Il aura donc fallu que paraisse un sondage plaçant la nouvelle chef du Front National en tête du premier tour de la prochaine présidentielle pour qu’on se rende compte de la gravité de la situation vers laquelle nous entraîne l’hôte actuel de l’Elysée.
Face à la chute abyssale de sa popularité à 15 mois de la présidentielle, Sarkozy se tourne une fois de plus vers le registre qu’il utilise depuis le début de sa carrière politique nationale, en l’adaptant aux conditions du moment, dans le contexte des révolutions et soulèvements dans les pays arabes.
Le lancement par l’UMP d’un soi-disant "débat sur l’Islam" vise à aggraver la tension et à tenter de dénouer la crise politique par des solutions extrêmes, semblables au 21 avril 2002.
En ce sens les calculs de Sarkozy et Copé ouvrent la voie à Marine Le Pen, pariant peut-être sur un deuxième tour face à elle ou sur de futurs accommodements avec son parti.
Depuis le début de sa carrière politique, Sarkozy applique le principe de son mentor et inspirateur Charles Pasqua. Celui-ci a résumé sa doctrine, à la veille de la présidentielle de 1988 qui opposait Mitterrand à Chirac, dans le magazine Valeurs actuelles du 2 mai 1988 en proclamant: « Sur l'essentiel, le Front national se réclame des mêmes préoccupations, des mêmes valeurs que la majorité ».
Au long de son compagnonnage avec Balladur, puis avec Madelin, à travers le choix de ses conseillers, Sarkozy s’en tient à cette ligne qui combine le libéralisme économique absolu et son pendant sécuritaire et xénophobe.
C’est ainsi qu’il présente et se représente la clé de son succès de 2007, qui a consisté à rassembler toute la droite et l’extrême-droite autour de valeurs de la droite radicale.
Ainsi le montre un extrait du livre « Les hommes d’Etat » de B. Le Maire, ministre du gouvernement actuel et ex-directeur de cabinet de Villepin, qui retrace le déroulement de la période 2006/2007, vu de l'intérieur du gouvernement.
« …13 juin 2006, en présence de Le Maire, de Villepin, alors premier ministre, reçoit à déjeuner Nicolas Sarkozy, qui fait le point sur la situation politique ; il commente : «Le Pen, en ce moment, il engrange. Il engrange un maximum. Moi, je dis jamais du mal des électeurs de Le Pen, jamais. Les électeurs de Le Pen, je dis toujours que c'est des victimes. Des victimes de quoi? J'en sais rien. Mais c'est des victimes. Pour nous, l'élection de 2007 se jouera sur les électeurs de Le Pen. On les prend, on gagne. On les prend pas, on perd...»
Depuis cela n’a jamais cessé, avec une escalade dans les derniers mois(voir Sarkozy : jusqu’où l'escalade ? ).
Face aux mobilisations sociales et à l’accumulation de scandales dans son entourage, Sarkozy est dans une situation catastrophique.
Il choisit de radicaliser encore son propos d’autant qu’au sein même de l’UMP, Copé surenchérit dans la posture xénophobe et anti-islam (voir Succès du Front National: quelles conséquences? et Un dirigeant UMP salit à nouveau la Shoah.)
Sarkozy s’inspire aussi des campagnes contre l’immigration dans les différents pays d’Europe et notamment du référendum suisse sur les minarets de 2009 qui a marqué un véritable tournant. La preuve était faite qu’on pouvait capitaliser sur le rejet des musulmans
(voir Suisse : nouvelle victoire de l’extrême-droite.
Danger:les dirigeants européens encouragent le racisme
La furie destructrice de l’UMP ne s’arrête pas aux musulmans ; elle vise aussi à faire peur à la gauche et notamment à Strauss-Kahn qui apparaît comme le favori des sondages.
Pour le dissuader de se présenter, les dirigeants UMP sont prêts à recourir à des attaques fortement teintées d’antisémitisme.
La première salve est venue de Christian Jacob, président des députés UMP et proche de Copé. Elle faisait référence aux « terroirs » dont DSK serait exclu, selon le modèle des attaques contre Léon Blum et Pierre Mendès-France
Puis pour montrer qu’il ne s’agissait pas d’une simple plaisanterie, est ensuite venue l'explication de texte d’un « intellectuel » du gouvernement lors du pèlerinage « chrétien » de Sarkozy au Puy-en-Velay.
Laurent Wauquiez ministre des affaires européennes et agrégé d’histoire plonge carrément dans l’univers des références du poujadisme et des années 1930 puisqu’il s'agit pour lui des "racines"des uns et des autres.
Il déclare ainsi :"...Son discours (de DSK) est celui d'une mondialisation sans couleur, ni saveur, qui se joue dans des grandes capitales internationales, c'est très loin de nous tout ça. Avoir le Président chez nous en Haute-Loire est un vrai geste de reconnaissance. Dominique Strauss-Kahn, c'est Washington, c'est sûrement une très belle maison qui donne sur le Potomac. C'est pas la Haute-Loire et c'est pas ces racines là". C'est le mot "racines" qui est crucial, visant à disqualifier celui qui en serait privé, selon le stéréotype historique du "Juif errant" et sans racines , issu directement de l'anti-judaïsme de l'Eglise catholique.
Wauquiez récuse au passage une autre tradition de son département: celle des Protestants du Chambon-sur-Lignon qui à 30 kilomètres du Puy-en-Velay ont accueilli et caché des Juifs pendant l'occupation, sans se préoccuper de leurs "racines".
Marine Le Pen ne peut que se féliciter de ces mises en cause proche de son univers et de celle de son père (voir Marine Le Pen récidive contre Eva Joly.
Le Pen : l’antisémitisme jusqu'au bout.
Qui veut se faire piéger par Marine Le Pen ?
Le Pen et les "3 grands-parents étrangers" de Sarkozy
Dans ce cadre il est inquiétant qu’une partie de la gauche, particulièrement Jean-Luc Mélenchon, critique vivement ceux qui ont perçu la tonalité antisémite de ces mises en cause. Il écrit sur son site :
« …J’en profite pour dire que la façon de surévaluer deux phrases de C.Jacob sur un tel thème, dans ce registre, de cette façon, aggrave le mal qu’elle prétend dénoncer. Qui a intérêt à incriminer d’antisémitisme dans une déclaration de cette sorte ? Pour menacer tous ceux qui s’opposeraient à Strauss Kahn d’antisémitisme? La ficelle est grosse! Surtout que l’accusation est particulièrement vicieuse. Sachant que l’antisémitisme n’est pas une opinion mais un délit en France grâce à la loi Gayssot (PCF) (erreur embarassante, la loi Gayssot condamne la négation de la Shoah et pas l’antisémitisme NDLR) on voit quel procédé inquisitorial et venimeux est ainsi mis en scène... Christian Jacob n’est pas un antisémite. C’est juste un gros agrarien archaïque !... »
Nous y sommes déjà: les prochaines échéances verront, face à la gauche, un Front national offensif et rajeuni et une droite dure et xénophobe, qui se sent portée par une vague européenne. Nous l'annoncions et le confirmons. Il faut enfin se donner les moyens du combat unitaire et de la riposte.
MEMORIAL 98