Le 6 avril 1944, se nouait le sort tragique de 44 enfants et 7 adultes juifs raflés dans ce village de l'Ain qui devait constituer un refuge.
Ils furent tous massacrés à Auschwitz, après être passés par Drancy, gazés dès leur arrivée, à l’exception de deux adolescents et de Miron Zlatin, fusillés à Reval (actuelle ville de Tallinn) en Estonie. Seule une éducatrice, Léa Feldblum, survécut.
Le récit de la rafle en décrit l'horreur:
"Nous sommes au premier jour des vacances de Pâques. Il est environ 8 h 30. Les 44 enfants déjeunent au rez-de-chaussée dans le réfectoire.
L'institutrice Gabrielle Perrier est rentrée chez ses parents la veille. Avant de monter à l'infirmerie, Léon Reifman croise une dernière fois le regard de ses parents, de sa sœur et de son neveu. Mis à part le brouhaha des enfants, tout est calme en ce jeudi 6 avril 1944. Soudain deux camions et une voiture s'arrêtent devant la maison. La rafle est exécutée avec une rapidité effrayante. Trois hommes en civil, dont deux officiers de la Gestapo de Lyon, et une quinzaine de soldats de la Wehrmacht, rentrent brutalement dans la maison. Ils regroupent avec violence tous les occupants sur le palier. Prévenu par sa sœur, seul Léon Reifman échappe à l'arrestation en sautant par une fenêtre du premier étage. Les voisins Eusèbe Perticoz et Julien Favet sont les témoins impuissants de la rafle. Les enfants et les adultes sont jetés dans les camions comme de vulgaires marchandises. Les cris et les pleurs se font entendre. Le convoi quitte le hameau de Lélinaz. Comme un acte de résistance, les enfants chantent en chœur : "Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine." A la faveur d'un arrêt, à Brégnier-Cordon, les Allemands font descendre du camion, à la demande d'une habitante, le seul enfant non juif de la colonie, René Wucher (huit ans). Dans cette opération, seule l'arrestation des juifs intéresse les nazis. Puis, le convoi prend la route de Lyon. Pour les enfants et leurs éducateurs, c'est le début de l'engrenage qui mène à l'extermination.
Sabine Zlatin apprend la terrible nouvelle à Montpellier par le biais d'un simple télégramme que lui transmet Marie-Antoinette Cojean, secrétaire en chef à la sous-préfecture de Belley. Le message est le suivant : "Famille malade, Maladie contagieuse"
La colonie d’Izieu, ouverte par Sabine et Miron Zlatin accueillit de mai 1943 à avril 1944 plus de cent enfants pour les soustraire aux persécutions antisémites. Absente au moment de la rafle, Sabine Zlatin, désormais surnommée « la Dame d'Izieu » a consacré le reste de son existence à son combat pour la mémoire des enfants.
Le Musée-mémorial d’Izieu est l’un des trois lieux de la mémoire nationale des « victimes des persécutions racistes et antisémites et des crimes contre l’humanité » commis avec la complicité du gouvernement de Vichy reconnus par le décret du 3 février 1993., avec l’ancien Vélodrome d’hiver de Paris et l’ancien camp d’internement de Gurs.
Cet épisode tragique symbolise le sort des enfants durant la Shoah.
Ainsi en France, 11458 enfants furent déportés et massacrés.
On estime généralement qu'un million et demi d'enfants ont été tués durant la Shoah.
Le soixante-quinzième anniversaire de la rafle des enfants juifs d'Izieu, le 6 avril 2019 a été marqué par deux événements particuliers:
D'une part, à Izieu même, une cérémonie a eu lieu le samedi 6 avril. Il y a été notamment dévoilé le portrait de Mme Rosa-Ida Halaunbraunner, qui manifesta à la Paz avec Beate Klarsfeld en mars 1972 ( voir ci-dessous), en pleine dictature militaire, pour exiger que Klaus Barbie soit jugé. Il était directement responsable de la mort de son mari et de trois de ses enfants. Ses deux filles Claudine, cinq ans, et Mina, neuf ans, faisaient partie des quarante-quatre enfants juifs raflés à Izieu par la Gestapo. Elle témoigna également lors du procès Barbie, jugé en 1987 après avoir été extradé en 1983, 11 ans après la manifestation de La Paz
La Paz ( Bolivie) 1972: malgré la dictature militaire Béate Klarsfeld et Rosa-Ida Halaunbraunner protestent et s’enchainent sur un banc afin de réclamer le jugement de Klaus Barbie
D'autre part à Lyon la stèle en mémoire d'Izieu, qui a été restaurée après une profanation, a été réinstallée
La tragédie d'Izieu continue de résonner dans l'histoire actuelle. C'est en effet la preuve de l'implication directe de Klaus Barbie dans cette déportation des enfants qui est à l'origine de sa condamnation à la perpétuité lors de son procès en 1987. Il bénéficiait de la prescription pour ses autres crimes perpétrés dans le cadre de la lutte contre la Résistance. Le Mémorial d'Izieu conserve d'ailleurs le photostat du télégramme de Barbie relatif à la rafle d'Izieu. Ce document historique et juridique essentiel annonce la rafle de la colonie, dénombre les personnes arrêtées et mentionne leur transport à Drancy le 7 avril 1944. Ce document avait été produit au procès de Nuremberg et y a servi à établir le crime contre l’humanité.
Or au lendemain de la guerre, Klaus Barbie, déjà recherché pour ses crimes, a été récupéré et protégé dès 1947 par l’armée américaine. Puis, quand à partir de 1948 la France réclame son extradition, le Counter Intelligence Corps américain qui l’emploie refuse de le remettre aux autorités, puis l’exfiltre vers l’Argentine avec le concours des réseaux d’évasion de la hiérarchie de l’Église catholique.
On connaît la suite et le combat acharné, d'abord désespéré puis victorieux de Serge et Beate Klarsfeld, pour son extradition de Bolivie en 1983 et son jugement. La manifestation en 1972, à la Paz, de Beate Klarsfeld et de Mme Rosa-Ida Halaunbraunner, mère de deux enfants déportés d'Izieu, constitue un véritable acte d'héroïsme. La Bolivie est alors sous le contrôle d'une dictature militaire qui protège Barbie, intégré dans son appareil répressif.
Lors de son procès en 1987 à Lyon, Barbie est défendu par Jacques Vergès et tente encore de calomnier les résistants et notamment Raymond Aubrac. Vergès est en cela le modèle de son ami antisémite Roland Dumas.
Le souvenir d'Izieu réapparaîtra notamment en 1998, lors de la vague d'alliances entre la droite et le FN pour la gestion des conseils régionaux.
En région Rhône-Alpes, Charles Million, ancien ministre de la défense de Chirac et Juppé, se faisait élire président de la région en Mars 1998 grâce à une alliance avec le Front National.
Son allié et compère était Bruno Gollnisch, chef régional du FN et négationniste avéré. Un autre pilier de l’alliance était Pierre Vial, fasciste et antisémite bien connu, animateur du courant dit "païen" dans le FN, qui fut nommé vice-président de la commission culture du conseil régional.
Face au choc provoqué par les alliances droite-FN dans cinq régions, la résistance s’organisa, notamment contre Millon. Ainsi à Izieu, dans l’Ain dont il était à l’époque député, Charles Millon fut conspué le dimanche 19 juillet 1998 lors d'une cérémonie à Izieu.
La présidente régionale de l’Amicale des déportés d’Auschwitz, Simone Lagrange, déportée à treize ans, lui demandait publiquement de quitter les lieux. Millon ne partit qu’à la fin de la cérémonie, bafouant ainsi la mémoire des disparus, des survivants et de leurs familles. Fin novembre 1998, il fut exclu de l’association du mémorial des enfants d’Izieu puis finalement démis de ses fonctions de président de région.
Simone Lagrange
Le sort tragique de ces 44 enfants demeure encore une plaie vivante qui renforce notre volonté de lutter contre les nostalgiques du nazisme et les laudateurs de Pétain.
A travers le drame particulier de la rafle d'Izieu en avril 1944, c'est le sort des enfants face à la Shoah et à tous les génocides qui est ici rappelé
Le 13 août 1942, les services d’Eichmann décident que les enfants doivent également être déportés: ils sont alors transférés vers Drancy et, de là, embarqués dans les convois partant pour Auschwitz entre le 17 et 31 août 1942. La déportation d'enfants seuls est interdite par Eichmann. Il s'agit de faire croire aux cheminots français et allemands et à tous ceux qui pourraient s'approcher de ces trains que les enfants sont déportés avec leurs parents. Ainsi, Le 17 août 1942, le convoi n°20 emporte 1000 Juifs vers Auschwitz-Birkenau. Parmi eux, 580 enfants. Leurs parents ont déjà été déportés. Les convois constitués exclusivement d’enfants étant interdits ils sont donc, à Drancy, mélangés à des adultes.
Aucun d’entre eux n’est revenu.
La plaque portant les noms des enfants d'Izieu déportés
Lors de cet anniversaire de la rafle d'Izieu, nous rappelons également le méfait de Laurent Wauquiez. Une de ses premières mesures en tant que président de la région Auvergne-Rhône-Alpes a consisté à diminuer la subvention attribuée au Mémorial des enfants d'Izieu ( voir ici). Il avait agit de même à l'encontre du centre national de la Mémoire Arménienne à Décines. Dans ces deux cas Wauquiez avait du reculer face au scandale.
Récemment, le 13 janvier dernier, il reçoit très chaleureusement Eric Zemmour lors d'un débat au siège de son parti et affirme d'emblée: " Eric (Zemmour) est ici chez lui..." Il a ainsi convergé avec celui qui veut réhabiliter Pétain et qui milite ouvertement pour une alliance de la droite et de l'extrême-droite. Zemmour était d'ailleurs intervenu peu de temps auparavant dans l'"école" de Marion Maréchal.
Cinquante ans après, le génocide des Tutsi du Rwanda
La coïncidence des dates fait que cinquante ans jour pour jour après la rafle d'Izieu débutait un autre génocide.
Le 7 avril 1994 marque le début du génocide des Tutsi du Rwanda et des "jours de sang" du mois d'avril:
C'est à ce génocide que revient en effet le triste privilège d'ouvrir les commémorations du mois d'avril, au cours duquel est honorée la mémoire des victimes des trois génocides majeurs du XXe siècle : celui des Tutsi du Rwanda le 7 avril, date du début des massacres en avril 1994, celui de la Shoah le 19 avril correspondant au début de la révolte du ghetto de Varsovie le 19 avril 1943 celui des Arméniens le 24 avril correspondant aux premières arrestations des intellectuels arméniens à Constantinople/Istanbul en avril 1915.
Nous y associons le premier génocide du XXe siècle commis en 1904 par l'Allemagne impériale contre les peuples Herero et Nama en Afrique australe, les actions génocidaires en Bosnie à Srebrenica, au Darfour, le génocide des Roms, les actions génocidaires du régime khmer rouge au Cambodge et la récente tentative d’extermination des Yézidis d’Irak par Daech, les actions génocidaires contre les Rohingya en Birmanie ...
Alors qu'un parti héritier du fascisme et du nazisme se présente en France comme une alternative crédible, il est plus que jamais urgent de rappeler ce à quoi mènent les doctrines de l'exclusion et de la haine.
Memorial 98
14 juillet 2020
6 avril 2020
Pour la première fois depuis 1946, la traditionnelle cérémonie de commémoration de la rafle du 6 avril 1944 n'a pas eu lieu comme d'habitude cette année, en raison de l'épidémie Covid-19 et des mesures de confinement.
La commémoration de la rafle du 6 avril 1944 a donc maintenue à la Maison d’Izieu mais dans des conditions particulières.
Ce lundi matin, à partir de 11h, une vidéo a été dévoilée. Elle montre les visages des 44 enfants juifs déportés et ceux de leurs sept accompagnateurs. Les dessins s'enchaînent sur près de trois minutes. La vidéo donne l'âge des éducateurs et des enfants déportés (le plus jeune avait 4 ans), leur provenance et le numéro du convoi qui les a conduit à la mort. Ces portraits au fusain ont été réalisés par l'artiste Winfried Veit et offert à la Maison d'Izieu en 2017. Dans la vidéo, on découvre aussi l'âge de ces victimes de la barbarie nazie. Ces enfants étaient nés en Autriche, en Pologne, en Allemagne, en Algérie ou encore en France.
28 janvier 2020: en mémoire des enfants déportés
A l'occasion du 75e anniversaire de la libération d'Auschwitz, une belle initiative de l'UEJF: le lundi 27 janvier, ses militants ont collé toute la nuit des affichettes pour rendre les noms et prénoms des enfants déportés depuis Paris, à leur adresse précise.
Des exemples ici dans le Marais et dans le 18e arrondissement. Cette action rappelle le sort particulièrement tragique des enfants face à la Shoah et face à tous les génocidaires
Mise à jour du 16 mai 2019: profanation au Vel' d'Hiv' d'une stèle en mémoire des enfants juifs déportés
La stèle du jardin mémorial des enfants du Vél' d’Hiv', rue Nélaton à Paris a été vandalisée, comme l'ont découvert des habitants du quartier.
Les mots badigeonnés à la peinture noire ont été choisis avec une très grande précision et attention . Il y a le chiffre « 4 115 » des enfants exterminés qui disparaît, mais aussi le mot « extermination » dans camp d’extermination, l’adverbe « abominablement » dans « mise à mort dans des conditions abominablement cruelles », la phrase « ils furent tués en totalité ».Le Jardin mémorial des enfants du Vél' d’Hiv', inauguré en juillet 2017, est un lieu de souvenir dédié aux 4115 enfants raflés par la police française de Vichy, les 16 et 17 juillet 1942, séparés de leurs parents, déportés et exterminés à Auschwitz-Birkenau.
MEMORIAL 98
Voir ici d'autres dossiers de Memorial 98 sur le même thème:
http://info-antiraciste.blogspot.com/2016/05/mobilisation-pour-la-memoire-des.html
http://www.memorial98.org/article-13804391.html ( à propos du livre Les enfants et la Shoah)
http://www.memorial98.org/article-allez-voir-la-rafle-46705214.html
http://www.memorial98.org/2018/05/itineraire-d-un-passeur-de-memoire.html
http://info-antiraciste.blogspot.com/2017/07/rafle-du-vel-dhiv-une-memoire-presente.html
http://info-antiraciste.blogspot.com/2016/02/simone-lagrange-victime-du-nazisme-et.html