Nous poursuivons nôtre série d'articles analysant la gestion du FN dans les mairies, débutée ici Béziers : radiographie d’une ville sous influence.
Un article du journaliste de droite Pierre-Antoine Delhommais dans le magazine Le Point du 19 juin dernier comporte porte le titre provocateur suivant: «L’idéologie lepéno-cégétiste ». Il fait suite aux propos de Marine Le Pen concernant le service public ferroviaire, dans lesquels la dirigeante frontiste prétend défendre un service public en danger.
Si le syndicalisme, au travers de ses militants et syndiqués, n’est pas plus que d’autres organisations épargné par le racisme, l’antisémitisme et des positions nationalistes, il est évidemment outrancier et mensonger d’assimiler CGT et Front National.
Néanmoins, l’article du Point en question met le doigt sur une réelle évolution du discours du FN sur les questions sociales. Le FN mettait en avant une ligne lde droite conservatrice au niveau social et économique du temps de Jean-Marie Le Pen ; depuis il a évolué, dans le discours.
Cela témoigne d’une volonté d’attirer plus de sympathisants et d’électeurs (après tout, il y a plus de salariés et de chômeurs que de chefs d’entreprise), cela montre aussi que le Front National prend en compte la revendication de politiques plus « sociales ».
C’est un signe de l’évolution du Front National, de parti d’extrême-droite en un parti fasciste. Quelle différence ?
Le fascisme n’hésite pas à puiser des thèmes au départ classés à gauche, en les pervertissant : défense des travailleurs pauvres, défense du service public....
Mais les différences sont de taille: là où les revendications progressistes concernant les libertés individuelles et les droits sociaux exigent l’égalité sans nier les différences, le fascisme se place quant à lui dans le cadre d’une « communauté nationale » à laquelle chaque individu doit s’intégrer et s’identifier. Les éléments jugés extérieurs à la communauté nationale (étrangers ou minorités issues de l’immigration, bien sûr, mais aussi nationaux jugés non-conformes, comme les chômeurs et précaires, les défenseurs des sans-papiers…) sont stigmatisés, pointés comme responsables des problèmes et exclus, si le niveau de pouvoir atteint par l’extrême-droite le permet.
Ceux qui adhèrent à ce type de vision soutiennent des mesures dont ils estiment qu’elles ne les concerneront jamais et leur apporteront une « plus grosse part du gâteau » des aides sociales, moins d’impôts… Alors que le gâteau est en fait en train de tomber en miettes et qu’il ne restera bientôt plus rien pour personne.
La politique sociale menée dans les mairies tenues par le FN ou assimilés montre bien ce phénomène.
À Béziers (voir) , le budget de l’action sociale a été diminué de 365 000 euros, et le maire réserve l'accueil périscolaire, le matin entre 7h35 et 8h30, mais aussi le midi et le soir après la classe, aux élèves de primaire dont les parents travaillent. Haro sur les chômeurs.
L’épicerie sociale qui dépend du Centre d’action sociale (CCAS) utilise désormais un nouveau critère discriminatoire pour ses bénéficiaires de l’aide alimentaire : prouver «un an de séjour minimum à Béziers.»
Au Pontet, il n’y aura plus de gratuité des cantines, ce qui représentait 25 à 30 000 euros par an (0,05 % du budget municipal).
De même à Villers-Cotterêts (Aisne), le maire prétexte qu’"il faut différencier solidarité et assistanat", et augmente pour les plus précaires le prix du repas à la cantine de près de 1 euro. Tout en admettant que cette mesure ne permettra de faire que "très peu d’économies"…
À Mantes la Ville (78), une baisse des subventions aux associations a été décidée, pour une durée d’un an.
À Marseille, le maire d’arrondissement Stéphane Ravier vote contre les aides de la communauté d’agglomération à la construction : "Les logements sociaux, je ne suis pas contre, mais je souhaite qu'ils bénéficient à nos compatriotes d'abord." Déclare-t-il. Tandis qu’une autre élue, Élisabeth Philippe estime cette position justifiée en raison des flux de "populations migrantes africaines et subsahariennes mais aussi des Roms"...
À Fréjus (Var) , le budget alloué aux écoles pour l’achat de manuels et de fournitures a diminué de 7 euros, soit 16%, passant de 43 à 36 euros par enfant. Pour le financement des sorties scolaires en bus, la baisse est de 20%, et le budget pour les » classes découverte » passe purement et simplement à la trappe. Trois centres sociaux ont vu leurs subventions diminuer, parfois de deux tiers.
Que nous apprennent ces décisions ? D’abord, qu’elles ne sont pas dictées par la volonté de faire des économies comme le prétendent souvent les élus FN, mais bien par les positions politiques du FN.
Certaines mettent en oeuvre la version locale de la « préférence nationale », comme le critère d’un an de résidence dans la commune pour bénéficier de l’aide alimentaire à Béziers ou la position des élus FN à Marseille sur le logement.
Les critères restreignant l’accès à l’épicerie sociale de Béziers ne toucheront peut-être pas un très grand nombre de personnes, même si des sans domicile fixe, les étrangers sans papiers ou des personnes en situation de précarité s’installant sur Béziers se retrouveront exclus faute d’avoir la durée de présence requise ou les justificatifs correspondant,. Le but de ces restrictions est d’ancrer une logique qui n’a plus rien avoir avec celle des droits sociaux et du service public. Ce n’est plus une situation matérielle objective (le niveau des ressources et des charges, la précarité de l’emploi, du logement…) qui ouvre des droits, mais cette appartenance à la « communauté » évoquée au début de l’article.
D’autres décisions pénalisent concrètement les ménages ayant des faibles revenus (c’est le cas à Fréjus) ou les chômeurs (à Béziers).
En effet, il n’est pas uniquement question de favoriser les ressortissants nationaux. C’est la mise en œuvre d’un renversement complet de ce qui fonde une politique sociale collective. Dans celle-ci, la communauté a des devoirs envers les plus fragiles de ses membres (malades, personnes âgées, précaires, migrants), parce que cela concourt au bien-être de tous. Il est en effet rassurant de savoir qu’il existe des filets de sécurité en cas de situation difficile, même si on n’y fera peut-être jamais appel. Dans l’univers FN comme dans les autres courants de la droite radicale qui s'inspirent des mêmes raisonnements, l’individu est au service de sa communauté, et ne reçoit d’aide qu’à condition d’être « productif ». Un chômeur ou une personne âgée ne peuvent pas être productifs. Or ce sont avant tout les précaires (avec ou sans emploi) et les personnes âgées qui vont être affectées par les baisses de subvention des CCAS, puisque ce sont les publics de ces structures.
On dispose, à partir de cette analyse, de pistes pour combattre ce type de politique, et se prémunir de la récupération de revendications sociales par le FN ou d’autres organisations fascistes. Il s’agit de porter en permanence une exigence d’égalité dans l’accès aux droits, quelle que soit la situation de la personne, vis-à-vis de la nationalité notamment, mais aussi de l’orientation sexuelle, de l’emploi, du lieu et du type d’habitation, de la parentalité.
voir aussi
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Balladur et Sarkozy: de la préférence nationale à l'Identité nationale
Memorial 98
NB: nous sommes interrogés par des lecteurs et sympathisants à propos de nos analyses sur la situation au Moyen-Orient; celles-ci sont présentées quasi-quotidiennement sur le groupe Facebook de Memorial 98, complément indispensable de ce site.