"Voilà plusieurs jours que l’image d’un enfant syrien mort sur une plage crie vers nous. On sait déjà que la photo du petit Aylan (Kurdi) signera désormais le drame de ces populations qui fuient actuellement leur pays. Et particulièrement les Syriens qui forment le tout premier contingent de ces masses de réfugiés ». Ainsi s’exprime l’association SouriaHouria (« SyrieLiberté ») qui soutient la révolution syrienne depuis son début en mars 2011.
La catastrophe humanitaire propulsée au premier plan
Depuis les quatre terribles années du conflit syrien, on aura rarement autant parlé des Syriens dans les médias qu’en ce mois de septembre 2015. Malgré le lobbying actif des courants pro-Assad en France, notamment celui de Marine Le Pen, osant dire que « les migrants syriens ne sont pas persécutés », malgré aussi le mutisme chronique des grands médias de l’audiovisuel sur la terreur d’État du régime Al Assad, les échos de la catastrophe humanitaire qu’elle a entraînée finissent par être entendus.
C’est ainsi que deux ans après l’attaque chimique du 21 août 2013 (1400 morts), le chef de l’État a déclaré le 7 septembre 2015 : « Bachar Al Assad, est-ce que je dois-je le rappeler, c’est lui qui est responsable de la situation en Syrie. C'est lui, lorsqu'il y a eu des manifestations, qui a tiré sur son peuple, c'est lui qui a bombardé des populations civiles, c'est lui qui a utilisé des armes chimiques. C’est lui qui a refusé toute discussion avec ses opposants, quand ils n’étaient pas enfermés ou tués. La solution ne peut pas passer par le maintien de Bachar Al Assad à la tête de la Syrie. La solution, c’est la constitution d’un gouvernement d’union très large, sans bien sûr les groupes terroristes ».
Après avoir laissé se développer en Syrie la plus grave catastrophe humanitaire depuis le début de ce siècle, l’Union européenne entreprend un accueil organisé malgré le blocage de certains États. Si les pays nordiques et l’Allemagne ouvrent leurs portes avec bienveillance, les chiffres annoncés pour l’accueil de réfugiés en France restent très en deçà des besoins comme des possibilités.
Pourquoi bravent-ils les dangers et les barrages que l’Europe a mis pour se protéger de leur arrivée ? « La grande majorité d’entre eux parlent de leur maison détruite par les bombardements de l’aviation syrienne, par ces barils d’explosifs qui tombent du ciel tuant sans discrimination civils et combattants, faisant largement plus de victimes parmi les premiers. Ils parlent de la dictature et de la terreur des arrestations et des tortures. Ils évoquent un enfant mort, un frère arrêté, un parent tué, les maisons et les vies englouties, les quartiers entiers rasés, les disparus dont on est sans nouvelles, ils disent leur frayeur des snipers » comme l’expose SouriaHouria. C’est ainsi qu’ils quittent leur pays aimé mais devenu méconnaissable et surtout terriblement dangereux.
Réunir les conditions d’un accueil bienveillant
Jusqu’ici, les Syriens arrivés en France étaient exposés à la misère et à des tracasseries administratives. Après des années d’une politique frileuse et restrictive, l’émoi provoqué par les naufragés a conduit l’exécutif français à une ouverture, notamment sur le droit d’asile. Reste à obtenir que les pouvoirs publics aillent jusqu’au bout de la démarche en affectant les moyens d’un accueil digne en lien avec les décisions de l’UE. C’est indispensable pour que les associations, villes, départements et régions puissent mettre en œuvre des mesures concrètes d’un accueil bienveillant : démarches administratives et sociales, logement, scolarisation des enfants, santé, inscription des étudiants, insertion dans des activités professionnelles, lien social …).
Bachar al-Assad et Daesh sont les deux faces du même monstre
On entend souvent dire que les Syriens fuient surtout l’État islamique alors que le nombre prépondérant des victimes imputables au régime syrien est rarement cité. Par un tour de passe-passe incroyable, on en est venu à cette vision qui épargne Bachar Al Assad. Certes, les djihadistes participent largement au chaos du pays et au harcèlement de la population. Mais l’horreur qu’ils nous inspirent ne doit pas nous faire oublier qui est le premier responsable de cette situation : « C’est le régime syrien dirigé par Bachar Al Assad qui a fait plonger le pays dans la guerre en utilisant les armes contre son peuple et qui a largement favorisé et instrumentalisé les djihadistes qui se mettent aujourd’hui en scène sur nos écrans ».
Pour rappel, un "deal" a été conclu depuis 2011 par le régime avec les les djihadistes : libération massive de leurs prisonniers, aide à leur déploiement et engagement (tenu) à ne pas bombarder leurs positions, en échange d’une collaboration pour décimer les opposants aspirant à une Syrie libre, c'est-à-dire les combattants de la "rébellion modérée" dans le langage des médias.
Enfin, le régime syrien s’est allié à plusieurs états autoritaires : la Russie qui fournit avions de guerre, armements, experts et combattants, l’Iran qui agit comme puissance tutélaire et dont des gradés ont même pris le contrôle d’unités de l’armée syrienne, le Hezbollah libanais armé par l’Iran, des brigades chiites irakiennes et des soldats de Corée du Nord !
Pourquoi tant de passion pour la Palestine et d'indifférence pour la Syrie ?
« La différence d'identification aux victimes des conflits israélo-palestinien et syrien s'enracine dans les lignes de fracture qui traversent l'opinion publique française. La propagande du régime syrien n'y est pas étrangère », selon Marie Peltier qui mène une action permanente pour le peuple syrien ; elle ajoute : « Assad a réussi brillamment à brouiller les pistes. En mobilisant à la fois un argumentaire profondément colonial (…) et une posture artificiellement "anti-impérialiste", se présentant comme (…) une victime du "grand complot mondial", Assad a rendu peu lisible un conflit politique dont la "complexité" découle essentiellement de manipulations – relayées abondamment par la gauche comme par la droite – qui ont semé la confusion, le doute et le désintérêt ».
De son côté, le regretté Wladimir Glasman, décédé récemment, animateur du blog « Un œil sur la Syrie », n’a cessé de livrer de précieuses clefs de déchiffrage de la propagande du régime Assad.
Malgré le tour caricatural d’un règne dynastique de 44 ans sans partage, un lobby très actif s’emploie toujours à la rendre respectable voire incontournable, y compris par la voix de Jean-Luc Mélenchon lorsqu’il déclare : « On commence par discuter avec ceux qui font la guerre, c’est-à-dire notamment avec Bachar al-Assad. L’attitude des Russes est beaucoup plus sensée que celle de n’importe qui ».
Un processus de transition sans Bachar Al Assad
Le 16 août 2015, on a déploré au moins 96 morts et des centaines de blessés suite aux raids des forces du régime sur un marché bondé à Douma. Le lendemain, les États-Unis et la Russie se sont entendus sur une « déclaration » au Conseil de Sécurité de l’ONU en vue d’un processus de transition politique aux contours ambigus. Sauf élément nouveau apportant de vraies garanties, cela ressemble au scénario d’août 2013 qui a permis de jeter le voile sur les crimes de Bachar El-Assad qui a utilisé des armes chimiques contre la population de la Ghouta, en faisant miroiter une solution qui n’est pas venue. Ce régime barbare peut ainsi se moquer impunément de la « ligne rouge » et des civils, et continuer d’offrir le meilleur contexte de recrutement pour les djihadistes.
Accueillir les réfugiés syriens, oui bien sûr ! Mais faute de mesures contraignant à un arrêt des bombardements, ce que demandent les Syriens et notamment une "zone d’exclusion aérienne" empêchant l’aviation du régime de semer la mort (no-fly-zone), l'horreur va se poursuivre et l’exode va s’intensifier.
Agir en ce sens relève du devoir d’ingérence pour faire respecter le droit humanitaire international et pour sauver les populations soumises depuis 4 années à des crimes de guerre et à des crimes contre l’humanité.
Mais les bombardements prévus par la Coalition n'ont en fait rien à voir avec une « no-fly zone » : ses avions vont croiser ceux du régime Assad, libres de voler avec leurs cargaisons d’explosifs à larguer sur les quartiers. Quant aux victimes civiles faites par la coalition, elles sont déjà au nombre de 1500, car il est illusoire de prétendre bombarder Daech "chirurgicalement".
L’urgence commande de prendre des mesures permettant vraiment un coup d’arrêt aux massacres, condition pour ouvrir la voie à un processus de transition sous la conduite d’un gouvernement de large union, sans Bachar Al Assad, en vue de la paix et d’une Syrie libre et pluraliste.
Gérard Lauton pour Memorial 98
Articles précédents de Gérard Lauton pour Memorial 98:
http://www.memorial98.org/article-syrie-un-an-de-combat-et-de-debat-101451973.html
www.memorial98.org/article-syrie-quand-lhumanite-s-inquiete-pour-bachar-al-assad-124688465.html
Voir aussi, depuis mars 2011, les nombreux articles de Memorial 98 concernant la Syrie ici et sur nôtre blog d'actualités "L'Info Antiraciste", dont :
info-antiraciste.blogspot.fr/2015/08/syrie-refugies-crimes-de-guerre-quand.html