L'avocat Francis Szpiner, défenseur en principe de la famille Halimi, a joué un rôle particulier tout au long du procès, notamment dans les médias. C'est lui qui a prétendu vouloir mener le « procès de l'antisémitisme des banlieues ». Comme si un procès d'assises, qui plus est non-public, pouvait remplacer le combat contre le racisme et l'antisémitisme et devait de plus donner lieu à des généralisations abusives. Szpiner a également bloqué la constitution des organisations antiracistes en tant que parties civiles en se prévalant d'un refus de la famille.
La manipulation est une constante chez celui qui a toujours incarné la confusion du barreau et du pouvoir. Proche de Chirac, il participe pendant les années 1995-2002 à l'activité de la cellule juridique de l'Elysée (surnommée le "cabinet noir") autour de Dominique de Villepin, chargée de suivre les affaires politico-financières. Il fut aussi l'avocat de la Mosquée de Paris et de Dalil Boubakeur dans l'affaire des caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo et dans laquelle Sarkozy fit parvenir un courrier de soutien au journal.
De manière générale, les différents avocats et le procureur Bilger ont joué avec les médias, se répandant en déclarations et tribunes d'autant moins vérifiables que le procès se déroulait à huis clos. Des débats télévisés ont eu lieu dès le début du procès, notamment une certaine émission de « Mots croisés » tournant à la foire d'empoigne entre les différents avocats des parties civiles et de la défense.
Il faut donc pouvoir s'extraire de l'atmosphère particulière qui a entouré ce procès au cours duquel Fofana a choisi une posture d'islamiste et de héros autoproclamé du monde arabe et a accentué jusqu'à la caricature le contenu antisémite de ses actes. Il a sans doute été conseillé dans ce sens, de même qu'il n'a pas déniché par hasard son avocat Ludot, proche d'Alain Madelin et ancien défenseur de Saddam Hussein (voir plus loin sur le soutien de Kémi Seba)
Au-delà de cette atmosphère délétère, le principal constat est qu'il s'agissait bien, pour les chefs de la bande, d'un crime à caractère antisémite, et donc raciste. Fofana n'a pas cherché à enlever une personne fortunée mais un Juif, presque au hasard. Il voulait exploiter la richesse supposée « des Juifs » et leur capacité et habitude de payer pour pouvoir récupérer l'un des leurs. Il a d'ailleurs fait appel à un rabbin, trouvé dans l'annuaire, pour transmettre des messages à la famille, qu'il considère comme responsable de l'échec de son affaire pour n'avoir pas payé l'énorme rançon exigée. Sarah, qui a servi d'appât, a raconté aux enquêteurs la teneur d'une discussion avec Youssouf Fofana : « D'après lui, les Juifs étaient les rois, car ils bouffaient l'argent de l'État et lui, comme il était noir, était considéré comme un esclave par l'État. » À partir de cette première déshumanisation de l'otage, il n'a pas hésité à le torturer longuement. Ilan Halimi été tondu, poignardé, brûlé, et abandonné mourant le long d'une voie ferrée.
Cette question de l'antisémitisme est lancinante et douloureuse, notamment pour la mère d'Ilan. Elle accuse les policiers de ne pas avoir tenu suffisamment compte du fait que son fils courait un danger particulier, parce que Juif. Pour elle qui entend mener un combat de principe contre l'antisémitisme, la non-publicité du procès signe une défaite et engendre une inquiétude, la poussant même à une référence abusive à la Shoah : elle déclare ainsi : «... La France aurait pris conscience qu'aujourd'hui, la Shoah recommence. L'état dans lequel Ilan a été retrouvé, ce qu'on lui a fait subir est inadmissible. Si le débat avait été public, la réalité aurait été tout autre », elle assure que jusqu'à sa mort, elle dira "...qu'aucun jeune, quelle que soit son origine, ne doit (pas) être la victime de ce genre de crime... » On peut souhaiter avec elle que tous les crimes et toutes les agressions racistes soient traitées avec sérieux et sévérité.
Séparer ou opposer la lutte contre le racisme et le combat contre l'antisémitisme est en effet injustifiable et produit des dérives
Il est ainsi utile de revenir sur la position adoptée à l'époque par certains courants qui auraient dû y participer.
En effet, une partie de la gauche radicale dont la LCR, l'UJFP ainsi d'ailleurs que le MRAP boycotta la manifestation de protestation du 26 Février 2006 après la mort d'Ilan Halimi, appelée par le CRIF, SOS-Racisme et la LICRA.
Les deux arguments avancés par les directions de ces organisations pour ne pas participer à cette initiative tenaient à « l'incertitude » sur le caractère antisémite du crime et à la présence annoncée de De Villiers. Sur ce dernier point, SOS Racisme et la Licra expulsèrent immédiatement de Villiers dès le début du cortège et il quitta les lieux, alors que le CRIF était disposé à accueillir ce croisé xénophobe.
Mais surtout les organisations abstentionnistes tergiversaient sur le caractère de ce crime et se retranchaient derrière la police et la justice qui n'avaient pas établi le caractère antisémite de l'affaire. Cet étrange prétexte, s'agissant d'organisations habituellement peu enclines à s'aligner sur les analyses policières, témoignait d'une réticence habituelle à s'emparer du combat contre l'antisémitisme, en raison des liens supposés avec la situation au Moyen-Orient.
À l'inverse dans les groupes antisémites virulents, Fofana est défendu voire encensé.
Ainsi l'agitateur Kemi Seba s'est proclamé protecteur de Fofana au nom de ses groupes successifs. Voici le courriel que la « Tribu Ka » qu'il dirigeait envoyait à des organisations juives fin février 2006, après l'assassinat d'I. Halimi :
« Message de la Tribu K.A à la communauté juive.
Nous observons depuis ces derniers jours suite à la mort du vendeur de portable Ilan Halimi qu'une véritable chasse à l'homme se dessine envers Y. Fofana, accusé par votre communauté d'être responsable de la mort de l'un d'entre vous.
Nous n'irons pas (par) quatre chemins, que notre frère soit coupable ou pas, nous vous prévenons que si d'aventure, il vous prenait l'envie d'effleurer ne serait-ce qu'un seul des cheveux du frère, au lieu de lui laisser avoir un procès équitable, nous nous occuperons avec soin des papillotes de vos rabbins, et croyez nous, vos pseudo services de sécurité de la LDJ ou du Betar ne vous seront d'aucune aide face à la volonté de justice des nôtres.
Laissez le frère se faire juger équitablement ou vous paierez. Kémi Séba, Fara de la Tribu K.A »
Kemi Seba est de nouveau intervenu dans ce sens lors de l'arrestation de Fofana en Côte-d'ivoire, puis récemment en mai 2009.
Dans cette même dernière période, le « Mouvement des Damnés de I'impérialisme » qu'il dirige maintenant vient d'intégrer dans ses rangs le négationniste vétéran Serge Thion.
L'avocate garaudyste Coutant-Peyre, compagne de Carlos et soutien de la campagne Dieudonné-Soral-Gouasmi, a été quelque temps dans la défense de Fofana avant qu'il la récuse en tant que « juive » et donc dangereuse.
Elle déclare conserver toute son admiration envers Fofana, "extrêmement courageux et très intelligent", comparé aux « militants d'extrême-gauche » des années 80 (Action Directe et RAF). Il ne serait pas coupable de la mort d'Ilan Halimi en raison de la "complicité objective" policière qui aurait "laissé passer le temps". Les autorités auraient décidé d'attendre que le drame s'accomplisse afin que survienne une "affaire emblématique" de la montée de l'antisémitisme (voir notre article précédent Procès Fofana : décryptage )
Le combat contre le racisme et l'antisémitisme est, plus que jamais, d'une actualité brûlante.
Albert Herszkowicz
MEMORIAL 98