parlé mardi des staphylocoques dorés, parce qu’on lui demandait d’en parler et que, en apparence, c’était un bon sujet. Je suis persuadé qu’il ne se doutait pas qu’on le forcerait à y revenir et, en fin de compte, à tuer je ne sais combien de millions d’Israélites ». Plus loin, il ajoute que pour cela, il n’est pas « sûr qu’il ne soit pas un jour porté aux nues. »
En ces temps de profusion d’hommages hagiographiques, le livre de Jacque-Charles Lemaire est de salubrité publique.
Didier Pasamonik
Jacques-Charles Lemaître: Simenon jeune journaliste, un « anarchiste » conformiste, Editions Complexe,
Article pour le mensuel Regards (Belgique).
Le mythe Tintin
Retour sur le passé d’Hergé
Georges Remi, dit "Hergé", le père de la "ligne claire" et de Tintin fut le compagnon de route de plusieurs dirigeants de l’extrême droite belge. Hergé collabora aussi au Soir volé, alors crypto-nazi. Son principal personnage deviendra ensuite une référence pour la droite pure et dure. En est-il coupable? Un nouveau livre rouvre le "dossier Hergé". Entretien sur ce sujet polémique avec l’historien Alain Colignon.
Tintin, c’est du belge! Avec toutes les contradictions propres à notre petit pays. Issu des rangs de la droite catholique, tendance maurrassienne, Hergé fut l’ami de Léon Degrelle. Après 1940, sa carrière professionnelle se poursuivra au sein du journal Le Soir, volé par la propagande nazie et dirigé par un quarteron de collabos belges de la pire espèce. Erreur de jeunesse, disent les plus acharnés tintinophiles. Certains d’entre eux, comme l’"hergélogue" (sic) Philippe Goddin dans les colonnes du " Soir " (l’actuel!) du 12 mars dernier, pensent que " cinquante ans et quelques après la fin de la guerre, il serait temps qu’on cesse de taxer d’incivisme, sans discernement, tous ceux qui ont pu, à l’époque, mettre quelqu’espoir dans l’avènement d’une société nouvelle ". Pour sa part, Stéphane Steeman, humoriste, tintinophile d’avant-garde et lié -comme Hergé- à la droite catholique musclée, avait déjà affirmé, en 1999, " on ne peut rien reprocher à Hergé. Tout au plus quelques gaffes, des erreurs de jeunesse ".
D’autres pourtant continuent d’estimer qu’Hergé fut bien plus qu’un simple petit "collabo" aveuglé par un plan de carrière ambitieux. C’est le cas de Maxime Benoît-Jeannin. Cet écrivain français -qui vit à Bruxelles- vient en effet de consacrer un livre entier aux "aventures" collaborationnistes du jeune Hergé (1). A ce sujet, nous avons rencontré Alain Colignon, historien au Centre de documentation et d’études "Guerres et sociétés contemporaines" (CEGES). Retour sur un tabou belge.
Manuel Abramowicz : Selon vous, Hergé peut-il être considéré comme un ancien collaborateur?
Alain Colignon : Tout d’abord, il faut revenir aux années d’avant-guerre. Le père de Tintin est le fruit de son époque et la "victime" de son milieu sociologique. Il provient de la droite catholique marquée par les années 30 et la situation politique de cette décennie. La Révolution soviétique de 1917, son influence sur le reste du monde, la guerre civile espagnole ou le Front populaire en France sont des événements qui mobilisèrent cette droite à laquelle Hergé appartenait. Pour ce milieu ultraconservateur, la "peur du rouge" est une constante. Notre illustre dessinateur va rencontrer sur son chemin, au collège bruxellois Saint-Boniface par exemple, des personnalités qui incarneront l’extrême droite religieuse et culturelle. Il y a tout d’abord l’abbé Wallez, le véritable père spirituel d’Hergé, mais aussi Paul Jamin, qui, sous le pseudonyme de "Jam", dessinera les caricatures antipolitiques et antisémites dans Le Pays réel, l’organe du parti Rex. Léon Degrelle, le "Chef" de cette formation électorale fascistoïde, se retrouva aussi sur le chemin emprunté par Hergé. Mais jamais ce dernier n’adhérera à Rex. Peut-être parce que, somme toute, Hergé, à l’instar de la majorité des Belges, ne se préoccupait pas vraiment des affaires politiques.
Quand les nazis vont s’installer chez nous, le jeune dessinateur va néanmoins en profiter. Bien plus professionnellement que politiquement parlant. Hergé est très ambitieux. Il veut réussir dans le domaine artistique. Il doit donc s’imposer. Peu importe le contexte politique. Pour Hergé, il faut faire avec. Jamais, il ne considérera qu’il a été un "collabo". Hergé se définissait comme un " simple travailleur " qui devait continuer à travailler pour survivre. Au même titre que l’ouvrier continuant à se rendre chaque matin à l’usine. Hergé a donc tout simplement poursuivi son "plan de carrière" au sein de la rédaction du " Soir volé ".
Le journal " Le Soir " était alors dirigé par Raymond De Becker qui, issu des rangs démocrates-chrétiens, devint au fil du temps un fasciné, adepte du national-socialisme. Contrôlé et toléré par les nazis, ce quotidien avait une diffusion maximale. A un moment donné, il ira jusqu’à tirer à 300.000 exemplaires. Tintin contribua partiellement au succès du " Soir volé ". Les années 40-44 furent les meilleures pour Hergé. Il n’a jamais autant dessiné. De plus, parmi le lectorat du " Soir ", il fidélisera un public de plus en plus tintinophile. Avec des dessins, en règle générale, apolitiques qui n’évoquèrent que rarement la guerre ou l’occupation. Si ce n’est bien sûr dans " L’Etoile mystérieuse ", aventure de Tintin où effectivement une touche clairement anti-américaine et antisémite se manifeste sans complexe. Les rafles visant à déporter les Juifs de Belgique vers le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau s’organisèrent durant cette même période…
M.AZ : A la Libération, le père de Tintin n’a pas vraiment été inquiété par la justice, contrairement à ses amis politiques Wallez, Jamin, De Becker... Aurait-il dû l’être davantage?
A.C : Les traits d’antisémitisme que l’on pouvait déceler dans les aventures du jeune reporter belge dessinées sous l’occupation et la nature de l’engagement collaborationniste d’Hergé n’ont pas été jugés suffisamment graves pour justifier son renvoi devant un tribunal. Le "cas Hergé" fut rapidement oublié par les magistrats qui avaient alors de plus lourds dossiers à boucler. Toutefois, selon moi, le "dossier Hergé" méritait tout de même une véritable sanction. Les deux nuits qu’il passa en prison sont vraiment très faibles. Pour son engagement dans les rangs des collaborateurs, marqué certainement par son ambition professionnelle - mais cela n’excuse pas ses actes -, on aurait dû le condamner à une sanction civique en lui retirant, pour quelques années, ses droits civils et politiques. Un plus long séjour en prison lui aurait aussi permis de réfléchir à son soutien artistique aux nazis.
M.AZ : Jusqu’à son décès en 1994, Léon Degrelle affirmera avoir servi de modèle à Hergé pour créer le personnage de Tintin. Une certaine extrême droite continue à faire du jeune reporter blond l’un de ses fétiches favoris. Alors, " Degrelle en Tintin " et Tintin devenu le héros de la droite pure et dure, la thèse est-elle plausible?
A.C : Les liens maintenus après la guerre que revendique Léon Degrelle avec Hergé me paraissent suspects. L’ex-chef de Rex a tellement menti durant sa carrière politique que je pense que cette affirmation est un mensonge de plus. Que l’extrême droite ait essayé de récupérer à son profit le "mythe Tintin", pourquoi s’en étonner? Mais à qui la faute? En effet, Hergé n’a jamais condamné ses amitiés politiques d’extrême droite rencontrées avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Son engagement au " Soir " proallemand ne fut jamais renié. Parce que pour lui, il n’avait pas collaboré avec l’occupant nazi! Toutefois, tout ce que peut dire et faire l’extrême droite pour récupérer le patrimoine Tintin, Hergé n’en est pas responsable. Puisqu’il est mort maintenant depuis plus de dix-huit ans.
Propos recueillis par Manuel ABRAMOWICZ
Bruxelles, 15 mars 2001
(1) Maxime Benoît-Jeannin, " Le Mythe Hergé ", Editions Golias, 94 pages.
Tintin kidnappé par l’extrême droite?
Quelle que soit l’opinion que l’on porte sur l’auteur de Tintin, une chose est sûre, Hergé était bel et bien de droite, version "hard", et marqué par son éducation chrétienne proche de la mouvance intégriste, antisémite et anticommuniste. Dans les années quatre-vingt, plusieurs groupuscules français et belges de la droite extrême vont à nouveau récupérer le personnage dessiné. Il ne sera pas rare de voir dans divers opuscules néofascistes, un dessin piraté de Tintin avec un "look" très facho. Un journal espagnol nauséabond, " Zyklon B ", poussera la provocation en le déguisant en Adolf Hitler. Dans le mensuel du FNB, on parlera des amitiés maintenues, après 1945 d’Hergé avec une kyrielle d’ex-collabos, dont Jan Vermeire, le numéro deux de la SS wallonne et porte flambeau des néorexistes jusqu’à peu. Autre information publiée par le canard frontiste : " Assez démoralisé après la guerre, Hergé envisage alors de s’exiler en Amérique du Sud " (1).
Par ailleurs, un livre de Léon Degrelle sera même vendu sous le manteau. Son titre? Tintin mon copain! Pour un magazine d’ultradroite, les " révélations (publiées dans ce pamphlet) feront grincer bien des dents mais raviront la famille nationaliste " (2).
Dans une interview accordée en mai 1988 au mensuel lepéniste " Le Choc du Mois ", Léon Degrelle avait déjà affirmé à propos de son ex-collègue Hergé : " il est toujours resté un grand copain et quand j’étais caché en Espagne, il a continué à m’envoyer tous es livres ". Info ou intox? Degrelle est mort en 1994, Hergé en 1983. Et les morts, comme on le sait, ne peuvent plus témoigner… mais on peu toujours les faire parler !
M.AZ
(1) Le Bastion, n°4, avril 1996.
(2) Les Cahiers de Bédésup, n°74/75, 1996.
Article publié dans Regards du 8 mai 2001
4) L'antisémitisme en Europe aujourd'hui: au-delà de la négation.
"L'antisémitisme est avant tout une langue, l'espéranto de tous les chacals fascistes, quelle que soit leur nationalité".
Friedrich Gorenstein, écrivain russe (1932-2002).
Il y a beaucoup d'émotion et de réactions, absolument justifiées, à propos d'actes et de menaces antijuives en France et en Europe ces derniers mois. Ceci s'accompagne d'une avalanche de titres sur " le nouvel antisémitisme ", la nouvelle judéophobie (selon le titre de l'ouvrage de P.A.Taguieff paru en janvier 2002), en relation avec la situation au Moyen Orient; l'accent y est mis sur l'antisémitisme arabe, musulman voire prétendument d'extrême gauche.
Mais en Allemagne, c'est l'extrême droite nationaliste qui revendique des attaques contre des synagogues et tout récemment (5 septembre 2002) contre un monument commémoratif des marches de la mort. En Russie, en Pologne, en Autriche, en Roumanie, de puissants partis " populistes " dénoncent " l'influence juive " . En France Le Front National bien connu pour ses positions xénophobes et antisémites a crée la surprise par sa présence au deuxième tour de l'élection présidentielle d'avril/mai 2002.
En d'autres termes, pourquoi parler de l'antisémitisme aujourd'hui? Ne s'agit-il que d'une manière détournée et orientée d'aborder la situation au Moyen Orient?
La démarche qui suit tente de présenter une autre vision des choses dans ce qui veut être un éclairage européen, insistant sur la continuité historique de courants antisémites et de modalités de leur intervention dans les différents pays. C'est sur ce terreau que poussent les formes les plus récentes de la haine des Juifs.
France : le choc d'avril 2002
Le 21 avril dernier, 4,8 millions de voix se sont portées sur J.M. Le Pen, candidat du principal parti antisémite et négationniste d'Europe; au deuxième tour de la présidentielle, après la mobilisation que l'on sait, le candidat du FN a encore recueilli 5,5 millions de voix. Ces suffrages ne se sont pas portés sur lui principalement en raison de son antisémitisme et de son négationnisme, mais cet aspect n'a pas constitué un repoussoir pour des millions d'électeurs, et a peut-être participé à son succès, en résonance avec ses dénonciations xénophobes et antimondialistes. Il est donc utile de rappeler l'histoire du Front National dans ses rapports avec l'antisémitisme et le négationnisme.
Le " détail " et la passion négationniste
Le 13 septembre 1987 lors de l'émission " le Grand Jury R.T.L. " à une questions ainsi formulée: " Que pensez vous des thèses de Faurisson et Roques (négationnistes notoires) ? " : Le Pen répond :
« ... je suis passionné par l'histoire de la Seconde Guerre Mondiale. Je me pose un certain nombre de questions. Je ne dis pas que les chambres à gaz n'ont pas existé. Je n'ai pas pu moi-même en voir. Je n'ai pas étudié spécialement la question. Mais je crois que c'est un point de détail de l'histoire de la Seconde Guerre Mondiale... »
Le détail n'est pas un lapsus ni le résultat d'un piège journalistique. C'est au contraire une affirmation emblématique et répétée qui montre que si le négationnisme est marginal dans le domaine historique et scientifique, il a enregistré d'immenses succès au plan politique. L'impact pratique du négationnisme se juge par le " détail ". Concernant l'expression antisémite du FN, c'est un saut qualitatif. Comme le dit Valérie Igounet, auteure de l'Histoire du négationnisme en France (Seuil 2000) :
« l'épisode du " détail " doit être considéré comme le véritable tournant de la stratégie frontiste. A une négation latente succède une négation patente »1.
En 1988, lors de l'affaire Durafour-crématoire, lorsque Yann Piat et F. Bachelot alors dirigeants du parti protestent devant le bureau politique, Bernard Anthony alias Romain Marie, chef de file du courant catholique intégriste au sein du FN, répond ainsi à Bachelot :
Tu n'as rien compris, nous sommes ici pour prendre notre revanche contre l'anti-France; c'est le lobby juif et le lobby maçonnique...2
Le Pen de son côté leur réplique :
« oui ce jeu de mots je l'ai fait exprès et j'y reviendrai systématiquement car nous ne pouvons pas passer sous le joug de la juiverie française ».3
Lorrain de Saint Affrique, longtemps conseiller en communication de Le Pen, note qu' " il est impossible de faire partie de la direction du FN si on ne partage pas des convictions négationnistes et antisémites ".
L'engagement antijuif et négationniste est absolument central dans l'univers de la direction et des cadres frontistes. Les déclarations et textes abondent. C'est la substance même de la continuité de l'extrême droite française depuis plus d'un siècle, son cœur identitaire construit autour de " la revanche contre l'anti-France ". C'est aussi l'outil par lequel Le Pen cimente l'unité des différentes fractions querelleuses de cette mouvance. Ces fractions divisées historiquement et idéologiquement, par exemple sur la place de la religion ou le programme économique, communient aisément dans la tradition antisémite française. Le chef et tribun est celui qui manie le mieux cette charge de violence.
Maryse Souchard précise ainsi dans le livre collectif " Le Pen, les mots " basé sur l'étude sémantique de ses discours de 1980 à 1996 : " l'analyse du lexique montre que lorsqu'il s'agit de les désigner avec précision, les discours de Le Pen parlent presque deux fois plus des Juifs et des israélites que des Arabes et des musulmans; il n'en oublie pas pour autant les francs-maçons... "4
On retrouve les ennemis traditionnels et la revanche de la deuxième guerre.
Pour bien marquer cette continuité historique et politique, les idéologues du FN, sa presse, prennent en compte les développements de l'actualité. Le procès Papon en 1997, suivi des commémorations du centenaire de l'affaire Dreyfus en 1998 (parution du "J'accuse" de Zola en Janvier 1898), donnent lieu à un déchaînement rarement atteint auparavant. Le journal National-Hebdo se distingue par sa violence, titrant par exemple le 9 octobre 1997 sur la " Judapo " (contraction de judaïsme et Gestapo) pour présenter un dossier sur " la question juive ".
Quelques semaines plus tard, dans le numéro de National-Hebdo du 15 au 22 janvier 1998, soit cent ans jour pour jour après la parution du "J'accuse" de Zola, l'éditorialiste et directeur du journal résume ainsi l'identité antisémite de son parti et la place cruciale qu'il attribue à cet engagement; il dénonce " la tétrade satanique racisme-xénophobie-antisémitisme-négationnisme... " :
c'est le préjugé antiraciste qui empêche de rétablir l'ordre et de résoudre le problème de l'immigration...nous devons expliquer aux Français que tant que l'on n'aura pas débloqué l'affaire du " détail " les banlieues continueront à flamber et la France à sombrer...5.
Le Pen a t il changé ?
Lors de la dernière campagne présidentielle, Le Pen a choisi un profil globalement moins violent que lors des échéances précédentes. Pour autant il a, par quelques symboles habituels, pris soin de rappeler la continuité négationniste et antisémite de son mouvement.
Ainsi pendant cette campagne, Le Pen donne une préface à la réédition, chez l'éditeur néonazi "Éditions de l'Homme Libre", d'un livre de François Duprat intitulé La Droite nationaliste en France 1971 à 1975, qui retrace notamment la création du FN. Duprat est considéré comme le principal propagandiste et importateur du négationnisme en France. Traducteur du livre de Richard Harwood 6 millions de morts le sont ils vraiment ?, il n'a cessé de diffuser des thèses négationnistes notamment dans la revue Défense de l'Occident et dans son hebdomadaire Cahiers Européens. Mort en 1978 dans un mystérieux accident de voiture, il symbolise au sein du FN la passion antisémite la plus extrême; il y fait l'objet d'un véritable culte. Le Pen ne manque pas de célébrer chaque 18 mars l'anniversaire de sa mort. Sa photo orne le bureau de Bruno Gollnisch.
De manière plus générale, Le Pen n'est jamais revenu sur ses propos scandaleux pour les atténuer ou les retirer. En prologue de la campagne électorale des régionales de 2004 il vient de les confirmer en déclarant à propos du " détail " et de " Durafour-crématoire " (in Le Monde 15.3.03) : " j'ai émis plus ou moins habilement une opinion, est ce que tout cela ne fait pas partie de la liberté d'opinion ?... "
Tous les dirigeants frontistes qui se profilent (Gollnisch, Romain Marie, Marine Le Pen) partagent avec lui un engagement antisémite caractéristique et fondateur. Comme l'explique René Monzat, chercheur spécialiste des droites radicales :
... l'antisémitisme de l'extrême droite est trop souvent confondu avec les dérapages d'après boire de ses chefs, alors qu'il s'agit d'une conception du monde inculquée aux catholiques intégristes depuis leur plus jeune âge, que cet antisémitisme repose sur une contre-culture, historique, sociale, théologique très structurée...6
Quelques mois après l'élection présidentielle de 2002, le candidat soutenu par le FN à une élection cantonale de Villeurbanne, en préparation des régionales de Rhône-Alpes, est Pierre Vial : Vial est l'animateur du courant dit " païen " du Front National, traité de " raciste " par Le Pen au lendemain de la scission avec Mégret, puis pardonné et investi. Apologiste des S.S. français à la Saint Loup, il déclare que " le totalitarisme est né le jour où est apparue l'idée monothéiste... tout a commencé historiquement avec Abraham.. "7, et oppose aux " peuples germains les gardiens de chèvres qui vont adorer leur dieu unique dans le désert ".
Dans la ville de Lyon et la région Rhône-Alpes qui sont au cœur des affaires de négationnisme à l'Université, et qui ont cristallisé l'affrontement que l'on sait autour de Charles Million, P. Vial se profile ainsi en tandem avec B. Gollnisch. Leur antijudaïsme partagé transcende leurs multiples divergences.
Les électeurs FN : tous antisémites?
A priori il faut bien sûr distinguer entre militants d'extrême droite et électorat. Pascal Perrineau directeur du Cevipof précise ainsi :
« les électeurs frontistes ne sont pas tous antisémites même s'ils le sont plus que la moyenne des Français; les interviews non directives auprès des électeurs d'extrême droite montrent à quel point la figure du maghrébin est rejetée : 9 personnes sur 10 manifestent spontanément leur hostilité à l'égard des immigrés originaires d'AFN. En revanche, la question juive est peu ou pas abordée notamment dans les régions méridionales où la présence étrangère focalise les sentiments de rejet. A l'inverse chez les cadres (du FN), les militants et le noyau dur des nationalistes traditionnels, la hiérarchie des haines est fort différente. La figure du juif est incontournable, lorsque le Pen dénonce le " lobby de l'immigration " ou de l'" euromondialisme ", chacun comprend à quel groupe, à quelle communauté il fait allusion »8.
Mais en même temps, une autre étude approfondie révèle des éléments inquiétants. La chercheuse Nonna Meyer suit au long cours le sondage annuel réalisé par la Commission nationale consultative des droits de l'homme à propos des opinions xénophobes dans notre pays. Dans un article intitulé "Sondages mode d'emploi"9, elle observe entre 1988 et 2000 à la fois un recul des préjugés racistes en général et une forte augmentation des opinions antisémites croisées sur plusieurs questions ("les Juifs ont trop de pouvoir en France", "il y a trop ou pas trop de Juifs en France", "les Juifs sont des Français comme les autres"). Elle précise qu'en fait il s'agit avant tout d'une diminution de la catégorie "refus de répondre" à ces questions, et en conclut à l'expression plus explicite d'un antisémitisme auparavant plus tabou et honteux. Selon ses termes :"... autrement dit il n'y a pas plus d'antisémites dans la société française mais il y a moins d'antisémites honteux...". Elle attribue cette évolution à un contexte favorable à "la libération de la parole antisémite".
Un véritable danger antisémite, véhiculé par une force politique importante, existe dans notre pays. Il s'inscrit dans la tradition d'extrême droite née au XIXème siècle, maintenue et radicalisée tout au long au XXème en intégrant la collaboration et la conversion à l'entreprise exterminatrice nazie, puis à sa négation. De puissants courants antijuifs sont aussi présents dans des couches issues de l'immigration et reprennent les stéréotypes les plus horribles de cette tradition réactionnaire.
Coup de projecteur en Europe
Regardons un peu au-delà de nos frontières pour tenter de déceler si ce phénomène présente une dynamique européenne ou s'il ne s'agit que d'une spécificité française.
Cette exploration, limitée à quelques pays, mérite un travail beaucoup plus approfondi mais permet déjà de constater de puissants éléments de continuité dans la permanence de courants antisémites enracinés dans l'histoire politique de leur pays. Il conduit aussi à s'interroger sur la situation spécifique des pays de l'est européen.
Roumanie : le parti de la grande Roumanie de Corneliu Vadim Tudor (lui-même ancien laudateur de N.Caucescu) a récolté 30% des voix aux élections présidentielles de décembre 2000. Il mène une intense agitation antisémite et anti-tsigane, s'appuie sur un réseau médiatique puissant notamment de radios qui diffusent des histoires de "coups de poignard dans le dos, de fantasmes de conspirations anti-roumaines ourdies par les forces cosmopolites de Bruxelles New York et Tel Aviv"10. Tudor milite pour la réhabilitation du dictateur Antonescu et de la milice de la Garde de fer, initiateurs des persécutions contre les juifs roumains à la veille de la seconde guerre mondiale. Il déclare :
les juifs nous demandent de détruire les statues d'Antonescu (récemment érigées à travers tout le pays) comme les talibans l'ont fait avec celles de Bouddha. Moi je dis que ceux qui vont démolir nos statues seront eux même démolis.11.
Il reste dix mille juifs en Roumanie ; deux cent mille ont été déportés et cent trente mille exterminés.
Autriche. Le parti de J. Haider s'inscrit dans la tradition antisémite sans doute la plus intense d'Europe occidentale. Dès le début du XXème siècle, Karl Luger, maire de Vienne au programme explicitement antisémite, se fait élire sur la thématique de l'envahissement de la ville par les juifs de l'Est et l'atteinte à la nation autrichienne/allemande. Les nazis autrichiens occupent une place centrale au sein de la galaxie hitlérienne. Un des symboles des persécutions qui ont précédé l'extermination est la scène fameuse des juifs de Vienne contraints en mars 1938 à nettoyer les rues de la ville à la brosse pour la purifier de leur propre présence.
Après guerre, la réintégration rapide des nazis dans l'espace politique se fait sous la protection des Alliés et du mythe d'une Autriche "victime". La présidence de Kurt Waldheim, qui a participé à des crimes de guerre dans les Balkans, poursuit cette voie, aggravée en 1999 par la victoire électorale de Haider avec 27% des voix. Celle-ci est d'ailleurs suivie quelques semaines plus tard de celle du parti semblable de Blocher en Suisse. Son échec électoral récent ne remet pas en cause sa présence au gouvernement autrichien.
Russie. Le sillon antisémite est profond, de l'époque des pogroms organisés par les milices tsaristes dites Cents-Noirs, au soi-disant " complot des blouses blanches " et aux préparatifs de déportation des juifs par Staline. Dans la période récente, on assiste à un déferlement de propagande antisémite véhiculé d'une part par des milieux intégristes orthodoxes et nationalistes et souvent combiné à la haine contre les Tchétchènes et autres "caucasiens basanés", mais aussi par les authentiques "rouges-bruns qui combinent les slogans à la gloire de Staline et les diatribes antijuives".
Ainsi lors des manifestations du parti communiste de Russie de Ziouganov censées commémorer la révolution d'Octobre, se trouvent en nombre des banderoles contre les "youpins". Le général Makachov, membre du comité central du P.C. déclare :
... Jid (youpin) ce n'est pas une nationalité c'est une profession, suceur de sang... il faut virer tous les youpins, mettre en prison les juifs responsables des malheurs de la Russie...
Une résolution le blâmant pour ces propos est repoussée par la Douma en novembre 1998, un seul des 130 députés PC ayant voté pour12. L'antisémitisme russe ne se limite pas aux discours : attaques de synagogues, agressions et plus récemment pancartes piégées sont monnaie courante.
Pologne. Dans ce pays qui présente la caractéristique d'un "antisémitisme sans juifs", après avoir connu la destruction presque totale d'une communauté de plusieurs millions de personnes, on assiste à la poussée des nationalistes chauvins à discours "populiste" et fortement antisémite du parti "Autodéfense" de Lepper, qui récolte 10% des voix. Son score est l'équivalent de celui de la Ligue des familles polonaises, tout aussi violemment antisémite, appuyée sur la radio catholique intégriste Marya. Il s'agit là de la poursuite de la tradition antijuive, si enracinée dans la vie politique nationale, renforcée par le maintien de l'ambiguïté de l'Église avec les croix d'Auschwitz, la volonté de canoniser Pie XII et le refus d'ouvrir les archives du Vatican.
Hongrie. Là aussi, une extrême droite ouvertement antisémite et anti-tzigane est en pleine ascension. Son dirigeant Istavan Csurka, écrivain négationniste, défend la mémoire du régime fasciste du régent Horthy et dénonce " les juifs apatrides " appuyé sur "radio Pannon, la plus violente d'Europe de l'Est" selon l'enquête du journal suisse Neue Zuricher Zeitung13). Lors de la récente attribution du prix Nobel de littérature à Imre Kertesz, de nombreuses réactions xénophobes et antisémites visaient à nier le caractère "national" de cet écrivain en raison de sa judéité.
Allemagne. Des éléments inquiétants se sont accumulés ces dernières années. Dès les années 80, la "querelle des historiens" et la diffusion de thèses proches des révisionnistes ont montré la fragilité d'un consensus qui n'était sans doute qu'apparent. Le choc suivant s'est produit en 1998 avec l'affaire Walser. Cet écrivain fort connu s'est livré, lors de la remise d'un prix littéraire prestigieux décerné par les libraires, à une violente dénonciation de la mémoire de la Shoah en tant que "massue morale" brandie contre l'Allemagne, insistant sur le fait qu'il ne supportait plus d'en entendre parler. Il mettait aussi en cause "l'instrumentalisation" d'Auschwitz à des "fins actuelles", c'est-à-dire pour obtenir des réparations.
Sur le moment il fut ovationné par la salle unanime. Cette prise de position suscita une intense polémique, notamment avec la gauche antifasciste et la communauté juive. Walser a été défendu par une partie de la classe politique et du monde de l'édition. Il a récidivé récemment dans l'évocation antisémite en faisant paraître un roman à clés intitulé "Mort d'un critique" et décrivant avec jubilation l'assassinat d'un très renommé critique littéraire juif.14.
Ces coups de boutoir historiques et littéraires produisent leurs effets. Une étude de long terme à base de sondages répétés, réalisée par les universités de Berlin et Leipzig, donne les indications suivantes15. En avril 2002, 28% des Allemands sondés pensent que l'influence juive dans leur pays est trop grande; 32% supplémentaires approuvent partiellement cette affirmation. La progression de ces opinions est spectaculaire, doublant par rapport à un précédent sondage de 1994. La croissance des opinions hostiles aux juifs est particulièrement forte dans la partie occidentale du pays, contrairement à l'image actuelle.
En octobre 2000, une série d'attentats revendiqués par des groupuscules d'extrême droite visent des synagogues, inspirant en réaction une importante manifestation le 9 novembre, anniversaire de la Nuit de Cristal nazie de 1938. Cette mobilisation s'opposait aussi aux dirigeants démocrates-chrétiens développant le thème de la Leitkultur (culture dominante allemande) contre les immigrés et la double nationalité. Les campagnes électorales de 2002 ont apporté leur lot de signes de fragilité : poussée transgressive du parti libéral s'attaquant à la communauté juive après une polémique sur Israël, réhabilitation de la cinéaste du régime nazi Leni Riefenstahl, nouveaux attentats notamment contre un mémorial des marches de la mort, couvert de croix gammées et de slogans antisémites, manifestations agressives à Berlin contre la retour de noms de rues modifiés par les nazis pour effacer des identités juives...
Plus récemment encore, le principal dirigeant démocrate-chrétien Koch se permettait de comparer le sort, à ses yeux malheureux, des personnes fortunées sous un gouvernement de gauche, à celui des juifs sous le nazisme, pareillement stigmatisés par une étoile jaune...
Ce panorama européen pourrait se poursuivre par la description de la situation en Suisse, Grèce, pays Baltes, Belgique... et autres pays européens dans lesquels l'antisémitisme est bien vivace.
La levée des tabous européens
Sur le front de l'antisémitisme européen, une période de relative accalmie a suivi l'apocalypse de la seconde guerre mondiale, sans empêcher de violentes campagnes, notamment dans les pays de l'Est autour des procès staliniens, mais aussi en France, en Allemagne et en Autriche. Un historique même succinct dépasserait le cadre de cet exposé; rappelons simplement que les droites radicales de ce continent n'ont jamais abandonné cette croisade. La résurgence de l'antisémitisme en Europe est bien antérieure à la crise actuelle au Moyen Orient.
Elle trouve son expression dans les victoires enregistrées par l'extrême droite depuis le milieu des années 1980 et singulièrement dans les succès du Front National, qui sert de modèle et d'espoir aux partis de sa mouvance. La continuité antisémite se nourrit aussi au milieu des années 1990 du débat malsain sur les spoliations et réparations en France, Suisse, Allemagne, Autriche. Les négationnistes avaient déjà donné le ton en la matière.
Ainsi R. Faurisson ne se bornait-il pas à affirmer que les chambres à gaz n'avaient pas existé; il fournissait une explication de ce "mensonge": dès 1980 il put déclarer à la radio :
les prétendues chambres à gaz hitlériennes et le prétendu génocide des juifs forment un seul et même mensonge historique qui a permis une gigantesque escroquerie politico-financière dont les principaux bénéficiaires sont l'État d'Israël et le sionisme international et dont les principales victimes sont le peuple allemand -mais pas ses dirigeants- et le peuple palestinien tout entier...16
Le succès de cette propagande, notamment en Allemagne, témoigne de la difficulté à purger réellement l'abcès de la seconde guerre mondiale. En 1992, un président socialiste français fait encore fleurir, chaque 11 novembre, la tombe de Pétain, malgré les nombreuses protestations et manifestations; il n'abandonne qu'en raison du scandale qui le contraint. Le procès Papon ne s'ouvre qu'en 1998, soit 17 ans après la révélation des faits, et n'est pas toujours pas terminé, comme nous le savons maintenant.
Esquisse d'une typologie : le poids de l'histoire
Dans les pays européens à forte tradition antisémite (Roumanie, Pologne, France, Russie, Autriche, Hongrie, Suisse), on retrouve aujourd'hui un discours antisémite structuré par des partis politiques qui ont réalisé des percées importantes. Ceux qui le portent se situent dans la mouvance d'extrême droite rebaptisée "populiste". Le chercheur Jean Yves Camus désigne ces organisations comme des "partis mixtes", dont la structure organisationnelle d'extrême droite s'est modernisée sans changer le fond idéologique17. Ils revendiquent un sinistre "héritage européen".
En effet, c'est en Europe, sous les auspices de l'antijudaïsme catholique, qu'ont été forgés le terme et le concept de ghetto, la rouelle puis l'étoile jaune, l'expulsion des juifs, la conversion forcée et les massacres, l'Inquisition. C'est en Europe qu'est né l'antisémitisme moderne, c'est en Europe qu'a été rédigé et répandu le protocole des sages de Sion, c'est en Europe et au nom de l'Europe qu'a eu lieu le génocide nazi appuyé sur la collaboration des États.
C'est encore en Europe que se développent et se maintiennent des partis et mouvements comme le FN, le parti de Haider et leurs acolytes, pour lesquels la "question juive" est toujours d'actualité, en héritage spirituel du fascisme et du nazisme. A intervalles réguliers, des médias et des personnalités très médiatisées apportent leur contribution à cette propagande.
L'exemple le plus fameux est celui de l'abbé Pierre, symbole du dévouement social et quasiment sanctifié de son vivant, qui a accumulé les déclarations antisémites et négationnistes les plus vulgaires sans que cela ne nuise durablement à sa popularité.
Par contre, certains pays européens ont, pour différentes raisons, une faible tradition antisémite moderne : Angleterre, Scandinavie, République tchèque, Italie, Espagne Hollande (déjà dans les années 1930, les correspondants locaux des nazis manifestaient des réticences envers l'antisémitisme18. Les partis de droite radicale qui s'y développent ne portent pas la dimension antijuive caractéristique des pays à forte tradition antisémite.
L'Allemagne est un cas particulier, pour des raisons historiques évidentes : une tentative d'éducation contre le nazisme et l'antisémitisme y a été menée. Elle semble aujourd'hui ébréchée et fragilisée, à la merci d'une radicalisation de forces de droite significatives.
La production antijuive européenne s'exporte bien.
Les antisémites agissant avec le succès que l'on sait dans le monde arabe et musulman puisent largement dans les ressources infinies de la production négationniste européenne. Ainsi le soi-disant " Protocole des sages de Sion " y est abondamment diffusé, et a même donné lieu à une série télévisée égyptienne, laquelle a provoqué des réactions d'intellectuels dénonçant ce recyclage. Les négationnistes européens et particulièrement français sont de véritables vedettes dans de nombreux pays arabes. Garaudy est un héros, financé et soutenu par les États, notamment syrien et iranien, si généreux envers tous les groupuscules néonazis et négationnistes19. La télévision Al-Jazira invite Faurisson, les islamistes jordaniens invitent Garaudy et Pierre Guillaume de la "Vieille Taupe" pour combattre "la normalisation avec Israël"20.
Substance du discours antisémite en Europe
a) Au delà du négationnisme intégral, la relativisation du génocide joue un rôle crucial : c'est une vieille histoire, les juifs en font trop, l'ont en partie inventée, en tirent abondamment profit financièrement (on retrouve le rôle important du mauvais débat sur les réparations); politiquement, ils se débrouillent trop bien dans leur statut de victimes et agissent comme des nazis à l'encontre des Palestiniens. Dans ce dernier domaine, la presse grecque, notamment certains quotidiens, se distinguent particulièrement; ainsi le quotidien Ethnos a récemment publié une caricature montrant deux soldats israéliens massacrant d'innocents palestiniens avec le commentaire suivant : "Ne culpabilise pas, frère, nous étions à Auschwitz et Dachau non pour souffrir, mais pour apprendre"21.
C'est un enjeu de brouillage important, et c'est pourquoi il faut absolument rejeter ce type de glissement qui assimile la répression meurtrière et le crime de guerre à un génocide.
2) Le thème de la mondialisation ou du "mondialisme" demeure un grand classique. Ainsi le "populiste" italien Bossi dénonce :
la mondialisation c'est du fascisme.... Haider veut maîtriser l'immigration; lui au moins prend le taureau par les cornes. Ce sont les grands financiers, une quarantaine ou une cinquantaine au maximum qui veulent nous imposer les immigrés au nom de la mondialisation. C'est cela aujourd'hui le fascisme, cet anéantissement des peuples. Ceux qui tirent les ficelles sont les petits-fils des véritables mandataires du fascisme et du nazisme d'autrefois...
A une question qui l'interpelle : "vous avez dénoncé les banquiers juifs américains qui tirent les ficelles de la mondialisation", il réplique :
... ma réponse a été un peu différente. Je suis contre la grande finance et les financiers. Ils sont en grande partie juifs c'est un fait. Je n'ai rien contre les juifs en général.22
On retrouve le "lobby immigrationiste et mondialiste" cher à Le Pen.
Dans la fantasmagorie antisémite et nazie, les Juifs on été accusés de vouloir détruire la société par les deux voies a priori opposées du capitalisme et du communisme, également "apatrides". Romain Marie, dirigeant du courant catholique du FN, reprend d'ailleurs cette antienne : "Les Juifs sont au centre de nos débats contemporains : Marx et Rotschild sont un peu les deux faces de la même médaille..."23. Ainsi le mouvement pour l'altermondialisation, dont une des figures marquantes est Naomi Klein, auteur de No logo, qui revendique sa judéité, pourrait représenter l'autre face de la médaille du "complot destructeur". Il est à noter au passage que N. Klein met en garde contre les dérives antisémites présentes dans certains réseaux, et contre la propagande de ce type diffusée sur le réseau Indymedia24.
Quelles ripostes? (contre la confusion)
Face à l'actualité de la lutte contre l'antisémitisme en France et en Europe, ceux qui devraient en prendre la tête, instances dirigeantes de la communauté juive et mouvance antifasciste de gauche, sont tétanisés par la crise du Moyen Orient et ses conséquences.
Les instances dirigeantes de la communauté juive française acceptent, voire même recherchent les soutiens les plus ambigus, comme le montre le soutien apporté par une partie d'entre eux à la littérature du militant de la Nouvelle Droite Alexandre Del Valle, ou au pamphlet xénophobe et tout aussi anti-musulman d'Oriana Fallaci (La rage et l'orgueil). P.A. Taguieff, de son côté estime que "Fallaci vise juste, même si elle peut choquer par certaines formules" qui sont "contre-productives"25.
Ailleurs on s'allie avec les évangélistes américains, profondément antijuifs, qui rêvent de convertir les juifs ou de voir ceux-ci se détruire en préparation de l'Apocalypse finale. Dans l'ensemble, les communautés juives, focalisées sur le "nouvel antisémitisme" détournent les yeux du danger d'extrême droite, le relativisent, voire le nient.
La gauche antifasciste et militante est elle aussi percutée par la situation en Israël et Palestine. Une partie d'entre elle semble opérer une réévaluation, et même une révision, sur l'appréciation du génocide des juifs, en relativisant la place de l'antisémitisme dans l'univers nazi.
Cette hypothèse inquiétante est confortée par un exemple qui témoigne de la confusion en cours. Le journal Ras'lfront, principal organe de la lutte antifasciste dans le pays, publie dans son numéro 89 d'août 2002 un article de Michel Lequenne, vétéran du mouvement révolutionnaire, ancien dirigeant trotskiste; il s'agit de la recension d'un livre sur le nazisme qui donne lieu aux appréciations suivantes:
(ce livre) tend à nous délivrer d'une mystification qui nous a tous plus ou moins atteints sans que nous en apercevions : celle de donner l'antisémitisme comme essence du nazisme... Le phénomène nouveau aujourd'hui, c'est l'inversion de sens du substitut. Faire du génocide hitlérien des juifs un tournant de l'histoire sert aux nouveaux idéologues à dissimuler la caractère de la Deuxième Guerre mondiale en tant que guerre inter-impérialistes, et par extension à dissimuler la nature capitaliste impérialiste de ce qu'on appelle maintenant le n