Jean Jaurès prend la parole le 25 mai 1913 au Pré Saint-Gervais, contre l'allongement du service militaire.
Le 31 juillet 1914, Jean Jaurès était assassiné à la veille même du déchaînement de la première guerre mondiale, qui fit entrer le 20e siècle dans l'ère de la barbarie.
A cette occasion nous voulons rappeler ici les circonstances historiques de sa mort et son dernier combat afin d'éviter cette guerre.
Son engagement pour tenter d'empêcher le déchaînement de la guerre des impérialismes se plaçait dans la continuité des ses différents combats pour la fraternité des peuples et pour le soutien des nationalités et minorités opprimées.
Ce fut le cas pour les Arméniens victimes déjà de l'Empire ottoman, avant même le génocide de 1915, durant la guerre. Ce fut le cas aussi du rôle central que prit Jaurès dans l'affaire Dreyfus , en surmontant ses propres préjugés antisémites.
Nous reproduisons aussi ci-dessous un court texte de Jaurès publié en 1912 et dénonçant les campagnes "sécuritaires" de l'époque.
La guerre de 14-18 se fit au nom du nationalisme guerrier, du chauvinisme, de la "patrie".
La propagande officielle des différents États dépeignait le peuple d'en face comme l'ennemi héréditaire et ses habitants comme des "sauvages sanguinaires".
C’est au nom de ces « valeurs » que des dizaines de millions de personnes ont été massacrées dans cette guerre barbare.
C’est un militant d’extrême droite qui assassine Jean Jaurès le 31 juillet 1914, alors que celui-ci tente, à sa manière, de stopper la marche à la guerre, qui éclatera le 3 août.
Le 14 juillet, lors du congrès extraordinaire de la SFIO (parti socialiste) il avait soutenu la motion qui préconisait l’appel à la grève en cas de conflit imminent : « plutôt l’insurrection que la guerre », à quoi Jaurès ajoute que cette grève devra être « simultanément et internationalement organisée ».
Cette position lui vaut d’être attaqué par le journal des classes possédantes, Le Temps, qui, le 18 juillet, l’accuse de soutenir la " thèse abominable qui conduirait à désarmer la nation, au moment où elle est en péril"
Le tueur de Jaurès est Raoul Villain, adhérent de la Ligue des jeunes amis de l’Alsace-Lorraine, groupement d’étudiants nationalistes, partisans de la guerre et proche de l’Action française royaliste.
Il est arrêté et déclare avoir agi en solitaire pour « supprimer un ennemi de son pays ». Sans avoir jamais vu Jaurès, il s’est peu à peu mis en tête de tuer « le traître, l’Allemand »
Cette thèse de l’acte isolé est reprise telle quelle dans l’acte d’accusation dressé le 22 octobre 1915.
Pourtant depuis de longs mois, voire des années, la presse nationaliste et les représentants des Ligues « patriotes » (comme Léon Daudet ou Charles Maurras) s’étaient déchaînés contre les déclarations pacifistes de Jaurès et son internationalisme. Ils l’avaient désigné comme l’homme à abattre, en raison de son engagement passé en faveur du capitaine Dreyfus.
Les déclarations assassines abondent dans les semaines précédentes son assassinat. Ainsi dans le quotidien l’Écho de Paris du 17 juillet :
« Dites-moi, à la veille d’une guerre, le général qui commanderait […] de coller au mur le citoyen Jaurès et de lui mettre à bout portant le plomb qui lui manque dans la cervelle, pensez-vous que ce général n’aurait pas fait son plus élémentaire devoir ? »
Raoul Villain est incarcéré en attente de son procès durant toute la Première Guerre mondiale...
Il ne sera jugé qu’en 1919, dans un climat d’ardent nationalisme au lendemain de la guerre.
C'est ainsi qu'il est acquitté le 29 mars 1919 par onze voix sur douze, un juré ayant même estimé qu’il avait rendu service à sa patrie : « Si l’adversaire de la guerre, Jaurès, s’était imposé, la France n’aurait pas pu gagner la guerre. » La veuve de Jaurès est condamnée aux dépens (paiement des frais du procès).
En réaction, Anatole France écrit : « Travailleurs, Jaurès a vécu pour vous, il est mort pour vous. Un verdict monstrueux proclame que son assassinat n’est pas un crime. Ce verdict vous met hors la loi, vous et tous ceux qui défendent votre cause. Travailleurs, veillez ! » Une manifestation est organisée le 6 avril suivant par les sections socialistes et syndicales de Paris pour protester contre le verdict et honorer Jaurès le pacifiste.
100 000 personnes défilent et les affrontements avec la police causent deux morts.
Après la mort de Jaurès, une grande partie la gauche française se rallia à la guerre, au nom de « l’Union Nationale » et sous le prétexte de lutter contre les régimes impériaux.
Certains des « antimilitaristes » les plus irréductibles basculent. Ainsi, le journal "La Guerre sociale" de Gustave Hervé sort une édition spéciale avec trois titres : " Défense nationale d'abord ! Ils ont assassiné Jaurès, Nous n’assassinerons pas la France."
À la salle Wagram, le 2 août, à la réunion du Parti socialiste qu’avait convoquée Jaurès avant sa mort, Édouard Vaillant, le vieux révolutionnaire de la Commune de Paris, déclare : « En présence de l’agression, les socialistes rempliront tout leur devoir. Pour la Patrie, pour la République, Pour l’Internationale ».
La guerre éclate le 3 août.
Le 4 août au matin, les obsèques officielles de Jaurès sont célébrées. C’est la première manifestation officielle de l’Union nationale. Léon Jouhaux, secrétaire général de la CGT, lance un appel aux armes.
Il prononce ces mots funestes et hypocrites :
« Jaurès a été notre réconfort dans notre action passionnée pour la paix; ce n’est pas sa faute si la paix n’a pas triomphé. […C’est celle des empereurs d’Allemagne et d’Autriche-Hongrie…]. Nous prenons l’engagement de sonner le glas de vos règnes. Avant d’aller vers le grand massacre, cet engagement, je le prends au nom des travailleurs qui sont partis, et de ceux qui vont partir. »
On connaît la suite, la destruction et le massacre, puis l'apocalypse fasciste et nazie.
Cent ans après, le combat contre le nationalisme et le chauvinisme, pour la solidarité internationale, demeurent d'une actualité brûlante.
Jaurès en 1912 à propos de la justice et des campagnes sécuritaires de l'époque:
"Quelle abjection dans cette propagande de la peur ! On lit sur les murs de Paris d'ignobles affiches qui apprennent au monde que toutes les boutiques sont forcées, que toutes les existences sont menacées, qu'au coin de toutes les rues le passant est guetté par le couteau d'un apache. « Défendons-nous », hallucinons les cerveaux, affolons les coeurs ; demandons à la société française de répudier toutes les lois humaines sur le sursis, sur la libération conditionnelle, que ce fut son honneur de promulguer ; dénonçons comme des lâches, comme des traîtres, les jurés qui ont cru équitable, après examen des circonstances, un verdict de pitié. Faisons que la loi pénale fonctionne toujours automatiquement avec le maximum de rigueur. Appliquons, s'il le faut, la torture aux condamnés ; arrachons les ongles aux transportés par le rétablissement des poucettes ; et frappons, flétrissons comme des complices des assassins, tous les hommes qui demanderont à la nation de ne pas s'affoler, de ne pas se dégrader. « Défendons-nous, défendons-nous. »
« Une Honte », Jean Jaurès, L'Humanité (ISSN 0242-6870), nº 2945, 10 mai 1912, p. 1
Mise à jour du 3 janvier 2019 :
Jaurès et l'anticolonialisme: une mise au point bienvenue par l'historien Gilles Manceron
Quand on évoque la pensée de Jaurès sur la question coloniale, on cite immanquablement une conférence qu’il a donnée à l’âge de 24 ans et qui reprenait les idées colonialistes de Jules Ferry. Or il a évolué, de 1898 à sa mort, vers un anticolonialisme résolu, comme il a rejeté l'antisémitisme (voir ci-dessus)
MEMORIAL 98