Depuis quatre ans, les grandes puissances ont Ils ont laissé écraser les mains de caricaturistes syriens. Ils ont laissé torturer et violer des femmes libres. Cet abandon a entraîné des conséquences négatives dans l'ensemble de la société. Nous avons arrêté de compter le nombre des victimes, et laissé défiler sur nos fils d’actualité les corps sanglants des victimes. Nous les avons anonymisés, confondus dans un vague ensemble qu’on a désigné comme « la complexe tragédie syrienne ».
Et puis il y a deux mois, la tragédie a frappé ici en France puis au Danemark , quand les morts étaient à côté de nous, comme nous, alors, brusquement, nous avons jeté la complexité aux orties.
Il y avait une « situation géopolitique inextricable » , aujourd’hui il reste un acronyme Daech.
Et nous tombons d’erreur en erreur.
La situation en Syrie, il y a quatre ans n’était pas si compliquée que cela : il y avait une révolution démocratique contre un dictateur. Un formidable et héroïque élan contre l’héritier d’une dynastie d’oppresseurs sanglants, tenant d’une main de fer et depuis des dizaines d’années un pays tout entier dans la terreur. Il y avait, et il y a toujours des démocrates, des féministes, des défenseurs acharnés des droits de l’homme à soutenir de toutes nos forces contre un appareil d’Etat ancien, expérimenté, et implacable. Contre une dictature qui a hébergé des criminels nazis sur son sol dès les années 1950 et a depuis alimenté et financé de nombreux réseaux d’extrême-droite antisémite, le dernier en date étant celui de la mouvance dieudonniste.
La solution en Syrie, aujourd’hui, n’est certes pas aussi simple qu’un baril de bombes à jeter sur quelques milliers de terroristes fanatiques. La dictature d’Assad et Daech se renforcent mutuellement, les crimes de l’un permettent les crimes des autres. Les deux ont les mêmes fins et les mêmes moyens. Il s'agit pour eux de construire ou de perpétuer un Etat totalitaire, en persécutant les minorités, en commettant les pires crimes contre l’humanité, en éradiquant consciencieusement et physiquement toutes les voix qui osent s’élever contre la barbarie.
Depuis quatre ans, la solidarité avec la révolution syrienne est combattue simultanément avec des mensonges jumeaux : d’un côté, ceux qui cachent leur soutien à Assad derrière "la lutte contre le terrorisme". Ils cherchent à nous faire croire qu’une prétendue « guerre des civilisations » nécessiterait l’alliance avec un dictateur décrété « laïque » seul à même de contenir le « danger islamiste ». De l’autre, ceux qui motivent le même soutien à Assad au nom de la lutte contre l’ « impérialisme occidental ». Ils prétendent que tout soutien concret aux démocrates syriens,toute réaction de la communauté internationale contre le dictateur serait forcément au service des intérêts économiques des gouvernements occidentaux.
Les auteurs de ces mensonges sont présents dans tout le champ politique . Nous avons d’un côté Ménard maire de Béziers qui inaugurait dès cet automne les visites officielles d’élus aux dignitaires du régime syrien. Il a été suivi depuis par plusieurs députés de l’UMP et du PS. De l’autre Dieudonné, Soral et leur mouvance, mais aussi une partie du Front de Gauche qui n’a pas hésité à manifester aux côtés de l’extrême-droite « contre la guerre impérialiste en Syrie » au moment où Assad venait d’utiliser l’arme chimique contre les civils syriens.
Depuis quatre ans, ces mensonges ont empêché le développement du soutien aux démocrates syriens, eux que les propagandistes des deux camps assassinent une deuxième fois en niant leur existence.
L’islamophobie et l’antisémitisme qui grandissent dans notre pays ont contribué à populariser ces mensonges. Pour beaucoup, il n’y avait que des « barbares islamistes » à défendre en Syrie, et pour beaucoup d’autres, l’opposition à Assad ne représentait qu’une manoeuvre du "grand complot sioniste". Et puis de toute façon la Syrie, c’était loin, et les Français avaient d’autres chats à fouetter. Jusqu’à ce que la Syrie, ce soit ici. Jusqu’à ce que les marées du sang versé par le dictateur et ses alter-ego de Daech nous engloutissent à notre tour.
C'est alors que nous nous sommes retrouvés pris au piège des renoncements que nous dénonçons. Depuis quatre ans, en laissant commettre le massacre de la révolution syrienne, les Etats ont montré leur indifférence au respect de la vie humaine. Aujourd’hui les bourreaux ricanants de Daech nous renvoient en pleine face notre indifférence : lorsqu’ils mettent en scène leurs crimes atroces, ils nous rappellent qu’ils n’ont pas peur de notre réaction, car nous nous ne sommes pas mobilisés face à tant d’autres crimes atroces commis par Assad. Et que nous voulions l’admettre ou non, nos appels à la solidarité de tous les démocrates, de tous les défenseurs des droits humains, nous les lançons aussi devant les tombes de démocrates et de défenseurs de droits humains qu'on a laissé mourir seuls.
Nous pouvons continuer comme ça, ou décider d’être un autre "nous" : celui de l’espoir, de la lutte contre toutes les dictatures, celle d’Assad et de l’Etat Islamique.
Ce samedi, dans le monde entier, auront lieu des manifestations de solidarité avec la révolution syrienne, pour que cesse le flot de sang déversé sur toute une population qui a eu le courage de se révolter.
Samedi et tous les autres jours #NousSommesSyriens, pour l’espoir, pour la démocratie et pour la vie.
MEMORIAL 98