Dieudonné a abandonné -temporairement?- son habituel langage codé sur les « sionistes » et n’hésite plus à stigmatiser ouvertement « les Juifs »
"Les gros escrocs de la planète sont tous des Juifs", déclare-t-il, « répondant » ainsi à Zemmour, qui avait affirmé que "la plupart des trafiquants (étaient) noirs et arabes". Il poursuit : "Il faut être Juif pour avoir la liberté d'expression en France. C'est une réalité. Et dire le contraire, c'est avoir peur. Mais on n'a plus peur. Ils nous ont tout fait. Ils nous ont traînés dans la boue, ils nous ont mis à l'état d'esclaves. Ils nous ont colonisés." Et de conclure : "La mort sera plus confortable que la soumission à ces chiens".
Ce changement de vocabulaire est à priori étonnant chez quelqu’un qui a soigneusement veillé à maintenir la fiction d’un combat exclusif contre les « sionistes ». Ses alliés de la « liste antisioniste » et du parti du même nom maintenaient la même fiction (voir Interdire les listes de Dieudonné ? )
Dans le climat crée récemment par la « libération de la parole » xénophobe, Dieudonné repousse les limites de la provocation. Les propos d’Hortefeux, puis de Zemmour, lui permettent de justifier un discours ouvertement antisémite, présenté comme une "riposte des opprimés".
De plus, Dieudonné constate qu’on peut débiter des appels à la haine et à la violence, sans avoir à pâtir de conséquences particulières. Après avoir célébré le négationniste Faurisson fin 2008 au Zénith, puis encensé Céline, puis moqué la « Shoah- ananas », il garde néanmoins une forme d’impunité.
Il est régulièrement invité dans l’émission de débats de Frédéric Taddéi . L’ancien responsable des Guignols Bruno Gaccio publie avec lui un livre de débat sous la houlette de Robert Ménard (ex-animateur de Reporters sans frontières et maintenant défenseur de la peine de mort)
Le régime iranien lui garantit un soutien matériel constant à la fois par convergence idéologique et aussi en échange de ses propres déclarations à la gloire de la « démocratie iranienne ». On notera à ce propos la récente rencontre de l’ambassadeur iranien avec la fine fleur de l’extrême-droite parisienne (voir link)
Il y a donc chez Dieudonné et son compère Alain Soral une radicalisation croissante et aussi une volonté d’explorer les limites de la violence du discours dans l’espace public.
Mais dans cette escalade il y a aussi un lien politique avec la succession de Le Pen et les débats en cours au sein du Front national.
Celui-ci est partagé entre le courant « moderne » de Marine Le Pen, peu intéressé par la référence antisémite permanenete, et les traditionalistes de Gollnisch, lui-même condamné pour négationnisme et entouré de néo-nazis.
Le premier contact de Dieudonné avec le FN portait d’ailleurs dès Mars 2005 sur la défense de Gollnisch, au moment où ce dernier devait rendre compte de ses propos négationnistes
Puis ce fut le rapprochement avec Jean-Marie Le Pen, que ce dernier expliquait ainsi :
"J'ai de l'estime pour Dieudonné, nous nous sommes rapprochés car nous avons des points communs. Nous appartenons tous les deux à la communauté des parias... Nous sommes persécutés de la même manière, à cause de notre liberté de pensée et de notre liberté de parole" (voir Le Pen et Dieudonné: la grande famille des antisémites. )
Dans l’affrontement en cours, Le Pen soutient la candidature de sa fille Marine à sa succession. Mais à la veille de passer partiellement la main il tient à marquer profondément la matrice antisémite de son mouvement.
Car pour lui, la revanche de la deuxième guerre mondiale et des années 1930 est toujours d’actualité. C’est le sens de l’obsession du « détail » que représenterait la Shoah, reprise régulièrement depuis 1987 ( Le Pen et le "détail": décryptage ) .
C’est aussi le sens de références codées à Laval ou au statut des Juifs promulgué par Pétain (voir Le Pen et les "3 grands-parents étrangers" de Sarkozy
Le Pen manipule la mémoire et les banlieues ).
Dans un provocation passée inaperçue de fin 2008, Le Pen présentant ses vœux de Noël à la radio et à la télévision récitait le poème « Noël en taule » " de Robert Brasillach, écrit dans la prison de Fresnes où, ce fasciste déclaré, qui ne cessa de dénoncer nommément des Juifs et des résistants, attendait son procès à l’issue duquel il fut fusillé pour intelligence avec l’ennemi
Pour l’encore actuel président du FN, les Juifs demeurent les ennemis éternels du nationalisme car ils sont les porteurs du « mondialisme » abhorré. En cela Le Pen est un héritier des thèses nazies.
C’est ce besoin de revanche qui explique aussi sa déclaration du 25 avril dernier sur Pétain "sauveur des Juifs français".
Ainsi Dieudonné se positionne dans le débat au sein du Front National, qui obsède d’ailleurs toute l’extrême-droite, membre ou pas de ce parti, et aussi une fraction importante de la droite
On peut ainsi noter que Zemmour (dont on espère qu’il aura à rendre compte de ses propos xénophobes voir Eric Zemmour: faux rebelle, vrai raciste. ) défend dans les colonnes du Figaro la nécessité d’une alliance électorale entre le Front National et l’UMP.
Loin d’être de simples « bouffons », ces agitateurs médiatiques participent à leur manière aux soubresauts de la recomposition à l’extrême-droite de l’échiquier politique.
Note:
A la veille du 1er mai et de la parade lepéniste qui a lieu ce jour là, nous nous souvenons que le 1er mai 1995 Brahim BOUARAM, jeune marocain de 29 ans, a été assassiné par des militants d'extrême droite participant à un cortège du Front National et qui l'ont jetté à la Seine.
Comme chaque année nous nous retrouverons avec plusieurs associations sur le pont du Carrousel le 1er mai à 11h pour honorer sa mémoire.
MEMORIAL 98