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L'association MEMORIAL98, qui combat contre le racisme, l'antisémitisme et le négationnisme a été créée en janvier 1998, lors du centenaire de l'affaire Dreyfus.  

Son nom fait référence aux premières manifestations organisées en janvier 1898, pendant l'affaire Dreyfus, par des ouvriers socialistes et révolutionnaires parisiens s'opposant à la propagande nationaliste et antisémite.

Ce site en est l'expression dans le combat contre tous les négationnismes

(Arménie, Rwanda, Shoah ...)

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Retrouvez aussi le quotidien de l'info antiraciste sur notre blog d'actus :

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7 mars 2015 6 07 /03 /mars /2015 23:15

Ce matin de septembre 2016, c’est la rentrée dans un collège d’un quartier populaire du département.

Comme beaucoup, il a piètre allure: les fondations d’un bâtiment et un trou béant voisinent avec un préfabriqué aux parois fissurées. Les travaux de réfection ont été déprogrammés. Dans un autre établissement de cette commune populaire, fenêtres brisées et grilles rouillées donnent une drôle d’impression d’abandon. Le Conseil Général avait prévenu, plus question de réparer quoi que ce soit, ça apprendra le civisme aux familles. Mais des affichettes pimpantes avec un cochon souriant détaillent le menu de la cantine. Elle propose charcuterie et plats à base de porc au moins deux fois par semaine, et rappelle que toute absence répétée sera due : l’élève contrevenant sera exclu du bénéfice de la cantine.

Par contre, les collèges privés ont fière allure depuis que leurs financements départementaux ont été doublés.

 

À la crèche, tout a changé, depuis que l’ancienne directrice a quitté son poste, et que le nouveau directeur a pris les rênes. Dans la cour, des tables à langer rose bonbon voisinent avec des voitures à pédale bleu azur et les puéricultrices veillent à ce que petits garçons et petites filles jouent bien avec l’un ou l’autre. Bien sûr, tout n’est pas allé de soi et des parents inquiets ont bien protesté quand leurs petites filles se faisaient rabrouer lorsqu’elles voulaient conduire la voiture. Mais une place en crèche est difficile à obtenir, et bien d’autres soucis accaparent les familles modestes.

 

Plus question en effet d’obtenir une quelconque aide pour un retard de loyer ou une facture EDF trop lourde. Les conditions d’accès au Fond Solidarité Logement ont été restreintes, le Conseil Général considérant qu’ « il ne faut pas encourager les gens à vivre au-dessus de leurs moyens ». Ces prestations ne représentaient déjà pas grand-chose, désormais, elle sont quasi-impossibles à obtenir. De même, les financements des organismes caritatifs ont été drastiquement réduits : les anciennes structures, jugées trop généreuses et pas assez sélectives ont vu leurs financements supprimés. Désormais les colis alimentaires sont distribués après constitution de dossiers complexes et chaque association doit faire valider sa liste d’attributaires par une commission où siègent les élus du Conseil Général. Un fichier central des demandeurs croise les informations des services chargés du RSA, de ceux de l’Aide Sociale à l’Enfance et de la CAF pour évaluer le degré d’assistanat des personnes. Par ailleurs, pour que seuls ceux qui ont vraiment besoin de ces colis en bénéficient, la seule structure d’accueil financée par le Département se situe dans le chef-lieu. Quand on vraiment besoin, on se déplace.

 

D’ailleurs les financements ont aussi été coupés pour la prévention contre le SIDA ou la tuberculose, et la plupart des dispensaires encore existants sont fermés : le nouveau Conseil Général prône une politique d’ « autonomisation des individus face au risque santé ».

 

C’est également ce qui a conduit le Département à revoir totalement les modes d’attribution du RSA. La pression était déjà très forte auparavant sur les précaires, mais cela ne suffisait pas. Désormais, ceux-ci sont contraints d’accepter toute offre d’emploi, à temps plein ou partiel, dans n’importe quel domaine et n’importe où dans le département. Sinon, ils voient leur allocation retirée, et c’est désormais appliqué de manière automatisée. Ces offres sont de plus en plus précaires, de plus en plus souvent bien au-dessous du SMIC mensuel. Le Conseil Général responsable de la gestion des personnels territoriaux ne remplace plus aucun départ à la retraite. Il recrute quasi uniquement par le biais des contrats précaires d’insertion dont le salaire est financé par l'Etat. C’est pratique, et pas cher. Même pour des postes exigeant certaines qualifications précises, on trouve toujours quelqu’un dans le vivier des chômeurs n’ayant plus rien pour vivre s’ils refusent. Plus pratique encore, le recours à des sous-traitants privés ; de nombreuses entreprises d’insertion ont été montées par des amiEs du président du Conseil Général. Elles assurent des prestations de nettoyage, de bâtiment, d’entretien des espaces verts, des tâches administratives pour le compte du département en employant uniquement des CDD à temps partiel. Elles sont en lien direct avec les structures chargées de surveiller les allocataires du RSA. Elles ont donc toujours à disposition un vivier de précaires, sommés d’accepter les offres sous peine de radiation immédiate.

 

Bien sûr, la révolte gronde, mais elle s’exprime difficilement. Ceux qui protestent risquent gros, car tout se sait, et la moindre faille d’une vie est vite exploitée. On ne s’en rendait pas compte avant, mais après vingt ans de lois créant divers fichiers, et élargissant les personnes autorisées à y accéder ainsi que le délai de conservation des données, c’est fou tout ce qu’un élu de Conseil Général peut savoir sur vous. Les traces d’une hospitalisation en psychiatrie conservées dans le dossier social, un problème rencontré avec une assistante sociale de l’Aide Sociale à l’Enfance à qui l’on a un jour demandé une aide financière, une interpellation par la police municipale d’une mairie amie… .Tout cela ressort vite pour appuyer une décision de placement des enfants, une procédure d’expulsion du bailleur HLM contrôlé par le département pour « troubles de voisinage », une procédure de licenciement, un contrôle de la CAF et/ou une radiation définitive du RSA ou de l’Allocation Parent Isolé.

 

Souvent, cela ne sort même pas du cadre strict de la légalité, car les lois votées depuis vingt ans permettent beaucoup de contrôles et de recoupement d’informations. Sous couvert de lutte contre « la fraude », elles donnent aux agents de contrôle un pouvoir de décision quasiment absolu. Les possibilités de recours ont complexes et peu susceptibles d’aboutir. Mais dans d’autres cas, les mesures prises ne respectent pas du tout la légalité. Simplement, tout le monde se connaît mieux qu’avant à la tête des structures sociales et des services administratifs divers gérés par le département ; tout le monde s’informe, puisque presque tout le monde appartient au même parti. Il y a eu beaucoup de démissions depuis avril 2015, dans les postes décisifs, et aussi quelques articles de plus en plus rares dans la presse locale sur des cas répétés de harcèlement moral destinés à faire partir ceux qui résistent. Il y a aussi beaucoup de nouveaux arrivés, parfois de l’autre bout du pays. L’écrasante majorité de ces nouveaux promus appartient au parti du président du Conseil Général. Et comme répond systématiquement ce Président du Conseil Général aux quelques médias nationaux qui viennent parfois enquêter dans le coin, « allez voir la Ligue des Droits de l’Homme si vous n’êtes pas contents, on se tiendra au courant ». Cette petite blague est une référence aux photos en gros plan sur le dernier rassemblement organisé par la LDH devant le Conseil Général, photos publiées dans le journal de la collectivité territoriale, assorties de commentaires choisis sur certains manifestants.

 

Bien sûr le Conseil Général ne contrôle pas tout dans le département, et bien des mairies y sont gérées par des adversaires politiques du nouveau Président. Mais il y a peu de conflits ; les élus municipaux des différentes communes préfèrent ne pas trop parler de la politique départementale. Ceux qui s’y sont risqués ont en effet eu quelques problèmes : la fermeture d’un centre de sécurité incendie sous prétexte d’optimisation des moyens, le refus de réfection d’une route départementale défoncée, la suppression d’arrêts de bus essentiels, un refus de financement pour des travaux sur une station d’épuration d’eau.

 

Bref, il y a comme une chape de plomb pesante sur la vie quotidienne, dans tous ses aspects. D’autant que bien des services ont disparu ; on pouvait les trouver insuffisants, mais on n’aurait quand même pas imaginé la disparition ou la totale transformation. Le Planning familial a fermé, la moitié des bibliothèques départementales va fermer aussi. On n’ira jamais au Musée de la Résistance que l’on comptait bien visiter un jour, il a fermé, et sera remplacé par un "Musée de la Résistance Nationale", qui intègrera des salles consacrées à l’héritage social de Vichy et aux drames de l’Épuration dans le département.

 

Brutalité feutrée est sans doute le terme le plus adapté à la situation. La vie quotidienne des classes populaires est devenue encore plus difficile qu’avant. La délation, accompagnée de l’habituelle peur sourde qui va avec, constitue le lot ordinaire. Mais personne ne semble trouver les mots pour décrire le changement. En effet ce qui se passe ne repose pas sur de nouvelles lois, sur un bouleversement visible des institutions. Les catégories sociales qui sont attaquées avec une violence redoublée ne sont pas de celles dont les médias et les politiques se solidarisent habituellement. Le discours anti-immigration, anti-jeunes des quartiers populaires, anti-chômeurs n’est pas l’apanage du président du Conseil Général. Les lois et règlements qui permettent d’exercer une pression accrue sur les gens n’ont pas été créés par son parti.

 

Pour les autres partis, se livrer à une critique approfondie et crédible de la politique menée dans le département nécessiterait de remettre en cause en profondeur leur propre logiciel politique.

Personne ne l’envisage vraiment dans ces partis. Alors, la plupart du temps, leurs responsables se contentent de dénoncer quelques « dérapages » repris par les médias, mais ce terme même de « dérapage » accrédite l’idée que la politique menée par le Président du Conseil Général serait globalement « normale ».

 

D’ailleurs en ce mois de septembre 2016, le Front National au pouvoir, c’est déjà presque normal. Il gère une dizaine de mairies depuis 2014, il a des députés européens, des députés à l’Assemblée, des sénateurs, et depuis les cantonales de 2015, il est à la tête de certains départements. Sa présence au gouvernement en 2017 aussi apparaît aussi comme une anticipation possible .

Comme l’est le texte qui précède ; nous sommes en réalité en mars 2015, la perspective de la prise de départements par le FN aux cantonales est probable, comme celle de voir une partie des notables locaux de l’UMP faire alliance avec l’extrême-droite pour remporter ces départements.

 

Le sentiment dominant n’est pas l’enthousiasme, mais le fatalisme devant le fascisme, un fatalisme qui imprègne désormais la vision de la vie de beaucoup d’entre nous : « tout est de pire en pire, mais pourquoi s’en préoccuper puisqu’on n’y peut rien ? ».

En arrière plan, s’impose aussi l’idée que le Front National au fond sera dans la continuité du pire déjà existant, sans plus. C’est ce qu’ont très bien compris les dirigeants du FN, qui dès leurs victoires aux élections municipales ont donné des consignes claires à leurs maires. Ils doivent s’appuyer sur les législations existantes, prendre des mesures stigmatisantes déjà appliquées ailleurs par d’autres maires. Cela va de l’armement de la police municipale, à l’inauguration de places consacrées à des partisans de l’Algérie Française, en passant par les couvre-feux pour les mineurs ou l’exclusion de la garderie pour les enfants de chômeurs.

Dans toutes les mairies FN, on accentue les politiques racistes, anti-sociales et sécuritaires, on ne les invente pas, mais on va plus vite et beaucoup plus fort.

 

La stratégie est intelligente. De toute façon, tant que le pouvoir de faire la loi n’est pas du côté des fascistes, des mesures illégales seraient attaquées en justice, pleinement médiatisées et inapplicables. De même des excès de violence dans les villes gérées par le FN, perpétrées par les milices qui lui sont liées, pourraient porter préjudice à l’ascension du vote fasciste. Elles choqueraient notamment l’électorat de droite, qui déteste tout ce qu’il perçoit comme désordre. C’est la raison pour laquelle des membres du GUD ou du Bloc Identitaire sont intégrés dans les équipes municipales, mais n’interviennent pas avec leurs troupes dans les villes concernées. C’est évidemment aussi la raison pour laquelle Marine Le Pen « suspend » certains petits candidats qui sont allés trop loin dans la franchise concernant leur programme politique réel. Le moment n’est pas encore venu.

 

Au vu des politiques anti-sociales, teintées d’un racisme structurel menées par la majorité gouvernementale actuelle, l’intérêt de cette stratégie « lisse » du FN est aussi d’encourager la démobilisation abstentionniste de celles et ceux, qui, demain, seront les premières cibles en cas de victoire frontiste. Il s’agit notamment des chômeurs, des précaires, des populations issues de l’immigration

 

Les véritables abstentionnistes de gauche sont ceux qui nous gouvernent, ceux qui nous somment de renoncer à tout progrès social. Ils s’abstiennent de mener la politique pour laquelle ils ont été élus. On conçoit dès lors que leurs injonctions soient si mal reçues.

 

Les abstentionnistes issus des classes populaires n’ont pas de raison de culpabiliser pour leur seule abstention électorale : la colère contre le gouvernement actuel est légitime, la méfiance totale vis-à-vis de forces de gauche qui ne font rien une fois arrivées au pouvoir et aggravent même la situation aussi. En revanche, nous avons toutes les raisons de remettre en cause notre abstention politique globale, qu’il s’agisse du vote antifasciste ou de la mobilisation antifasciste. De fait, nous avons tout à perdre dans l’abstention et la non-mobilisation. L’absence de rapport de force sur des valeurs progressistes entraîne à la fois l’ascension vers le pouvoir des fascistes et la poursuite des politiques antisociales des autres partis. Laisser passer le FN aux échéances électorales, c’est aussi laisser entendre qu’un parti peut nous condamner ouvertement au pire sans que nous réagissions. Dans ces conditions, comment la gauche au pouvoir pourrait-elle ressentir la moindre pression pour avancer en quoi que ce soit sur un programme social et antiraciste ? L’abstention, dans le contexte actuel est avant tout une sanction contre nous-même. Depuis des années, chaque soir d’élection, quel que soit le niveau d’abstention, c’est bien le score du FN qui sert de prétexte aux responsables politiques pour reprendre ses discours et appliquer une partie de son programme.

Notre démobilisation arrange beaucoup de monde.

Ne restons pas les bras croisés à regarder se creuser notre propre tombe.

 

MEMORIAL 98

 

 

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