Mise à jour du 12 décembre 2018
Dans la nuit de lundi 10 à mardi 11 décembre, le cimetière juif d’Herrlisheim près de Strasbourg a été une nouvelle fois profané : tags nazis et antisémites, stèles renversées, mémorial aux victimes de la Shoah vandalisé. Ce cimetière avait été saccagé en 2004 par des néo-nazis ( voir ci-dessous)
Par une coïncidence terrible, cette profanation a eu lieu la veille de l'attentat commis par Chérif Chekatt à Strasbourg.
MEMORIAL 98
Déclaration de Memorial 98 (www.memorial98.org) qui lutte contre tous les racismes et tous les négationnismes
L'attaque d'une synagogue à Copenhague et le meurtre d'une des personnes présentes sur place constitue un crime raciste et antisémite. Il s'inscrit dans la lignée des actes de Merah, Nemmouche et Coulibaly qui ont tué des personnes parce que celles-ci étaient juives.
Il s’inscrit également dans le cadre de la résurgence massive de l’antisémitisme européen : encouragé par certains gouvernements comme ceux de la Russie et de la Hongrie, les antisémites de toutes tendances sévissent impunément. Le négationnisme, les théories du "complot juif", la désignation de personnalités comme faisant partie de ce prétendu complot ne sont pas l’apanage des sectes intégristes meurtrières se réclamant de l’islam.
L’offensive culturelle est massive, elle émane aussi bien d’une extrême-droite à la tête de médias de masse, que de personnalités politiques de tous bords qui ne cachent plus leurs idées. La dernière déclaration de Roland Dumas concernant Valls qui serait « probablement » sous influence juive en témoigne. De même pour la réhabilitation du régime de Vichy par Eric Zemmour. Dumas s'est d’ailleurs rangé depuis très longtemps du côté de Dieudonné et de la famille Le Pen ; en décembre 2006 il était déjà présent au Zénith pour applaudir le négationniste Faurisson, invité par Dieudonné. Il y côtoyait amicalement tout le gratin du FN ainsi que Soral.
La mondialisation de la haine antisémite est indéniable. Aujourd’hui, l’Internationale antisémite se matérialise notamment, en France, par la proximité du FN avec la Syrie de Bachar El Assad, terre d’accueil de criminels de guerre nazis, plaque tournante des réseaux antisémites depuis des dizaines d’années et dictature tout aussi sanguinaire que Daech, dont elle a encouragé le développement.
Cet exemple de proximité entre un parti d’extrême-droite violemment raciste et islamophobe, et un dictateur antisémite qui accueille notamment l’un des leaders de la haine conspirationniste européenne, Thierry Meyssan, devrait nous alerter sur le danger des thèses et des initiatives visant à opposer lutte contre l’antisémitisme et lutte contre le racisme, à dresser les victimes les unes contre les autres. Le refus de regarder la réalité en face n’est pas du côté de celles et ceux qui continuent à affirmer que tous les racismes sont liés, que tous les fascismes et les intégrismes s’alimentent les uns les autres, dans une guerre de tous contre tous qui les nourrit.
Nous saluons la mémoire de toutes les victimes et réaffirmons nôtre volonté de lutter contre tous les racismes. Nous rappelons la protection des Juifs danois pendant la guerre, à lire sur le site Memorial 98: "... Et surtout, le gouvernement danois refuse tout au long de l’occupation les mesures anti-juives. En 1943 le Danemark est déclaré pays ennemi, le gouvernement est destitué par les nazis, ceux-ci entreprennent de déporter les juifs danois. Mais seuls 450 d’entre eux seront arrêtés, car l’information ayant filtré, les Juifs sont prévenus et peuvent se cacher, en attendant d’être transportés en bateau jusqu’en Suède, pays neutre et synonyme de sécurité." La différence avec le régime de Pétain est flagrante.
Le lendemain de l’attaque de Copenhague, une profanation antisémite, conduisant à la destruction de centaines de tombes du cimetière juif et à la dégradation du monument consacré aux victimes de la barbarie était réalisée par un groupe de cinq jeunes dans la petite ville alsacienne de Sarre-Union.
Dans cette région, de nombreuses profanations de tombes juives et musulmanes et d'autres actes racistes ont été commis durant ces quinze dernières années par des membres de groupes néo-nazis. Un des cas les plus connus est le saccage du cimetière juif d'Herrlisheim en 2004.
Pourtant dès que l’identité des jeunes de Sarre-Union a été connue, écartant la possibilité d’un quelconque lien avec les attaques terroristes, le procureur jugeait nécessaire de s’interroger sur le caractère antisémite de la profanation. Il a aussi expliqué que ces jeunes « sans antécédents judiciaires » ne venaient pas de « familles à problèmes », mais étaient tous « originaires de la région », et qu’ils ne se « rendaient pas compte de la gravité de leurs actes ». Certains médias comme TV5 Monde n’hésiteront pas à parler d’ « emballement médiatique ».
Pourtant, rien, à part la parole des auteurs, ne laissait penser qu’il ne s’agissait pas d’un acte antisémite, et pour cause : détruire plusieurs centaines de tombes prend plusieurs heures et ne laisse aucune place à la spontanéité, où à l’ignorance de ce qu’elles étaient.
Que cette parole soit prise au sérieux lorsqu’il s’agit d’actes de cette gravité, en dit long sur la complaisance politique, judiciaire et médiatique vis-à-vis de certaines formes d’antisémitisme , d’autant plus lorsque 24 heures plus tard, ce même procureur, ces mêmes médias, devront s’incliner devant l’évidence des preuves. Les jeunes en effet avaient manifesté leurs sympathies antisémites par des saluts nazis et des propos sans ambiguïté.
Cette complaisance contraste évidemment avec la vague répressive qui a suivi les attentats de janvier à Paris. Une vague qui a conduit des enfants de huit ou dix ans au commissariat. On a vu aussi des malades mentaux et des personnes en état d’ébriété condamnées à plusieurs années de prison après des procédures expéditives, et pour des propos même pas forcément prouvés. Dans l’immense majorité des cas, ces personnes étaient musulmanes ou issues de l’immigration.
Force est de constater que la lutte réelle contre l’antisémitisme se cantonne à une catégorie d’auteurs précis et épargne globalement l’extrême-droite française et toutes celles et ceux qui pourraient avoir un lien avec elle. Dès lors que l’on n’est pas en présence d’un antisémitisme que l’on puisse rattacher à l’islam ou à l’immigration, les Juifs sont alors sommés, comme les musulmans et les autres victimes de racisme, de « ne pas s’emballer ».
Pourtant, ces dernières semaines, c’est bien une campagne de propagande néo-nazie nationale qui émerge sur les murs de la France entière : à Challand, des dizaines de croix gammées en une nuit dans toute la ville, près de Castelnaudary un foyer entièrement recouvert de ces mêmes croix gammées et slogans nazis, un lycée à Nevers où plusieurs vagues de dégradations néo-nazies ont eu lieu, à Elbeuf les dégradations ont été faites directement sur la synagogue. A Issoudun des inscriptions comme « Les Juifs dans les chambres à gaz » sur un gymnase portant le nom d’un industriel d’origine juive, à Blois des croix gammées dans la rue des Juifs.
Et durant tout le mois de janvier, beaucoup des mosquées attaquées étaient aussi couvertes d’inscriptions néo-nazies.
Or cette vague d’attaques est minimisée, dépolitisée, alors que le lien est évident avec les tueries antisémites mais aussi avec les 70 ans de la libération des camps nazis. Même confrontés à ces faits, beaucoup aujourd’hui affirment « oui, mais l’extrême-droite européenne ne tue pas ».
Amnésie terrifiante en ce qu’elle occulte une actualité très récente : l’assassinat par Anton Breivik de 77 personnes lors de deux attaques ayant fait de plus 151 blessés. Le meurtre d’au moins dix personnes par un groupe de néo-nazis allemands également soupçonnés d’avoir tué un rabbin en Suisse, et leur totale impunité pendant des années de tueries. Le meurtre de deux personnes sénégalaises et trois autres grièvement blessées en 2011 par un militant négationniste de l’organisation Casapound en Italie. Les meurtres et les pogroms commis par le parti néo-nazi grec Aube Dorée, qui a encore remporté 7% des voix lors des récentes élections. Le meurtre de Clément Méric par des néo-nazis français. Quant aux agressions racistes, antisémites ou islamophobes ou visant des antifascistes, aux profanations de cimetières ou de lieux de culte, aux incendies de locaux de gauche, aux pressions et aux intimidations quotidiennes, elles sont innombrables, et le plus souvent impunies. Rappelons, par exemple, qu’après sept ans d’enquête, et bien que la profanation néo-nazie de 148 tombes du cimetière musulman de Notre Dame de Lorette ait à l’époque suscité la réaction de Sarkozy en personne, les deux néo-nazis inculpés ont finalement été relaxés au tribunal d’Arras ce 8 février.
Il est donc absurde et dangereux de prétendre que l’extrême-droite européenne néo-nazie serait simplement composée de jeunes qui font des graffitis ou de groupuscules sans influence réelle. Mais ceux-là ne sont jamais nommés « terroristes », ceux-là ne sont jamais présentés dans la globalité de leur actes meurtriers, contre ceux-là, nul appel à une mobilisation exemplaire et massive. Au plan judiciaire on assiste à des condamnations euphémisantes, au cas par cas.
Ce n’est évidemment pas de cette manière qu’on fera reculer la haine raciste sous toutes ses formes : nier l’existence du terreau fasciste européen et caractériser le seul péril comme « islamo-fasciste », c’est reprendre l’optique développée par l’extrême-droite, jusque dans sa composante antisémite la plus affirmée, celle qui, à l’instar d’Alain Soral , dénonce les « islamo-racailles » depuis des années.
Or devant la puissance, la renommée et l’adhésion que suscitent justement Dieudonné et Soral dans une partie de la jeunesse, comment ne pas s’interroger sur le rôle qu’ils peuvent jouer dans la radicalisation ultra-rapide de beaucoup de jeunes, qui épousent les thèses et la cause des intégristes de Daech et d’Al Qaeda, en quelques mois, en quelques semaines ? Pour qu’une graine pousse à vitesse accélérée, il lui faut un terreau fertile : et force est de constater que la culture pathologiquement antisémite propagée par l’extrême-droite française depuis des années, culture devenue massive et populaire dans toutes les couches sociales de la jeunesse est bien le terreau idéal et commun.
Tout comme l’est la banalisation globale de la violence raciste et antisémite : à l’heure où beaucoup dénoncent les « communautarismes », les actes antisémites et racistes ne déclenchent malheureusement qu’une seule mobilisation : celle des victimes directes.
Cette année, comme les précédentes, les organisations de gauche et du mouvement social n’ont pas appelé à rendre hommage à Ilan Halimi lors de l'anniversaire de sa mort le 13 février, alors que les assassinats antisémites de janvier rendaient plus que jamais nécessaire cet hommage. Au plus fort de la vague islamophobe de janvier, seules des initiatives isolées ont essaimé localement, le plus souvent portées par des associations musulmanes.
Pire, aucune initiative universaliste, appelant à la fois à dénoncer l’antisémitisme, le racisme, et l’islamophobie n’est proposée à celles et ceux qui refusent de diviser et d’affaiblir le combat antiraciste, à celles et ceux qui veulent lutter ensemble contre une haine qui les vise tous. En cette période, où beaucoup confondent progressisme et affirmation d’une « fierté athée » abstraite, à la limite du virilisme revanchard , c’est pourtant sous la bannière « Coexister » inspirée par des collectifs de dialogue inter-religieux qu’ont défilé des centaines de jeunes lycéens et lycéennes après la profanation antisémite de Sarre Union. Ceci devrait faire réfléchir toutes celles et ceux qui, à gauche, désertent la mobilisation de rue universaliste depuis des années sous prétexte d'une difficulté à mobiliser et d'un échec annoncé.
La lutte contre le racisme, l'antisémitisme, l'islamophobie constituent un enjeu décisif pour toutes celles et ceux qui vivent en Europe. Elle ne se divise pas, faute de devenir une caricature stérile et impuissante.
Memorial 98