A l’occasion du 74e anniversaire de la Nuit de Cristal du 9 Novembre 1938, nous publions deux articles de notre site consacrés à cet événement, écrits en 2008 lors du 70e anniversaire.
Le premier article décrit le déroulement des violences en Allemagne même et leur planification, le second se concentre sur les événements en Autriche. Quelques semaines avant la Nuit de Cristal, des "lois raciales" dirigées notamment contre les personnes de religion juive furent proclamées par Mussolini le 18 septembre 1938 depuis le balcon de l'hôtel de ville de Trieste, ville où vivait l'une des plus importantes communautés juives d'Italie,
Depuis 2008, la situation sur le continent européen s'est aggravée.
Le contexte actuel en Europe est celui d’une offensive des droites radicales et extrêmes, qui attaquent sans répit les populations immigrées, les populations musulmanes, les Roms, les Juifs. La récente campagne électorale en France et celle en cours au sein de l'UMP en témoignent.
Sous le poids de la crise économique et des politique d'austérité, on assiste à une poussée des droites radicales et même de partis néo-nazis tel que le parti Aube dorée en Grèce. Le massacre mis en oeuvre par Breivik en Norvège en constitue un autre exemple.
Les gouvernements, y compris ceux qui se réclament de la gauche, accompagnent les campagnes xénophobes.
En Autriche, la droite (très) radicale demeure menaçante après avoir connu plusieurs succès électoraux
En Allemagne, l'extrême-droite maintient une atmosphère de violence et semble bénéficier d'une grande tolérance de la part des forces de l'ordre, comme le prouve l'impunité dont a bénéficié le groupe NSU qui a multiplié les assassinats d'immigrés .
Voir aussi sur ce site:
Allemagne: qui protège les néos-nazis?
Copé : au-delà de la provocation
Berlin : hommage à une Juste allemande
Europe : vague de racisme, les gouvernements responsables
Roms : les mauvaises actions du gouvernement.
Chef d'oeuvre: allez voir "Welcome in Vienna"
Norvège : comprendre l’horreur.
MEMORIAL 98
Nuit de Cristal en Allemagne: les SA et la Gestapo en action
Cet article retrace le déroulement et la planification de ces violences antijuives ainsi que la réaction du gouvernement français de l'époque et l'hommage de Léon Trotsky à Herschel Grynzspan.
Les nazis guettaient une occasion pour lancer une étape supplémentaire de ce qui deviendra, selon leur terminologie, la « solution finale du problème juif en Europe ». Le premier acte en sera un vaste pogrom dans tous les territoires sous domination allemande, destiné à terroriser les populations juives et à les forcer à quitter l'Allemagne.
L'attentat à Paris contre le conseiller d’ambassade Von Rath leur offre un prétexte idéal.
Herschel Grynzspan était un jeune Juif polonais qui, le 7 novembre 1938, dans un geste de protestation contre le sort des Juifs en Allemagne et l'expulsion de milliers d'entre eux vers la Pologne, avait abattu à Paris le conseiller d'ambassade Von Rath.
Hitler prépare alors une mise en scène destinée à démontrer que les Allemands du Grand Reich sont menacés par les Juifs. Le quotidien du parti nazi le"Volkischer Beobatcher", dirigé par Goebbels, écrit ainsi le 8 novembre, alors que Von Rath est encore vivant :
"Il est clair que le peuple allemand tirera les conclusions de cette nouvelle action. On ne peut plus tolérer que des centaines de Juifs règnent encore à l'intérieur de nos frontières sur des rues entières de magasins, qu'ils peuplent nos lieux de distractions, que des propriétaires étrangers empochent l'argent des locataires allemands tandis que leurs frères de race incitent au-dehors à la guerre contre l'Allemagne et tuent des fonctionnaires allemands"
Parallèlement, dès le 8 novembre, les nazis prennent la précaution de confisquer chez les Juifs tout objet que ceux-ci pourraient utiliser pour se défendre.
Lorsque Von Rath décède le 9 novembre, tout est en place.
Au moment où la nouvelle parvient à Hitler, ce dernier est à Munich, avec la vieille garde des SA, réunie pour commémorer sa tentative de putsch de 1923. Contrairement aux habitudes, Hitler quitte l'assemblée sans prononcer de discours et déclare:
"Il faut laisser le champ libre aux SA (Sections d'Assaut)"
C'est Goebbels, ministre de la Propagande qui se charge non seulement d'annoncer publiquement le décès devant l'assemblée des SA, mais également d'inciter au pogrom.
Les principaux chefs nazis quittent ensuite la réunion à 23 heures et téléphonent les instructions à leurs sections régionales.
Pour les SA, il s'agit d'incendier les synagogues, sans autoriser les pompiers à intervenir, sauf pour empêcher la propagation du feu vers les maisons alentour, de détruire les magasins juifs, et d’y apposer des pancartes "Mort à la juiverie internationale" ainsi que de tuer sur place les Juifs trouvés en possession d'une arme.
Dans le même temps, un message secret est diffusé dès 23 h 55 depuis la direction de la Gestapo (police secrète d’Etat) de Berlin à tous ses services.
Pour la Gestapo, il s'agit d'incendier les synagogues, mais d'empêcher les pillages, de mettre en lieu sûr les archives importantes trouvées dans les synagogues, de préparer l'arrestation de 20 à 30 000 Juifs parmi les plus fortunés, de traiter avec une extrême rigueur les Juifs trouvés avec des armes.
Dans son Journal, Goebbels confirme qu'il présente un rapport sur la situation à Hitler; ce dernier décide de laisser les manifestations se poursuivre et donc de faire retirer la police.
Goebbels commente : « Les Juifs doivent sentir pour une fois la colère du peuple. »
Goebbels décrit ensuite précisément son action, il donne des ordres, motive les indécis. Il est ovationné par les dirigeants du parti. Tous se précipitent sur leurs téléphones. Le bataillon des SA « Hitler » part attaquer les Juifs de Munich.
Selon les directives de Goebbels, la seule réserve est de ne pas apparaître en tant qu'organisation. Aussi, les SA et les SS s'habillent en civil et passent à l'acte dès 1 heure de matin.
Du nord au sud de l'Allemagne, incluant l'Autriche annexée, synagogues, maisons communautaires, asiles de vieillards, hôpitaux juifs, maisons d'enfants, logements privés et magasins juifs subissent l'assaut.
Les synagogues sont pillées, saccagées, détruites, incendiées, sans que les pompiers n'interviennent, se contentant d'empêcher la propagation des incendies aux maisons alentour. Des groupes de SA attaquent les magasins juifs qui sont facilement reconnaissables, depuis qu'une ordonnance a exigé que le nom du propriétaire soit peint sur la vitrine en grandes lettres.
La teneur des messages des chefs des SA et de celui de la Gestapo, corrobore l'idée de l'existence d'un plan d'ensemble dont l'instigateur est Hitler.
D'ailleurs le silence officiel de Hitler ainsi que de Goebbels lors des événements des 7 et 8 novembre confirme cette thèse.
Dans son journal, Goebbels écrit à propos de l'attentat, lorsqu'il relate la journée du 8 novembre : « A Paris, un juif polonais du nom de Grynzspan a tiré dans l'ambassade sur un diplomate allemand Von Rath, le blessant grièvement. Il voulait venger les Juifs. La presse allemande jette maintenant des hauts cris. Nous allons mettre les points sur les i... En Hesse, grandes manifestations antisémites. On brûle des synagogues. Si seulement on pouvait déchaîner la colère du peuple ».
Les conséquences
En Allemagne, 2000 à 2500 personnes ont trouvé la mort lors du pogrom ou dans les camps de concentration vers lesquels elles ont été expédiées. Lorsque trois mois plus tard, certains sont libérés, c'est à la condition d'émigrer immédiatement. Rendus responsables du pogrom, les Juifs d'Allemagne devront verser collectivement une amende d'un milliard de marks, et devront payer eux-mêmes les réparations, sans pouvoir bénéficier d'indemnisations de leurs assurances. Des milliers de Juifs d'Allemagne, privés de tous leurs biens, tentent de traverser clandestinement les frontières et d'obtenir le statut de réfugiés politiques dans les pays avoisinants .
En France
Lors de la conférence internationale d'Évian de juillet 1938, réunie pour tenter de trouver des lieux d'asile notamment pour les réfugiés juifs et qui a abouti à un échec, le gouvernement français a ainsi exposé sa position: la France ne veut plus accueillir de réfugiés. Par ailleurs, lors des accords de Munich le 30 septembre de la même année, la France a cédé aux exigences allemandes. Une partie de la Tchécoslovaquie, les Sudètes sont annexées au Reich nazi, la paix est « sauvée ». La France tourne le dos ouvertement à ses principes de pays de droits de l'homme, car le gouvernement recherche à tout prix l'apaisement avec son voisin allemand, notamment à travers des négociations secrètes menées par Georges Bonnet, ministre des affaires étrangères depuis le 10 avril 1938. Bonnet ne veut pas que les évènements de la Nuit de Cristal compromettent sa politique. Il choisit d'ignorer le rapport de George Von, nouvel ambassadeur de France à Berlin, qui lui écrit : "Le traitement infligé aux Juifs en Allemagne que les nazis tentent d'extirper complètement comme des bêtes malveillantes, éclaire la grande distance qui sépare la conception hitlérienne du monde du patrimoine spirituel des nations démocratiques". Bonnet sera ensuite pétainiste, membre du Conseil national de Vichy.
La France est ainsi la seule grande démocratie à ne pas dénoncer officiellement les massacres perpétrés dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938.
De plus, le 12 novembre 1938, deux jours après la Nuit de Cristal, une loi autorise en France l'internement des "indésirables" dans des camps de concentration. Les réfugiés juifs allemands et autrichiens entrés illégalement en France sont désormais directement menacés et seront internés puis plus tard livrés.
L'hommage de Léon Trotsky à Herschel Grynzspan (extraits) :
« Nous, marxistes, considérons la tactique du terrorisme individuel comme inopérante pour les tâches de la lutte libératrice du prolétariat ou des peuples opprimés. Un seul héros isolé ne peut pas remplacer les masses. Cependant nous ne comprenons que trop bien le caractère inévitable de ces actes convulsifs de désespoir et de vengeance. Toutes nos émotions, toute notre sympathie vont aux vengeurs qui se sacrifient, même s'ils n'ont pas trouvé la voie juste. Notre sympathie est d'autant plus grande que Grynzspan n'est pas un militant politique, mais un jeune, inexpérimenté, presque un enfant, dont le sentiment d'indignation a été l'unique conseiller.
Arracher Grynzspan des mains de la justice capitaliste, laquelle est capable de le décapiter pour mieux servir la diplomatie capitaliste, c'est le devoir élémentaire, immédiat de la classe ouvrière internationale.
Ce qui est le plus révoltant dans sa stupidité policière et sa bassesse inouïe, c'est la campagne actuellement menée sur ordre du Kremlin dans la presse stalinienne internationale. On essaie de le dépeindre comme un agent des nazis ou un agent des trotskystes liés aux nazis Fourrant dans le même sac le provocateur et sa victime, les staliniens prêtent à Grynzspan l'intention de créer un prétexte favorable à la politique pogromiste de Hitler.
Nous sommes naturellement liés par les liens d'une solidarité morale ouverte à Grynzspan et non à ses geôliers " démocratiques " ou aux calomniateurs staliniens. La diplomatie du Kremlin, complètement dégénérée, essaie en même temps d'utiliser cet " heureux " incident pour renouer ses intrigues en vue d'un accord de réciprocité international entre les divers gouvernements, y compris ceux de Hitler et de Mussolini, pour l'extradition mutuelle des terroristes
Ils deviennent rares les gens qui soient même capables de s'indigner contre l'injustice et la bestialité. Mais ceux qui, comme Grynzspan, sont capables d'agir...
Du point de vue moral - et non pour ses méthodes d'action - Grynzspan peut servir d'exemple à tout jeune révolutionnaire. Notre solidarité morale avec Grynzspan nous donne doublement le droit de dire à tous les Grynzspan possibles, à tous ceux qui sont capables de se sacrifier dans la lutte contre le despotisme et la bestialité : Trouvez une autre voie ! Ce n'est pas un vengeur isolé qui peut libérer les opprimés, mais seulement un grand mouvement révolutionnaire des masses, qui ne laissera rien subsister du système de l'exploitation de classe, de l'oppression nationale et de la persécution raciale...
Trotsky, 30 janvier 1939
Terrible Autriche
La vague de violences antijuives organisée par les nazis les 9 et 10 décembre 1938 et connue sous le nom de Nuit de Cristal (Kristallnacht), fut particulièrement meurtrière en Autriche, alors intégrée au Reich allemand. En ce 70e anniversaire, c'est aussi là que son souvenir résonne dans l'actualité récente.
Lors des législatives du 28 Septembre dernier (Septembre 2010) l'extrême-droite a, malgré ses divisions, rassemblé 30% des voix.
Environ 40 % des moins de 18 ans ont voté pour le FPÖ de Heinz-Christian Strache, concurrent de Haider.
Strache, entouré de néo-nazis, s'est illustré au printemps dernier par une très violente campagne contre les immigrés et une éventuelle adhésion de la Turquie à l'Europe, sous le slogan «Autriche, reste libre!»
Près de 10 % de ces jeunes de 16 à 18 ans à qui le vote était ouvert pour la première fois ont opté pour le BZÖ de Haider
Mais dans cette Autriche vieillissante, il ne faut pas surestimer le poids des 16-18 ans, ils représentent moins de 3 % de l'électorat Les résultats de l'extrême droite sont dus en majeure partie à des gens de plus de 50 ans.
La mort de Haider le 11 Octobre a ensuite donné lieu à une immense célébration.
Jamais en Autriche, un homme politique n'avait été l'objet de tels honneurs. À Klagenfurt, la capitale régionale de la Carinthie dont il était le gouverneur des milliers de bougies ont été allumées devant le palais du gouvernorat, tandis que des banderoles accrochées par des ribambelles d'écoliers pleurent «Jörg, le roi des cœurs carinthiens». Une messe célébrée en la cathédrale de Vienne a rassemblé des milliers de personnes, mêlant anciens ministres, conservateurs comme sociaux-démocrates, et néo-nazis discrets, identifiables seulement à leur crâne rasé et à la boucle de leur ceinturon affichant un double «s».
Dans les écoles de Carinthie, une minute de silence a été observée durant la semaine à la mémoire de Jörg Haider. Les enfants ont été invités à chanter pour lui.
Lors de ses obsèques, plusieurs orateurs se sont succédé à côté du cercueil veillé par six soldats, s'adressant à un parterre où la plupart des élites politiques autrichiennes avaient pris place. Le président de la république Heinz Fischer, le chancelier social-démocrate Alfred Gusenbauer, le chef du parti social-démocrate Werner Faymann - chargé de former le futur gouvernement à l'issue des dernières législatives, ses homologues des autres partis, à l'exception des écologistes, lui rendirent hommage
Cet emballement institutionnel et populaire, qui, pour le quotidien de droite à grand tirage Kurier, rappelle celui «autour de Lady Di et de Mère Teresa», vit célébrer en grande pompe la disparition d'«un homme politique de grand talent», selon les termes du président de la République, Heinz Fischer (SPÖ, gauche).
C'est le même Haider qui se réclamait «la politique de l'emploi réussie» du IIIe Reich et célébrait les Waffen SS, ces «hommes honnêtes restés fidèles à leurs convictions»
Au même moment, l'élection à la co-présidence du Parlement autrichien de Martin Graf, député du parti d'extrême-droite FPÖ de Strache et membre de l'association antisémite et négationniste Olympia amplifie le malaise. Olympia compte à son actif l'organisation de conférences du négationniste David Irving (voir notre article précédent Oxford: négationnistes en vedette? ), et la prestation du chanteur compositeur antisémite Michael Müller qui, sur scène, entonnait: "Avec 6 millions de Juifs, la fête ne fait que commencer Jusqu'à 6 millions, le four reste allumé (...) Nous avons plein de Zyklon B (...) Avec 6 millions de Juifs, c'est encore loin d'être terminé".
Les partis de J. Haider et Strache s'inscrivent dans la tradition antisémite sans doute la plus intense d'Europe occidentale. Dès 1895, Karl Luger, dirigeant du parti social-chrétien maire de Vienne au programme explicitement antisémite, se fait élire sur la thématique de l'envahissement de la ville par les juifs de l'Est et l'atteinte à la nation autrichienne-allemande.
L'année 1938 a débuté par l'annexion de l'Autriche. L'armée allemande fait une entrée triomphale en Autriche le 12 mars 1938. À la fin cette journée, les bureaux des organisations juives sont déjà saisis par les Nazis.
Dans les jours et les mois qui suivent presque tous les Juifs autrichiens ont perdu leurs moyens de subsistance et dans la majorité des cas leur domicile. Les mesures antisémites du Reich s'appliquent immédiatement.
Au lendemain de l'Anschluss, les Juifs sont forcés de revêtir leurs habits de fête et de nettoyer les rues de Vienne, accroupis sous le regard des Viennois goguenards et ravis. Les jeunesses Hitlériennes paradent en tirant des Juifs orthodoxes par leur barbe ; d'autres Juifs sont été obligés de brouter l'herbe au parc du Prater Ces actes sont rarement commis par des Nazis allemands mais plutôt par des Nazis autrichiens. À Vienne, les « parties de frottage », sont quotidiennes. Des groupes de S.A. sortent les Juifs de leur maison ou de leur magasin, leur mettent dans les mains un seau et une brosse et les obligent, sous les huées et les injures des gens qui font cercle autour d'eux, à effacer sur le macadam ou sur les murs des maisons les slogans appelant à s'opposer à l'Anschluss ou de barbouiller de peinture jaune des magasins juifs.
Lors de la Nuit de Cristal, la plupart des synagogues de Vienne furent détruites. Les commerces juifs furent vandalisés et saccagés. Des milliers de Juifs furent arrêtés et déportés vers les camps de concentration de Dachau ou de Buchenwald.
Les nazis autrichiens occupèrent une place centrale au sein de la galaxie nationale-socialiste, suivant l'exemple de Hitler, lui-même d'origine autrichienne. Adolf Eichmann symbolise cette implantation au cœur de la mise en œuvre du génocide.
Après guerre, la réintégration rapide des nazis dans l'espace politique se fait sous la protection des Alliés et du mythe d'une Autriche "victime" du nazisme. La présidence de Kurt Waldheim, qui a participé à des crimes de guerre dans les Balkans, poursuit cette voie, aggravée en 1999 par la première victoire électorale de Haider avec 27% des voix.
MEMORIAL 98