Les riches se plaignent de ne pas être aimés. L’un d’entre eux, Pierre Kosciusko-Morizet, se compare ainsi aux Juifs persécutés en lançant: "A un moment on a cherché les juifs, maintenant on cherche les riches." http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/11/22/riches-a-pleurer_1794718_3246.html
L’homme d’affaires, qui a amassé plus de 40 millions d'euros en vendant son entreprise de commerce en ligne Priceminister, ajoute : « On dit’Les riches, les riches, les riches'. On voit les couvertures de journaux terrifiantes :A quoi servent les riches ?' Tout cela sent mauvais. »
Loin de représenter un dérapage isolé, cette propension à tracer un parallèle entre la lutte contre les inégalités et les persécutions raciales du nazisme est un classique de la droite européenne.
À titre historique, il faut rappeler que dès 2002 le responsable chrétien-démocrate allemand Roland Koch, membre lui de l’aile droite de son parti et spécialiste des attaques contre les immigrés, avait provoqué un tollé du même ordre. Il avait assimilé le sort des personnes fortunées sous un gouvernement de gauche, à celui des Juifs sous le nazisme, car selon lui ces 2 catégories étaient pareillement stigmatisées par une « étoile jaune ». Il avait dû s’excuser et avait retiré ses propos (voir Allemagne: le bacille de Koch )
Plusieurs dirigeants de la droite européenne, notamment française, ont ensuite banalisé la Shoah en l'utilisant lors de polémiques dans lesquelles ils entendaient prendre une posture de victimes.
Ainsi, le 7 juin 2010, lors d'un débat au Conseil de Paris portant sur les projets de logements sociaux dans le XVIe arrondissement, Claude Goasguen, député maire de cet arrondissement qui compte 2,4% de logements sociaux contre plus de 30% dans des arrondissements de l'Est parisien, s'est emporté face aux critiques: "Si vous voulez, vous pouvez nous mettre une étoile jaune avec 16e écrit dessus".
Interrogé par des journalistes après la séance, Claude Goasguen, ne s’est pas excusé, mais s’est justifié en rappelant qu'il "aime" et "défend" la communauté juive. Il préside le groupe d’amitié France-Israël à l’Assemblée. C’est la ritournelle habituelle quand le retour du refoulé s’exprime au grand jour (voir Frêche: raciste et antisémite! )
Il a aussi explicité et par là même confirmé son propos :"Quand je dis: est ce que je dois mettre l'étoile Jaune ? entendez: je ne suis pas un pestiféré. Les habitants du XVIe arrondissement ne sont pas des pestiférés", a- t- il souligné.
On appréciera l’association d’idées et d’images. Un tel « ami de la communauté juive" n’ignore sans doute pas que l’accusation de propager la peste noire a pesé sur le sort des communautés juives d’Europe au XIVe siècle, massacrées au nom de cette accusation (voir Qui manipule l’étoile jaune ? ) .
Quelques semaines plus tard, mis en cause par un livre de Martin Hirsch à propos de ses conflits d’intérêts (il est avocat d’affaires en même temps que député, maire...) Jean-François Copé a tracé un parallèle entre la mise en cause de ses contradictions et la dénonciation des Juifs pendant la guerre.
Il a ainsi déclaré le 26 septembre 2010:«…Il se trouve que Martin Hirsch et moi nous avons un point commun que nous avons découvert en parlant : ses parents, comme mon père pendant la guerre, ont été sauvés par des Justes… Quand on a cette culture familiale, je ne dis pas que cela commande des obligations... Je dis simplement que l'on ne peut pas vivre les choses de la même manière… En lisant ce livre, je me suis demandé si, sans peut-être s'en rendre compte, il se livrait à un exercice de délation, qui n'est pas tout à fait à l'honneur de quelqu'un qui a sa qualité"
Ainsi selon Copé, Martin Hirsch, lui-même d’origine juive, agirait comme un de ces délateurs qui dénonçaient les Juifs aux nazis (voir Un dirigeant UMP salit à nouveau la Shoah.)
Il est à noter que Copé et Goasguen ont fait partie des dirigeants UMP qui, lors de l’affaire Woerth, ont mis en cause la presse et notamment Mediapart, en la comparant aux journaux fascistes des années 1930
(voir Qui joue avec le fascisme ?.
Woerth, Copé et le Front National : décryptage)
Dans leur utilisation perverse de la Shoah, ils s’inspiraient de leur mentor présidentiel. Nicolas Sarkozy a en effet commis un dérapage semblable, tendant à banaliser la délation envers les Juifs sous le régime de Vichy, comparée à la dénonciation de délits fiscaux. À peine élu et venu défendre la « dépénalisation du droit des affaires » lors de l'université d'été du Medef le 30 août 2007, il avait utilisé la formule suivante: « A quoi sert-il d'expliquer à nos enfants que Vichy, la collaboration, c'est une page sombre de notre histoire, et de tolérer des contrôles fiscaux sur une dénonciation anonyme, ou des enquêtes sur une dénonciation anonyme ? ». Il avait été acclamé frénétiquement par son auditoire patronal, absolument ravi par cette scabreuse comparaison.
Quelques mois plus tard, interrogée par l'Express du 13 février 2008 sur la plainte déposée par Sarkozy contre le site Internet du Nouvel Obs - qu'il accuse de "faux" à propos d'un SMS- Mme Bruni Sarkozy déclarait : « La plainte justifiée de mon mari n'est pas contre un organe de presse, bien sûr, mais contre les "nouveaux moyens de désinformation". Internet peut être la pire et la meilleure des choses... Si ce genre de sites avait existé pendant la guerre, qu'en aurait-il été des dénonciations de Juifs?... Elle avait dû s’excuser et retirer ses propos (.
Citons encore 2 exemples très proches de la diatribe de Pierre Kosciusko-Morizet: « En Europe, nous sommes en train de forger une image hostile énorme des banques et des riches. Cela est déjà arrivé une fois, c’était en apparence contre les Juifs, et en fait on visait les mêmes milieux. Par deux fois, cela s‘est terminé avec des guerres ! ».
Cette déclaration de Maria Fekter, ministre autrichien des Finances, membre du parti conservateur ÖVP, a été prononcée le 17 septembre 2011, lors de la réunion des ministres européens des Finances en Pologne à Wroclaw, Selon cette dirigeante de la droite autrichienne, l’extermination des Juifs pendant la Shoah n’était donc qu’un avatar, un prétexte pour mettre en cause les riches. Sans surprise, Maria Fekter fait partie de l’aile droite du parti conservateur. Ministre de l’Intérieur dans un précédent cabinet, sa politique dure en matière d’immigration, lui avait valu le surnom de « dame de fer »; elle se proclame aussi catholique pratiquante (voir Le négationnisme s'infiltre au sommet de l’Europe.)
En mars 2012 le dénommé Jacques Béhague, Vice Président UMP du Conseil Général des Hautes-Pyrénées et Conseiller général, a publié sur son site Internet le texte suivant, ensuite supprimé face au tollé:
"...M. François HOLLANDE cultive la haine des riches, et ce depuis longtemps… Une vidéo est d’ailleurs disponible sur Internet dans laquelle il affirme explicitement « qu’il n’aime pas les riches, qu’il en convient » !!!
Cette haine des riches a déjà été développée par Adolf HITLER au travers des juifs.
J’accuse Monsieur HOLLANDE de faire renaître ces mêmes haines qui ont conduit l’humanité dans ce que nous avons connu de plus effroyable et de nauséabonde (sic !).J’accuse Monsieur HOLLANDE de prôner le nettoyage ethnique de tous ceux qui auraient le malheur de « trop » gagner d’argent…
– Soit par la confiscation de leurs biens et de leurs revenus.
– Soit par l’incitation à l’émigration.
Monsieur HOLLANDE est donc – Soit un criminel à l’encontre d’une population, celle des « riches », au même titre que Hitler en son temps quand celui-ci s’est lui aussi attaqué aux riches au travers des juifs.»
Loin de représenter un dérapage isolé, la diatribe de Pierre Kosciusko-Morizet s’inscrit dans une tradition française et européenne.
MEMORIAL 98