Dans la bibliothèque de Daraya
La révolution syrienne s’est nourrie de multiples initiatives locales visant à soulever la chape de plomb du régime oppresseur par la libre circulation des idées .
C’est ce que montre ce beau film de Delphine Minoui, d’après l’adaptation de son livre paru en 2017 « Les passeurs de livres de Daraya » aux éditions du Seuil (co-réalisateur Bruno Joucla.)
A quelques jours du huitième anniversaire du début de la révolution syrienne, France 5 diffuse un documentaire bouleversant (et encore visible en replay) qui met en lumière des mécanismes de survie et de résistance au régime d’oppression et de destruction de Bachar el-Assad. Ces initiatives sont mises en œuvre par de jeunes révolutionnaires qui rêvent de reconstruire un monde meilleur.
Des hommes d’une vingtaine d’années, force vive de la jeunesse, ont pris conscience par la révolution de la nécessité vitale de combattre l’obscurantisme, grâce à l’érudition et à la transmission d’un savoir. Leur noble cause s’oppose aux forces de destruction et d’anéantissement de la guerre. Ils entreprennent la sauvegarde d’un patrimoine culturel, mais surtout l’éveil d’un esprit critique et créatif, pendant le siège de la ville de Daraya, malgré les bombardements, les tirs de roquettes et les lâchers de barils explosifs par des hélicoptères.
La ville de Daraya ( à ne pas confondre avec Deraa) se situe à sept kilomètres de Damas. Elle a été l’une des premières à se soulever contre Bachar el-Assad, avec des manifestations contre le régime dès le 25 mars 2011.
Le 25 août 2012, 700 civils de Daraya y sont massacrés par les forces du régime.
Le 8 novembre de la même année, l’armée syrienne entame un siège contre cette ville qui résiste. Bachar el-Assad la fait bombarder de 2012 à 2016.
Le reportage, suivant en cela le livre, décrit l’histoire de trois jeunes syriens, Shadi, Jihad et Ahmad. Ils ont refusé de fuir la ville de Daraya et décident de résister par la culture et par les livres.
« C’était un an et demi après le début du blocus, les copains sont entrés dans les maisons, dans les mosquées, dans les écoles pour récupérer les livres. L’idée a pris"
Des livres ramassés
En 2012, Shadi avait 22 ans et s’était improvisé vidéaste : « C’est la guerre qui m’a appris à tourner. Dans la rue de la Révolution j’attends l’hélicoptère qui larguera son baril d’explosifs pour le filmer.». 80 barils sont largués dans une même journée. Jihad est le débrouillard de l’équipe et Ahmad l’intellectuel. Ils deviennent amis et activistes inséparables.
Une quarantaine de jeunes révolutionnaires syriens rassemblent 15 000 ouvrages en un mois. Une cave est aménagée pour les mettre à l’abri et devient le refuge de tous, un véritable lieu de vie. L’aménagement d’une bibliothèque dans une cave, avec ses rayonnages bien ordonnés de livres répertoriés, numérotés représente la reconstitution d’un cadre de vie. A l’extérieur c’est le chaos, la mort, un monde dévasté. La bibliothèque devient la ligne de démarcation des lignes de tir, lignes de mire et paysages de désolation.
On y lit, on y apprend, on y débat, on y danse et chante des chants révolutionnaires, des cris de liesse "hourriya, liberté". On y tisse des liens indéfectibles, on y fait des promesses d’avenir.
La profusion et la diversité, le fait d’offrir un éventail de livres différents tels que la lecture du poète Nizar Kabbani, le grand philosophe arabe Ibn Khaldoun, Mahmoud Darwich (Etat de siège, Eloge de l’ombre haute) permettent d’ouvrir l’horizon de la pensée. Omar, le combattant qui préfère la présence des livres à celle des hommes, lit énormément pour lutter contre la tentation de l’extrémisme. C’est lui, qui par l’intermédiaire de Skype, demandera à un professeur de sciences politiques « pourriez-vous nous envoyer des références de livres sur les idéologies politiques contemporaines d’auteurs occidentaux et arabes ? »
On assiste en direct à l’éveil et à l’essor des consciences.
Shadi le comprendra lors de son exil à Istanbul en 2016, en lisant le livre d’Orwell, « 1984 » et notamment cette phrase : « Ils ne se révolteront pas avant d’avoir pris conscience. Et ils ne prendront pas conscience avant de se révolter. »
Le constat est clair et positif : malgré la guerre, la population assiégée a réussi à mener d’autres activités collectives de survie, comme la création d’un journal local, mais aussi un potager commun permettant de cultiver des aubergines.
Malgré sa résistance, Daraya est exsangue, les convois humanitaires sont bloqués par le régime et ses alliés russes. La capitulation s'impose. Alors que la ville est détruite à 95%, le 27 août 2016, le dernier hôpital est incendié par des bombardements et les huit mille habitants reçoivent un ultimatum. Ils ont 48 heures pour quitter Daraya.
2388 habitants sont morts à Daraya entre 2011 et 2016. Actuellement c'est une ville fantôme.
Aujourd’hui, Jihad travaille pour une ONG qui aide les Casques Blancs de la Défense Civile. Ahmad a rejoint Jihad à Gaziantep (ville turque proche de la frontière) où il projette d’écrire une fiction sur Daraya. Shadi vit à Istanbul et rêve de devenir cameraman.
On peut recevoir ce documentaire comme un coup de poing sur la table. Il veut ébranler le confort de vies occidentales, réveiller des consciences endormies, oisives, désengagées de tout intérêt humaniste. Ces jeunes révolutionnaires syriens sont un exemple.
Claude Freydefont
MEMORIAL 98
Parmi les nombreux textes publiés par Memorial 98 à propos de la Syrie:
http://www.memorial98.org/2019/03/syrie-huit-annees-de-revolte-et-de-souffrance-marchons.html
http://info-antiraciste.blogspot.com/2015/11/noussommesduma-frompariswithlove.html
http://info-antiraciste.blogspot.com/2016/12/alep-non-nous-ne-sommes-pas-impuissants.html
http://www.memorial98.org/2015/10/poutine-et-assad-une-alliance-pour-massacrer-les-syriens.html
http://www.memorial98.org/2016/02/sauver-alep-et-la-syrie-libre.html
http://www.memorial98.org/article-syrie-le-sens-de-notre-soutien-114962831.html