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L'association MEMORIAL98, qui combat contre le racisme, l'antisémitisme et le négationnisme a été créée en janvier 1998, lors du centenaire de l'affaire Dreyfus.  

Son nom fait référence aux premières manifestations organisées en janvier 1898, pendant l'affaire Dreyfus, par des ouvriers socialistes et révolutionnaires parisiens s'opposant à la propagande nationaliste et antisémite.

Ce site en est l'expression dans le combat contre tous les négationnismes

(Arménie, Rwanda, Shoah ...)

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21 août 2015 5 21 /08 /août /2015 10:05

 

 

 

La mise à mort symbolique de Jean-Marie Le Pen, maintes fois mise en scéne depuis des mois, prend cette fois la forme d'une décision d'exclusion du FN. Mais derrière ces meurtres symboliques à répétition, en mode psychanalyse de bazar prompte à séduire les médias, les enjeux politiques sont-ils vraiment la naissance d'un parti qui aurait rompu avec le "passé fasciste" ?

 

Au printemps 2015, lorsque Marine Le Pen décide de priver son père du poste de président d'honneur du parti qu’il a fondé, les analystes sont quasi-unanimes : la marginalisation de Jean-Marie Le Pen signe la fin définitive de l' « ancien » FN et parachève la normalisation d'un parti qui aurait enfin accompli sa mue, laissant derrière lui la « vieille » extrême-droite pour devenir « simplement populiste ».

Les médias présentent alors la crise comme réglée d'avance et reprennent ainsi les éléments de langage de la faction de Marine Le Pen, censée incarner la rupture et la modération.

 

Mais, moins d’un mois après l'entretien à Rivarol de Jean-Marie Le Pen qui a accéléré la confrontation au sein du Front, le défilé frontiste 1er mai fait voler en éclat ces interprétations. Son déroulement heurté,  avec journalistes agressés et frappés, tentative de lynchage des Femen par le DPS sous les acclamations et les appels au meurtre de la foule, discours de la présidente centré sur des attaques racistes contre l'immigration et la « cinquième colonne » des musulmans français, font apparaître la réalité immuable du Front National.

 

Immédiatement après cet épisode, ce sont les notables du FN, installés dans plusieurs mairies qui, tout en s'opposant formellement à Jean-Marie Le Pen, lancent des signaux extrêmement clairs en s'inscrivant comme ses héritiers idéologiques. Robert Ménard affirme ainsi qu'il a constitué un fichier des enfants musulmans dans sa commune. Le ciblage d'enfants, comme la revendication de pratiques extra-légales rompt avec la politique d'affichage gestionnaire pratiquée jusque là par les maires FN. Elle renvoit clairement à la précédente vague de mairies conquises par le FN dans les années 90; les élus se targuent alors de violer la loi et d'instaurer des mesures ouvertement discriminatoires.

Béziers n'est pas la seule commune à connaître une accélération des mesures racistes et anti-sociales, qui sont toutes mises en œuvre très ouvertement et assumées. A Beaucaire le maire prend des arrêtés de fermeture des snacks et commerces après 22H spécifiquement dans des zones où les commerçants issus de l'immigration sont nombreux. A Mantes la Ville, le maire accentue sa communication contre la construction de la mosquée, tandis que le Bloc Identitaire lui prête main forte avec un campagne de « terrain » qui tombe à pic. A Marseille, au mois de juin, le maire FN du 7e arrondissement Ravier envoie de nouveau une circulaire interdisant aux salariés municipaux de parler arabe : dans ce cas précis, l'objectif de propagande pure et de communication est parfaitement clair, puisque cette circulaire avait déjà été éditée l'année précédente. A Hayange, lors des cérémonies du 8 mai, Fabien Engelmann insulte publiquement le représentant de la CGT présent, une manière d'insulter aussi la mémoire de la Résistance, notamment communiste.

 

Durant tout le printemps et l'été on va également assister à une nette diversification des cibles municipales : dans la première année de leurs mandats, les maires FN s'étaient ainsi concentrés sur des associations connues nationalement comme la LDH , en terme de coupes dans les budgets et de mesures punitives : désormais, les élus multiplient dans leurs  nouveaux budgets les suppressions de financements pour les centres sociaux ou d'animation, et s'attaquent également aux artistes, encore une fois de manière volontairement ostensible .

 

De la même manière, là où les analystes médiatiques évoquaient la disparition du discours antisémite et la rupture des liens avec la mouvance étiquetée comme telle, il apparaît que  la mise au ban de Jean Marie Le Pen entraîne au contraire des positions publiques témoignant d'un réajustement et d'une réactivation du logiciel antisémite sous de nouvelles formes. Ainsi certains élus FN, comme Djamel Boumaaz, n° 2 du FN à Montpellier, diffusent-ils des communiqués spéciaux pour annoncer leur participation  aux spectacles de Dieudonné. Marion Maréchal Le Pen, en condamnant son grand-père concernant la réitération de ses propos sur le « détail des chambres à gaz », prend le soin de minimiser elle-même l'ampleur des victimes du génocide en France. Dans Valeurs Actuelles, elle déclare  " je n’oublie pas que le régime nazi et ses alliés ont mis mon pays à feu et à sang, que des milliers de mes compatriotes sont morts dans des conditions atroces, certains de confession juive victimes d’une politique raciste qui aura fait date dans l’histoire".

Or ce ne sont pas "des milliers " de Juifs qui sont morts dans les camps d'extermination: en réalité, entre le printemps 1942 et la Libération de 1944, 76 000 Juifs sont déportés vers les camps d'extermination, en 79 convois. 2 500 seulement reviendront. Un tiers sont des Juifs français, et deux tiers des Juifs étrangers. 14 % avaient moins de dix-huit ans et 12 % plus de soixante ans.

 

La mobilisation de la direction du FN autour de l'animateur du site Fdesouche, mis en garde à vue et perquisitionné (enfin ! ) fin juillet pour l'une des multiples plaintes dont il fait l'objet depuis des années, sans avoir jamais été condamné, va révéler indirectement l'unité réelle de l'extrême-droite, autour du racisme ET de l'antisémitisme.

Sautarel, alias « François de Souche » est en effet mis en cause pour avoir relayé le site Panamza. Or Panamza est un site qui prétend entre autres absurdités conspirationnistes que les attentats contre Charlie Hedo sont un « false flag » israélien et va jusqu'à désigner des commerces juifs du 19ème arrondissement comme des annexes du Mossad.

Panamza fait partie des sites ordinairement mis en avant par Egalité et Réconciliation (Soral) depuis des années. Pas très étonnant, puisque Icham Hamza l'animateur du site, est un propagandiste antisémite. Lors du procès de Youssouf Fofana, assassin d’Ilan Halimi, il réalise un « documentaire » qui consiste surtout à laisser Coutant-Peyre ( avocate de Carlos ) et les autres avocats de Fofana se livrer à des discours sur le « lobby » et le « chantage à l'antisémitisme », ou à la défense de Kemi Seba .

 

Présenté comme un parti qui a tranché avec l'extrême-droite radicale, le FN dans cette affaire s'inscrit pourtant bien dans un front commun à la fois avec Fdesouche, qu ne cache pas sa proximité idéologique directe avec Le Bloc Identitaire et avec la sphère antisémite la plus assumée.

 

Concernant la mouvance identitaire, celle-ci est officiellement intégrée à la liste de Marion Maréchal Le Pen dès le début de l'été , confirmant ainsi une tendance de fond inaugurée aux départementales où plusieurs militantEs proches de Vardon et de Nissa Rebela avaient déjà été incorporées aux listes FN. A Fréjus, David Rachline le maire soutient l'invitation du groupe néo-nazi In Memoriam aux Arènes  de la ville.

 

Au plan européen, le FN sous l’impulsion de Marine Le Pen  s'allie début juin aussi bien avec le très antisémite KNP polonais qu'avec le FPÖ , créé par d'anciens nazis afin de constituer un groupe commun au Parlement européen.

 

Bref, rien ne ressemble autant à l'ancien FN que le « nouveau » FN. Il ne s'agit pas pour autant d'éluder la réelle confrontation entre des tendances qui se déchirent tout autant pour le partage du pouvoir que sur le fond de la méthode à adopter pour le conquérir.

 

Sur le fond, et notamment sur l'antisémitisme, celui-ci demeure une matrice essentielle du fascisme.  La divergence porte sur la manière de l'exprimer. Ce qui est reproché à Jean-Marie Le Pen, dans toute la communication des marinistes, ce n'est pas tellement le sens de ce qu'il dit, mais la forme utilisée et la « répétition ». Même dans la convocation adressée au président d'honneur pour le bureau du 4 août, parmi ses nombreuses réitérations sur le « détail », seule lui est reprochée celle d'avril 2015. Ceci sur quinze chefs d'accusation, où tous les autres propos, hormis sa déclaration sur l'Europe blanche à Rivarol, sont des propos dirigés contre Marine Le Pen, Florian Philipot ou Marion Maréchal Le Pen. On ne saurait mieux dire que les déclarations antisémites sur le « détail » constituent elles-mêmes un détail dans l'affrontement en cours au FN, malgré la communication médiatique.

 

Un détail d'expression : Jean Marie Le Pen parle comme un fasciste des années 60, alors que la direction du FN souhaite utiliser le langage du racisme et l'antisémitisme du 21ème siècle, celui qui au fond est parfaitement toléré socialement.

Lorsque Marion Maréchal Le Pen parle de l'Occupation et de Vichy, elle ne relativise pas plus les choses qu'Eric Zemmour, l'omniprésent commentateur raciste. En promouvant les artistes antisémites comme Dieudonné ou "In Mémoriam" au nom de la « liberté d'expression » (Marine Le Pen n'avait-elle pas qualifié son père de « punk » lorsque celui-ci prenait la défense de Dieudonné ? ), les élus FN expriment l'antisémitisme de la manière la plus populaire aujourd'hui.

 

D'ailleurs, contrairement à ce qui avait été dit un peu partout à l'été 2014 et interprété comme l'avènement d'une ligne «  pro-israélienne » et anti-soralienne, la promotion d'Aymeric Chauprade aura fait long feu. Le théoricien violemment islamophobe et en guerre ouverte avec la mouvance Dieudonné-Soral aura été assez rapidement écarté de la direction du FN.

Jean-Marie Le Pen représente donc finalement un obstacle , non pas à l'avènement d'une ligne « modérée, » mais bien au contraire à la perpétuation d'une ligne classique d'extrême-droite  au logiciel propagandiste renouvelé en toute tranquillité médiatique.

 

La meilleure preuve  en est sans doute représentée par l’attitude des  principaux concurrents du FN, les Républicains et leur président Nicolas Sarkozy. Dans la course à la démagogie raciste brutale , à la dénonciation des étrangers ou des pauvres, à la défense des dictatures de par le monde, la séquence politique actuelle laisse une impression tenace: lorsque Marine Le Pen n'est pas sur les plateaux, Nicolas Sarkozy la remplace parfaitement et il arrive même que les élèves « républicains » dépassent le maître frontiste.

De pétitions contre l'islam qui voudrait s'accaparer nos églises en pétitions contre les menus de substitution à la cantine ( même végétariens ), les Républicains rivalisent avec le Front de campagnes de propagande stigmatisantes. Nombre de ses élus partagent désormais ouvertement des contenus directement repris sur les sites d'extrême-droite.

Tandis que l'ex-président français déplore une non-alliance avec Poutine, ses élus multiplient les voyages à Damas pour lécher les bottes du dictateur syrien, soit exactement la ligne frontiste depuis des années.

 

Nicolas Sarkozy comme Estrosi et Ciotti ne cachent pas leur course de vitesse assumée pour «  prendre ses électeurs au FN ». Ils savent qu'ils ont un avantage, celui de n'avoir pas comme président d'honneur Jean Marie Le Pen, ce symbole d'un demi-siècle d'extrême-droite, et du lien avec les fascismes originels européens,. Ceci leur permet évidemment une liberté d'expression et d'action plus grande sans encourir le risque d'être ramenés à un passé historique précis.

 

Bien loin d'affaiblir durablement  le camp raciste et antisémite, l'affrontement actuel au FN révèle le cadre d'une crise de croissance plus globale, d'une reconfiguration politique historique française. La domination culturelle des thématiques d'extrême-droite atteint en effet un point culminant dans le champ politique ;  toute une partie de la droite est désormais acquise aux thématiques et aux stratégies frontistes, tandis que le Front National a construit des bastions municipaux, une représentation importante au Parlement européen, une surface médiatique énorme. L'extrême-droite dans son ensemble dispose d'un vivier activiste et propagandiste très important : nul ne peut plus nier aujourd'hui sa capacité à imposer l'actualité même en partant de faits divers. La violence extra-légale, antisémite, islamophobe, contre les migrants, contre les Roms se banalise au fur et à mesure que des élus locaux n'hésitent pas à prendre des positions volontairement incendiaires.

 

Comme tout autre espace politique, celui du racisme, de l'antisémitisme et des idéologies de la haine attise les convoitises et les affrontements au fur et à mesure qu'il s'élargit. On se bat plus volontiers pour le pouvoir lorsqu'il est à portée de main que lorsqu'il est un rêve lointain et improbable.

 

On ne saurait d'ailleurs dans ce domaine ignorer l'importance des convoitises financières. Alors que des grands patrons comme Charles Beigdeber affichent ouvertement leurs sympathies frontistes, alors que les bénéfices des victoires électorales gonflent les caisses du FN, chaque tendance frontiste en veut sa part, tout comme beaucoup de fidèles partisans de Dieudonné ou Soral ont récemment rompu avec eux, en  en raison de griefs relatifs à la répartition des revenus de la rente antisémite.

 

Pour autant, il n’y pas lieu d’en rester à un fatalisme passif : les affrontements internes à un camp politique l'affaiblissent toujours, ne serait-ce que par ses effets sur sa base. La guerre des chefs au FN comme celle qui se mène dans les sphères dieudonnistes affaiblit et désoriente des militanTes fascistes d'autant plus éprouvé(e)s par cette configuration que leur idéologie défend la primauté d'un chef incontesté comme la clef de voûte de la réussite politique.

Au moins 10 % des élus frontistes aux dernières municipales ont déjà quitté le FN ou déserté leur poste. Dieudonné et Soral  ne sont plus aussi populaires et incontestés qu'il l'a été , beaucoup de ses fidèles de base ayant échoué à comprendre les affrontements successifs avec d'autres figures historiques du mouvement, de Moualek à Mathias Cardet en passant par Farida Belghoul.  


L'avenir de cet affaiblissement dépend aussi de la capacité à créer un contre champ-politique, à reconquérir l'espace. En ce sens, la solidarité émergente avec les migrants, en Europe et en France constitue un bon exemple des transformations profondes du débat politique qui pourraient survenir si la gauche antiraciste osait redevenir elle-même, intransigeante contre chacune et toutes  les formes de racisme et d'antisémitisme, même celles qui se font sous couvert d'antisionisme ou de défense de la laïcité.

Il faut surtout  être capable de proposer une offensive pour l'égalité réelle qui attaque non seulement l'extrême-droite mais aussi le racisme structurel qui gangrène une société  dans laquelle toute une partie de la population subit de plein fouet  les effets quotidiens d'e discriminations sans cesse renouvelées.

 

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