Mise à jour du 17 juillet 2024:
La révélation des accusations de violences sexistes et de harcèlement concernant l'abbé Pierre fait resurgir la mémoire de ses déclarations antisémites en soutien au négationniste Roger Garaudy. Une certaine indulgence avait entouré cette affaire honteuse et nous avions protesté contre cette complaisance ci-dessous.
MEMORIAL 98
La Ligue des Droits de l'Homme absoudrait-elle l'Abbé Pierre de sa dérive négationniste et antisémite, interroge l'association Memorial 98
Association Memorial 98
Deux personnes au moins n'ont pas été surprises des dérives antijuives de l'abbé Pierre qui se dit maintenant victime d'un «lobby sioniste international»: Michel-Antoine Burnier (écrivain et journaliste) et Cécile Romane (écrivain), qui enregistraient en 1993 les discussions entre l'abbé Pierre et Bernard Kouchner, quand ils préparaient ensemble un livre d'entretiens, Dieu et les hommes.
Les déclarations de l'abbé Pierre étaient tellement gênantes qu'elles ne figureront pas dans le livre (paru chez Laffont). Burnier et Romane ont repris ces propos inédits, ainsi que l'interview parue en 1991 dans la revue catholique la Vie, où, déjà, l'abbé Pierre s'interrogeait sur le droit à l'existence d'Israël. Ils ont rassemblé dans un petit livre, le Secret de l'abbé Pierre, ces textes accablants qui prouvent que le soutien aux thèses négationnistes de Garaudy n'est pas un accident. Ils ont analysé le discours de l'abbé Pierre et ont apporté des réponses, des chiffres, à ceux qui pourraient se poser des questions sur le génocide des Juifs. Rencontre avec les auteurs.
En 1993, l'abbé Pierre se lance, devant vous et Bernard Kouchner, dans une diatribe antijuive. Pourquoi décidez-vous de censurer ses propos?
C'était le 27 mars 1993, à Esteville, chez l'abbé Pierre. Bernard Kouchner et l'abbé étaient assis côte à côte, nous étions en face, avec chacun un magnétophone. Nous voulions aborder le chapitre de la protection des minorités. On ne parlait pas des Juifs. Et on découvre que, pour l'abbé Pierre, le terme de «génocide», de «Shoah», s'applique non aux Juifs mais, à l'inverse, aux victimes de Josué, il y a trente siècles. Il semblait ignorer que le mot de «génocide» a justement été inventé en 1944 pour les Juifs et les Tsiganes. Or, l'abbé nous dit alors: mais non, ce sont les Juifs qui ont commis le premier génocide, avec Josué. Cet amalgame, qui faisait un raccourci de trente siècles pour condamner les Juifs d'aujourd'hui, nous semblait dangereux, mais nous n'avons pas pensé une minute qu'il allait glisser plus loin. On était très embarrassés. La pensée d'un vieux prêtre qui ratiocine dans sa chambre n'a pas d'importance. Mais si l'homme le plus populaire de France dit du mal des Juifs, c'est autoriser la France entière à penser: c'est peut-être vrai... On a décidé de ne pas publier cette discussion. Quand il a soutenu publiquement Garaudy, on n'a donc pas été surpris. On savait qu'il n'était pas gâteux, qu'il pesait ses mots: il disait la même chose il y a trois ans.
Il parle de Dieu et de la Bible tout le temps, ne lit que des livres de religion. L'abbé est d'une grande inculture historique. En 1993, il nous a confié qu'il venait de comprendre, en lisant un livre, comment Hitler avait pris le pouvoir. Il a réellement risqué sa vie tous les jours à partir de 1942 pour sauver des Juifs, mais il n'est pas au courant des travaux historiques sur la Shoah. Il ne croit pas Kouchner, mais Garaudy qui lui explique que la Shoah est un mensonge. Que l'abbé soit, depuis cinquante ans, l'ami de Garaudy, l'homme le plus nul du marxisme français, l'homme qui a non seulement nié le Goulag mais défendu les thèses les plus imbéciles sur la science bourgeoise, dont la faiblesse de pensée saute aux yeux, cela pose problème.
Il ne s'interroge pas sur son ami Garaudy qui prend pour avocat Jacques Vergès, défenseur de Barbie, des nazis et des satrapes rouges ou bruns du tiers monde. Il part de l'antijudaïsme religieux, s'entend très bien avec Garaudy sur le sujet, et du coup passe de l'antijudaïsme religieux à l'antisionisme. Dans l'interview à la Vie, l'abbé Pierre met en cause la promesse de Dieu à Moïse il y a trente siècles, puis l'autre fondement de l'Etat d'Israël: Auschwitz. Où doivent aller les Juifs chassés d'Europe centrale, qui voulaient une terre et une armée? Kouchner, au cours de la discussion de 1993, lui dit à propos d'Israël: «Quelle était la solution? Est-ce que les Juifs devaient revenir sur cette terre où il y avait un foyer national pour les protéger?» L'abbé ne répond pas. Il explique au contraire que les Juifs ne doivent pas réclamer de terre, qu'ils doivent rester dispersés, que c'est leur mission. Comme s'ils avaient choisi volontairement d'être chassés d'un pays à l'autre.
L'abbé a déclaré, à propos des 6 millions de morts: «Les Juifs ont exagéré sous le coup de l'émotion, c'est bien normal.» On lui rappelle donc que le premier à avancer le chiffre de 6 millions n'était pas précisément un Juif ému: c'était Adolf Eichmann, à Budapest en 1944.
Pensez-vous qu'il puisse aujourd'hui changer d'avis, et se démarquer publiquement des thèses négationnistes?
Un des traits de caractère de l'abbé, c'est d'être têtu. C'était bien pour faire construire des logements d'urgence, parce qu'il avait raison. Mais là, il refuse d'écouter. Il a préféré passer deux jours à Padoue avec Garaudy, et après, il parle de «lobby sioniste». Il y a trois ans, on ne voulait pas déclencher ce débat. Aujourd'hui, on n'a plus le choix. Mais nous sommes tristes. L'abbé Pierre, on ne l'a plus, c'est fin
Le communiqué d'hommage de la LDH à l'abbé Pierre (ci-après) prend une position mensongère et choquante sur le soutien que celui-ci a apporté au négationniste Garaudy en 1996.
> 23 janvier 2007 - Hommage à l'Abbé Pierre
Communiqué de la LDH
La Ligue des droits de l'Homme s'incline devant la mémoire de l'Abbé Pierre. Dans ses luttes en faveur des droits les plus élémentaires de chacun, cet homme a représenté un instant de la conscience humaine. Dans la résistance, par son refus de la misère et son soutien aux plus déshérités que sont les sans-papiers, l'Abbé Pierre n'a cessé de rappeler la société et la République française à ses obligations et à ses principes.
Cet homme a trouvé dans sa foi les ressources qui lui ont permis d'appréhender l'Humanité dans toutes ses dimensions, y compris celles qui pouvaient s'éloigner des préceptes de l'Eglise catholique. Sa condition d'Homme engagé l'a conduit à mener bien des combats retentissants que l'erreur d'amitié commise avec Roger Garaudy ne peut affaiblir.
La Ligue des droits de l'Homme conservera le souvenir d'un compagnon de lutte pour le respect de tous les droits pour tous. Elle appelle, au-delà des hommages qui lui sont rendus, à mettre en œuvre dans la réalité ce qui fait la clef de voûte de sa vie entière : la dignité de l'Homme.
Paris, le 23 janvier 2007.