Simple provocation ou testament politique ?
L'interprétation la plus répandue des récents propos négationnistes de Le Pen dans le magazine "Bretons" consiste à les attribuer à la recherche d'un énième scandale destiné à refaire parler de lui.
Cette interprétation nous semble très partielle; elle ne correspond ni à la situation dans laquelle se trouvent aujourd'hui Le Pen et le FN, ni d'ailleurs au média peu connu dans lequel ses propos sont initialement publiés.
En réalité, il s'agit d'une problématique plus vaste : à l'approche de sa retraite politique, Le Pen tente de justifier son échec personnel en l'attribuant à la puissance du « lobby juif ».
En effet, le chef du FN n'a (heureusement !) pas réussi à concrétiser les extraordinaires succès électoraux de son parti, alors qu'il se voyait aux portes de la participation au pouvoir.
Sa présence au deuxième tour de la présidentielle de 2002 est restée sans lendemain.
Même les alliances établies avec la droite lors des élections régionales de 1998 se sont effondrées dans le chaos.
Son parti s'est fracturé et n'a jamais retrouvé sa force.
La politique sarkozyste de récupération des thèmes du FN a ensuite conduit à un recul électoral du FN.
Face à ce bilan personnel d'échec, Le Pen fait appel, avec une violence accrue, à deux explications déjà utilisées à de maintes reprises et présentes dans son interview récente : celle de la « décadence de la France » et celle de la responsabilité du « lobby juif » qui a bloqué son ascension. C'est le sens de ses propos dans l'interview «... C'est le sujet qui est important, je crois. J'aurais parlé, même de très loin, du génocide vendéen, personne n'aurait été choqué... Est-ce un pays de liberté où une phrase, si contestable soit-elle - et prononcée par un homme public -, mérite 150 millions d'amende et la mise à l'index de l'individu et de son parti ?"
Le Pen voudrait faire passer le message suivant: " j'ai échoué car j'ai osé toucher au tabou de la Shoah; les Juifs m'ont harcelé et marginalisé"
Cette thématique a été martelée pendant des années, en mettant en cause le patronyme juif des journalistes de l'audiovisuel, en évoquant « l'internationale juive » ou un soi-disant pacte des partis de droite avec la fantasmatique organisation juive Bnai-Brith pour interdire les alliances entre la droite et l'extrême-droite.
C'est aussi ce que Le Pen a exprimé quand il a évoqué à plusieurs reprises pendant la campagne présidentielle de 2007 les « 3 grands-parents étrangers de Sarkozy »
Nous avions alors démontré et révélé que ces " trois grands-parents étrangers" constituaient une référence directe, bien que codée, au statut des Juifs de 1940 lequel fixait justement ce même critère de filiation des " trois grands parents " pour exclure les Juifs ainsi définis, des fonctions publiques et électives (voir nos articles précédents
Le Pen et les "3 grands-parents étrangers" de Sarkozy... Le Monde cite Mémorial 98 )
Ainsi pour Le Pen, c'est le « lobby juif » qui est maintenant au pouvoir à travers Sarkozy. Cette thématique antisémite est d'ailleurs largement présente chez les Dieudonné, Soral et autres agitateurs antisémites de la mouvance du FN, ainsi que dans la récente tirade du ministre algérien à la veille de la visite de Sarkozy ( voir nos articles précédents Algérie, antisémitisme: un texte de Souâd Belhaddad et Algérie: proclamation antisémite du régime )
Les premières réactions dans le FN
Une partie de l'appareil se retrouve autour de Louis Alliot pour se préoccuper avant tout de l'électorat FN; celui ci se sent moins motivé par l'engagement antisémite et négationniste générique du FN que par sa ligne xénophobe et anti immigrés. Alliot déclare ainsi « ... Dans la situation actuelle marquée par une augmentation de la pauvreté sans précédent, par l'accentuation des flux migratoires, par les dégâts considérables initiés par la mondialisation économique, par l'installation durable d'un islam radical sur notre sol, les Français attendent des solutions concrètes et une vision crédible de l'avenir que nous leur proposons. Concentrons-nous sur l'essentiel: les combats électoraux à venir... »
Par contre Alain Soral, en posture d'idéologue, porte-parole du prétendu « lepénisme de gauche », ami et mentor de Dieudonné, en rajoute dans l'antisémitisme violent et déclare :
« ... Monsieur Le Pen a profondément tort, la chambre à gaz est tout sauf un point de détail, c'est même aujourd'hui, plus qu'hier encore, la religion, le dogme autour duquel tourne toute l'époque contemporaine. Dans l'ordre du sacrifice fondateur, la chambre à gaz a remplacé la croix du christ...
... Aujourd'hui, dans ce climat de judéomanie délirante - une judéomanie délirante et suspecte qui tient plus de l'esprit de la Collaboration que du combat pour le bien et l'amour des hommes - plus les souffrances de la guerre s'éloignent, plus c'est la seconde guerre mondiale toute entière qui devient un détail de la chambre à gaz !... »
Dans la bataille pour la succession au sein du FN, le « tabou » négationniste n’a pas fini de se manifester et son poison d’être diffusé.
Note
A la veille du 1er mai et de la parade lepéniste, nous n'oublions pas que le 1er mai 1995 Brahim BOUARAM, jeune marocain de 29 ans, a été assassiné par des militants d'extrême droite qui participaient à un cortège du Front National et l'ont jetté à la Seine.
Comme chaque année nous nous retrouverons sur le pont du Carrousel à 11h pour honorer sa mémoire.
MEMORIAL 98