Masquée partiellement lors des mandats de Chirac, elle rebondit avec force lors de la campagne actuelle. D’abord fondamentalement en raison de l’orientation de Sarkozy depuis 2002 vers un populisme d’exclusion symbolisé par les fameux « Racaille » et « « nettoyage au Karcher »
Dans la campagne électorale elle-même Sarkozy a multiplié les gestes concrets en direction du Front National.
il a appelé publiquement à fournir des signatures à Le Pen afin que celui ci puisse se présenter. Il ne s’agit pas de paroles en l’air ; la députée UMP Nadine Morano, très proche du candidat UMP, a elle même collecté ces signatures pour Le Pen comme l'indique le Canard enchaîné, jamais démenti, dans son édition du 11 Avril 2007 : "En Meurthe-et-Moselle, par exemple, Nadine Morano, en bon petit soldat, réunit des maires ruraux début mars; “Nous étions cinq ou six à être désignés pour signer en faveur de Le Pen. Nadine nous a demandé d’envoyer nos parrainages non pas directement au Conseil constitutionnel, mais au siège du comité de soutien départemental de l’UMP. C’est elle, ensuite, qui les a emmenés à Paris”, raconte l’un d’eux".
Puis Brice Hortefeux, proche conseiller de Sarkozy et souvent commis aux basses œuvres, a lancé l'idée de la proportionnelle afin de complaire au FN.
Au plan politique et symbolique c’est sans doute le projet de création d’un ministère de « l’immigration et de l’identité nationale » qui concrétise le plus fortement et le plus ouvertement une référence forte à cette menace d’ « envahissement » qui depuis cent ans, constitue en France la bannière du nationalisme.
C’est aussi dans la mise en scène des meetings que se déploie cette rhétorique, quand le candidat les conclut maintenant systématiquement par la formule « vive la République et surtout vive la France »
D’ailleurs lorsque le Monde l’interroge le 26 Avril:
« …Avez-vous des valeurs communes avec le FN ? », Sarkozy répond : « Mes valeurs sont les valeurs de la République : travail, mérite récompense, fraternité, autorité, exigence, récompense… ».
Cette énumération, qui s’oppose explicitement aux termes de la devise républicaine en soustrayant la Liberté et l’Egalité, est parfaitement choisie pour sa compatibilité avec les « valeurs » du FN
La récupération directe des voix du FN vers Sarkozy vient parachever cette campagne menée depuis 2002 Daniel Simonpieri, maire de la ville de Marignane (13) qu'il a conquise en 1995 sous la bannière FN, maintenant à l'UMP, déclare ainsi, sans non plus être démenti:
«Beaucoup d'électeurs FN ont constaté que Nicolas Sarkozy disait les mêmes choses que Le Pen, mais que lui avait une chance de les mettre un jour en application. Ils ont donc voté utile. Parce qu'ils ont cessé de croire à l'accession de Le Pen au pouvoir». ( Le Canard enchaîné du 25 Avril 2007)
Sarkozy veut récupérer l’électorat et sans doute les cadres du Front National, alors que se profile le retrait de Le Pen.
Le soubassement « théorique » de ce rapprochement avec le FN, au delà des invectives de campagne entre Le Pen et Sarkozy, est à chercher dans la tentative acharnée du candidat UMP et de son entourage, truffé d’anciens du groupe fasciste et antisémite Occident (Devedjian, Longuet…) de réhabiliter une droite dure et décomplexée dont l’effacement remonte à la guerre.
Acharné contre ce qu'il appelle la "repentance nationale » Sarkozy remet aussi en cause l’avancée que constitue la déclaration officielle de Chirac en 1995 concernant le rôle de l'Etat français de Vichy (voir nos articles:"Sarkozy jette aux orties la reconnaissance de la participation de la France à la Shoah" et "Sarkozy encense Maurice Druon, ami et soutien de Papon")
De plus il attribue aux Allemands (et pas aux nazis !) la responsabilité unique du génocide. Or qui a promulgué un statut d'exclusion des juifs dès Octobre 1940 de manière volontaire et autonome? l'Etat français. Qui a décidé la déportation des enfants, non demandée par les nazis? Laval.
Sarkozy va chercher très loin et très à droite les sources de cette révision idéologique.
Dans son discours de Metz le 17 Avril, il commence par invoquer les mannes de Maurice Barrès: « et sur la colline inspirée de Sion, Barrès priait d’un même élan du coeur la Vierge, la Lorraine et la France et écrivait pour la jeunesse française le roman de l’énergie nationale ». Qui est Barrès ? un nationaliste d’extrême droite antidreyfusard, qui affirma notamment : "Je n'ai pas besoin qu'on me dise pourquoi Dreyfus a trahi. En psychologie, il me suffit de savoir qu'il est capable de trahir et il me suffit de savoir qu'il a trahi. L'intervalle est rempli. Que Dreyfus est capable de trahir, je le conclus de sa race…Quant à ceux qui disent que Dreyfus n'est pas un traître, le tout, c'est de s'entendre. Soit ! Ils ont raison : Dreyfus n'appartient pas à notre nation et, dès lors, comment la trahirait-il ? Les Juifs sont de la patrie où ils trouvent leur plus grand intérêt. Et par là on peut dire qu'un juif n'est jamais un traître."
Maurice Barrès, "Ce que j'ai vu à Rennes", Scènes et doctrines du nationalisme, 1902, après que la justice ait reconnu que les » preuves »étaient fausses.
Barrés est de nouveau appelé à la rescousse lors du meeting de Rouen le 24 Avril.
Quand Sarkozy cite à plusieurs reprises Jaurès et Blum, il ne s’agit nullement d’une innovation inspirée mais de la reprise de discours de l’écrivain nationaliste et ex-de gauche Max Gallo appelant dès 1996 à
" réconcilier Louis XIV et les soldats de l'an II, Péguy et Jaurès, Blum et même Brasillach (écrivain fasciste fusillé en 1946 pour collaboration et délation) "
Face à cette entreprise sarkozyste de réécriture de l’Histoire, dont l'ampleur est sous-estimée, un vaste et profond combat s’engage: nous y participons!
MEMORIAL 98