Le public de Dieudonné, ce sont surtout les jeunes de banlieue, issus de l'immigration. Poncif éculé dont beaucoup veulent voir la preuve dans les exemples de « quenelliers » mis en avant par les médias ces derniers temps.
Le site "Rue 89" et d'autres ont ainsi beaucoup parlé d'un jeune animateur de Seine et Marne, dont la municipalité qui l’employait a demandé et obtenu la démission après qu'il ait posté des photos de lui et des mômes dont il avait la responsabilité reproduisant, à son instigation, le geste de ralliement au politicien fasciste.
Mais cette apparence médiatique correspond à une réalité éludée: celle des protections sociales dont bénéficie une autre partie de la jeunesse quand il s'agit de réprimer l'antisémitisme, exactement comme c'est le cas pour d'autres comportements.
Il y a ainsi des établissements scolaires prestigieux, dans lesquels le milieu social dont on est issu, comme le brillant avenir auquel on est promis, permettent de laisser libre cours à son antisémitisme, comme d'ailleurs à son homophobie et à son racisme.
Le journal, dont les articles sur l' « affaire Dieudonné » sont reproduits ci-dessous, n'est pas une petite feuille autonome faite par quelques élèves d'un lycée mal famé d'une banlieue excentrée.
La « Mouette Bâillonnée » est un journal lycéen récompensé en 2013 par un prix national, adoubé par la direction de l'établissement concerné, en l'occurrence le lycée Marcelin Berthelot : celui-ci, situé au cœur d'une ville très bourgeoise du Val-de-Marne est un établissement dont les classes préparatoires aux grandes écoles sont, pour certaines, premières dans les classements nationaux. Les sportifs de haut niveau de l'INSEP y suivent des cours.
À parcourir le numéro 20 de « La Mouette Bâillonnée », on voit d'ailleurs tout de suite que les élèves qui l'animent ont déjà cette assurance des jeunes qui se destinent à des fonctions sociales élevées. On y commente l'actualité mondiale comme dans un hebdo de la presse mainstream, on n'hésite pas à donner un avis sur tout, en quelques lignes, de la guerre au Mali au second mandat de Barack Obama en passant par le nouveau pape, qu'on décrète « résolument progressiste », sans éprouver le besoin d'expliquer pourquoi. Côté loisirs, on a déjà ceux de sa classe, et l'on décerne un petit satisfecit à un bar à cupcakes du centre de Paris.
On est déjà à sa place, à l'aise dans la société, certain d'y briller, conscient de son « devoir de citoyen », et dans un rapport paisible avec l'autorité. C’est la raison pour laquelle d'ailleurs on s'investit dans un journal intégré à l'établissement et non dans une initiative autonome : à quoi bon, puisque seule une différence d'âge nous sépare de ces adultes qu'on remplacera bientôt et qui incarnent la hiérarchie sociale,?
Et pourtant, cela n'est absolument pas contradictoire avec le fait d'être « anti-système », c’est-à-dire de se sentir dépositaire d'une certaine « rébellion », convaincu que certaines choses doivent changer en ce bas monde. Par exemple, la domination des "sionistes" qui empêche qu'on se marre sur la Shoah.
Voilà en effet le sujet de deux « articles » du dernier numéro: il faut bien mettre « article » entre guillemets, car le contenu est juste une succession de copiés-collés trouvés sur les sites dieudonnistes, construit comme ces mauvais corrigés de sujets du bac qu'on trouve sur le net. Et là le sujet ce serait : « En partant de l'exemple de Dieudonné, vous montrerez en quoi la France est dominée par les Juifs ».
Pour ces jeunes gens, en effet, Dieudonné, en s'offrant tel le Christ au sacrifice ultime a dévoilé la vérité du monde : il y a des « sionistes » partout, dans les médias et au plus haut niveau du pouvoir. Manuel Valls en est un, par sa femme, car c'est bien connu, cette chose-là se transmet par les femmes. Mais pas seulement : toutes celles et ceux qui ont pris position contre l'antisémitisme et le négationnisme, toutes celles et ceux qui considèrent que l'extermination des Juifs d'Europe est un événement important dans l'histoire européenne, toutes celles et ceux qui pensent que des meetings fascistes où l'on appelle à mettre les gens dans les chambres à gaz sont un problème, eux aussi sont aussi des « sionistes » et les vrais maîtres du pays.
Bien évidemment, ces jeunes gens là sont prudents et connaissent les limites de vocabulaire à ne pas franchir pour le moment : on ne lira pas sous leur plume que les Juifs contrôlent les médias ou le gouvernement, non, seulement les « sionistes ». Malheureusement pour nos « antisionistes », la rédaction est bâclée, et par conséquent est totalement absente la petite référence traditionnelle aux Palestiniens, censée témoigner chez le locuteur antisémite de son amour des opprimés, amour qui ne s'exprime d'ailleurs chez lui que par la haine du Juif et non par des actions de solidarité avec la Palestine
On ne les verra pas non plus remettre en cause des décisions de justice, juste proférer un énorme mensonge, selon lequel Dieudonné n'aurait jamais été condamné par un tribunal pour incitation à la haine raciale : en réalité Dieudonné fait l'objet actuellement de quatre condamnations définitives sur ce sujet, et d'une susceptible d'appel.
Mais sans doute nos journalistes en herbe ont-ils eu un doute sur la crédibilité de la manœuvre éculée consistant à remplacer dans la bonne vieille thèse du complot juif mondial à l'assaut du pays réel, le mot « Juif » par le mot « sioniste ». On ne voit pas d'autre raison à l'inversion victimaire, grossière et délirante qui intervient dans l'article lorsque ses auteurs parlent de « meurtres sur des citoyens faisant une quenelle ». On savait que le racisme et l'antisémitisme avaient tué en France récemment, on ignorait que des fascistes étaient morts. Mais sans doute est-ce parce que les « médias » nous le cachent, nos jeunes rebelles, élèves de Seconde, eux, sont tellement bien informés qu'ils nous présentent ces meurtres comme un fait, sans un mot de plus.
A vrai dire, l'article pourrait prêter à rire, ces mensonges grossiers sur le présent s'accompagnant de références historiques involontairement parlantes, lorsque l'apprenti journaliste se fait tribun en en appelant aux grands noms de la Révolution Française. Un peu dommage, lorsqu'on prétend défendre Dieudonné par antiracisme d'invoquer la mémoire du Duc de Castellane, qui certes fut révolutionnaire en 1789 mais devient ensuite un notable du Directoire et de l'Empire et est resté célèbre notamment pour avoir organisé en 1802 une rafle de Bohémiens, en arrêtant 500 en une seule nuit avec le projet de les déporter en Louisiane, alors qu'il était préfet. Il est vrai qu'à La Mouette Bâillonnée on n'aime pas trop les Roms : ainsi trouvait-on en novembre, la tribune indignée d'une rédactrice qui estimait qu'il était légitime d'expulser Leonarda Dibrani, et qu'elle avait attiré l'attention à cause de son origine, parce que « rom c'est bien plus attrayant et universel » ( http://lamouettebblog.wordpress.com/2013/11/15/leonarda-lexemple-a-ne-pas-suivre/).
Mais tout ceci est évidemment moins drôle si l'on se met à la place des élèves ou des personnels de l'établissement éventuellement visés par la haine dieudonniste. Ils peuvent lire dans le journal du lycée dont la publication est dirigée par le proviseur que le politicien antisémite est en fait la victime, et que ses dénonciateurs sont les véritables maîtres du pays qui ont organisé un « lynchage médiatique » digne d'une dictature.
Si c'est le cas, en tout cas, à Marcelin Berthelot, on résiste résolument à l'envahisseur « sioniste ». Dans certains lycées ordinaires, des élèves ont été sanctionnés par des renvois pour une « simple » quenelle, et leur affaire s'est immédiatement retrouvée au moins dans Le Parisien.
Mais il y a des avenirs à ne pas compromettre. Aussi, en ce qui concerne La Mouette Bâillonnée, l'affaire est à ce jour restée interne. En réalité, il n'y a pas vraiment eu d' « affaire » pour les lycéens concernés : ce sont plutôt celle, professeur, et ceux, élèves, qui ont osé protester contre cet article qui sont dans un premier temps désignés comme des fauteurs de trouble par une partie de l'établissement. "On n'a jamais de réaction à l'exercice de la liberté d'expression lycéenne, sauf quand on parle des juifs", peut-on entendre dans les couloirs... ou les bureaux. La prof est juive, c'est pour ça, évidemment, qu'elle a réagi ! Pas parce qu'elle est prof d'histoire, pas parce qu'elle est citoyenne, pas parce qu'elle est engagée dans la lutte contre les communautarismes, non, rien de tout cela... Il faut dire que sa protestation a entraîné la mobilisation d'une partie de la salle des profs. Aujourd'hui, les articles ont été retirés du site Internet du journal. Et puis ? Et puis c'est tout.
Enfin, pas tout à fait. Une association de parents d'élèves, sans doute bouleversée par la contestation de la pensée de ses brillants rejetons, reprend le flambeau de la juste lutte contre l'envahissement « sioniste » et choisit ce moment pour contester de nouveau des actions visant à faire connaître l'histoire de la Shoah, notamment par l'organisation de visites des vestiges des camps d'extermination. C'est évidemment une coïncidence ! La même prof les organise depuis dix ans et publiera bientôt un ouvrage sur celles et ceux qui touchés par les lois raciales de Vichy ont porté l'étoile jaune dans l'établissement. Et elle ne dit rien, pour le moment, de ce qu'elle a trouvé...
Le lycée Marcelin Berthelot eut autrefois parmi ses professeurs, Georges Politzer, philosophe, communiste, résistant, fondateur de l'Université Ouvrière. Son professorat fut interrompu par son arrestation par la Gestapo, qui l'assassina en 1942.
Bien plus tard, le lycée accueillit un autre élève, Roger Garaudy, négationniste de son état.
À Marcelin Berthelot comme ailleurs, ne laissons pas les faussaires et les négationnistes l'emporter.
Memorial 98 et Operation Poulpe ( link)
voir aussi Dieudonné : au-delà de la quenelle, l’escalade meurtrière.
Contre Dieudonné: l'exemple de Metz
Histoire: la gauche combat l'antisémitisme.
Hitler ? Pff, une banalité ! ... par Souâd Belhaddad
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