L'escalade de l'affrontement entre Jean-Marie Le Pen (JMLP) et la direction actuelle du FN ne constitue pas une mise en scène, bien qu'elle en revête parfois l'aspect.
Il ne s'agit pas non plus d'une répartition artificielle des rôles, destinée à "ratisser large", même si Marine Le Pen (MLP) pourra à terme tirer profit de la situation afin d'apparaitre plus modérée que son père, sans avoir rien changé sur le fond du programme de son parti, toujours basé sur la "préférence nationale" et l'exclusion de couches entières de la population. La direction actuelle du FN pourra ainsi intégrer plus aisément des politiciens de droite qui ne demandent qu'a le rejoindre et à qui il faut donner un coup de pouce sous forme d'une prétendue "dédiabolisation".
De même, il serait artificiel d'opposer un JMLP uniquement "trublion" et qui n'aurait jamais voulu accéder au pouvoir, à une MLP réellement désireuse d'y parvenir. En effet JMLP peut se prévaloir d'avoir figuré au 2e tour de la présidentielle de 2002, en éliminant le premier ministre socialiste de l'époque, ce qui n'est pas le cas de la cheffe actuelle du FN. Il a aussi obtenu des accords aux régionales d'abord en PACA avec Gaudin dès 1986, puis dans 5 régions en 1998.
D'ailleurs dans son interview à Rivarol du 9 avril, JMLP tire un bilan critique du résultat du FN lors des récentes élections départementales; il déclare: "Il fallait s’attendre à ce que les résultats ne correspondissent pas tout à fait à notre très grand succès du premier tour. Le FN... est bien le premier parti de France ayant réuni au premier tour plus de 25 % des voix et plus de 5 millions de suffrages. Il est devant l’UMP et le PS. Le FN a réalisé un très beau parcours au premier tour mais, s’agissant d’un scrutin majoritaire à deux tours, nous avons été apparemment battus le 29 mars au soir car nous avons obtenu 62 élus sur 2054... ce type d’élections locales au scrutin majoritaire à deux tours étant certainement le plus difficile qui soit pour un mouvement comme le nôtre qui ne dispose encore que de peu de notables..."
Le Pen indique ainsi que le FN attire beaucoup de votants au premier tour en raison de son identité mais ne peut pas franchir l'étape locale du 2e tour, en raison du barrage des autres partis. On sait que JMLP n'a jamais accordé d'importance à l'implantation électorale locale et comptait avant tout sur l'élection présidentielle.
En réalité, il s'agit actuellement d'un véritable affrontement politique. JMLP est persuadé qu'une posture plus "dure" incluant au niveau national une expression ouverte de l'antisémitisme, du négationnisme et même une forme de soutien à Pétain sont nécessaires à l'identité de "son" parti et à ses éventuels succès, passant par l'éclatement de la droite.
Les dirigeants actuels du FN sont sans doute tout aussi imprégnés d'antisémitisme que leurs prédécesseurs mais ne veulent pas que leur haine antisémite s'exprime ainsi ouvertement au niveau de la propagande centrale du parti, ni qu'elle fasse trop explicitement référence au négationnisme et à la tradition pétainiste et nazie. En revanche, Marine Le Pen dénonçait, il y a quelques mois le CRIF qui « manipulerait » les Juifs français et les dresserait contre le FN. L'entourage de Marine Le Pen est lourdement chargé d'anciens dirigeants du GUD tel Frédéric Chatillon, dont l'antisémitisme est bien connu. Ils assurent aussi la liaison avec Dieudonné et Soral. De plus la direction du FN toute entière a aussi toléré et minimisé les déclarations antisémites de ses candidats aux départementales. On peut même penser que le retrait éventuel de JMLP permettra désormais au FN d'aller plus loin sur les thématiques antisémites, dans un contexte qui y est favorable et de manière "maitrisée". Pour se dédouaner, il se réfugiera derrière la condamnation de l'interview de JMLP dans Rivarol.
Dans ce cadre et même s’il a tout fait pour que sa fille Marine lui succède, le président d’honneur du FN a, dès le congrès d'intronisation de celle-ci en 2011 à Tours, tenu quant à lui à marquer profondément la matrice explicitement antisémite de son mouvement. Il considère que cet antisémitisme est la marque distinctive du FN et garantit son extériorité par rapport à ce qu'il nomme "le système", dans un terme d'ailleurs repris du vocabulaire nazi. Il vient encore de faire référence à cette soumission au "système" qui constituerait la toile de fond des attaques qui le visent.
Sa rancune a été stimulée par sa mise à l'écart des décisions quotidiennes du parti ainsi que par les déclarations de différents partis de l’extrême-droite européenne, qui ont justifié leur refus d’alliance avec le FN au Parlement européen par les déclarations antisémites de son fondateur et président d’honneur. C’est notamment le cas du parti UKIP britannique. Sa non-désignation comme tête de liste FN en PACA lors des régionales de décembre prochain représente un véritable casus-belli.
Le Pen rejette la « dédiabolisation » qui impliquerait un jugement négatif sur sa propre carrière, toute entière basée sur une posture de chef fasciste tricolore, dirigeant autoritaire d'un parti construit par d'anciens vichystes, voire des rescapés de la Waffen-SS. Ainsi, à l'approche inéluctable de sa retraite politique, Le Pen tente de justifier son échec personnel en l'attribuant à la puissance du « lobby juif ».
En effet, le fondateur du FN n'a jamais réussi à concrétiser les importants succès électoraux de son parti, alors qu'il se voyait aux portes de la participation au pouvoir.
Sa présence au deuxième tour de la présidentielle de 2002 est restée sans lendemain. Même les alliances établies avec la droite lors des élections régionales de 1998 ( et dans lesquelles Bruno Golnisch, son ancien ennemi et actuel allié joua un rôle important) se sont ensuite effondrées. La seule exception fut la région Languedoc-Roussillon qui demeura gérée par une alliance droite-FN sous la présidence de Jacques Blanc, resté sénateur jusqu'en 2011 et proche de Copé.
Face à ce qui apparaît comme un bilan d'échec de sa trajectoire politique, Le Pen fait appel, avec une violence accrue, à deux explications déjà utilisées à de maintes reprises: celle de la « décadence de la France » et celle de la responsabilité du « lobby juif » qui a bloqué son ascension. C'est le sens de ses propos dans l'interview du magazine « Bretons » en Avril 2008 à propos du « point de détail ». Il y expliquait: «... C'est le sujet qui est important, je crois. J'aurais parlé, même de très loin, du génocide vendéen, personne n'aurait été choqué... Est-ce un pays de liberté où une phrase, si contestable soit-elle - et prononcée par un homme public -, mérite 150 millions d’amendes et la mise à l'index de l'individu et de son parti ?"
Le Pen cherche à faire passer le message suivant: " j'ai échoué car j'ai osé toucher au tabou de la Shoah; les Juifs m'ont harcelé et marginalisé"
Cette thématique a déjà été martelée pendant des années, en mettant en cause le patronyme juif des journalistes de l'audiovisuel, en évoquant « l'internationale juive » ou un soi-disant pacte des partis de droite avec la fantasmatique organisation juive Bnai-Brith pour interdire les alliances entre la droite et l'extrême-droite.
Dans l'affrontement actuel, Le Pen a l'impression de rejouer la bataille de 1998 contre Mégret, qu'il avait surnommé le "félon". Déjà à l'époque l'appareil soutenait très majoritairement Mégret, qui prétendait "dédiaboliser" le FN et adapter son langage, sans rien changer au fond raciste. De très nombreux "traîtres mégretistes" sont d'ailleurs présents au sommet de la direction actuelle du FN, dont Steeve Briois et le secrétaire général Nicolas Bay. Il est à noter que la volonté de "modernité" de Mégret ne l'empêcha nullement d'accueillir au sein de son parti, le MNR, certains des négationnistes et antisémites les plus extrêmes issus du FN, tels l'avocat Eric Delcroix et Pierre Vial, dirigeant du mouvement néo-nazi Terre et peuple .
JMLP pense sans doute aussi disposer d'un pouvoir de nuisance lié à son nom, à sa connaissance intime de l'histoire du FN ainsi qu'à ses sources de financement passées et présentes.
L’hypocrisie des dirigeants du FN
Depuis des années une grande partie de l'appareil frontiste se retrouve sur une ligne dite de " dédiabolisation" destinée à sembler se préoccuper avant tout de mobiliser l'électorat FN. Cet électorat se sentirait en général moins directement motivé par l'engagement antisémite et négationniste générique du FN que par sa ligne anti-immigrés et islamophobe. Louis Alliot déclarait ainsi dès 2008: « ... Dans la situation actuelle marquée par une augmentation de la pauvreté sans précédent, par l'accentuation des flux migratoires, par les dégâts considérables initiés par la mondialisation économique, par l'installation durable d'un islam radical sur notre sol, les Français attendent des solutions concrètes et une vision crédible de l'avenir que nous leur proposons. Concentrons-nous sur l'essentiel: les combats électoraux à venir... »
L'antisémitisme demeure néanmoins très présent parmi nombre de cadres du FN et dans son environnement militant. On a pu le constater très récemment lors de la campagne des départementales. Une des caractéristiques de cette campagne aura été la présence notable d'un discours antisémite assumé par le FN, à la surprise de certains. De nombreux candidats visaient ouvertement les Juifs dans leurs diatribes virtuelles, beaucoup ont affichent sans souci leur admiration conjointe pour Dieudonné et Pétain.
Même aujourd'hui aucun des dirigeants du FN ne veut dénoncer explicitement la nature antisémite et génocidaire des propos de Le Pen. Certes ils critiquent ses propos et le fait qu'il les tienne dans Rivarol. Ils dénoncent l’exploitation qui est en faite par les adversaires du FN et lui en attribuent la responsabilité. Marine Le Pen parle ainsi de provocations et d'actes d'hostilité dont elle serait la victime. Mais aucun dirigeant du premier cercle ne se permet de dire que JMLP est et a toujours été, un nostalgique de Pétain et un antisémite forcené. Ces dirigeants devraient alors reconnaitre qu'ils sont coupables d'avoir travaillé avec un tel personnage et d'avoir notamment assumé depuis 28 ans et 4 campagnes présidentielles la phrase sur les "chambres à gaz, détail de l'histoire" prononcée pour la première fois le 1" septembre 1987 dans l'émission Le Grand Jury de RTL.
D'ailleurs, face aux appels à l'exclusion de JMLP lancés par de proches de Philippot, la garde rapprochée de MLP s'est empressée de publier des messages d'apaisement . Ainsi Alliot a déclaré vendredi 10 avril sur RMC et BFMTV. « Je ne suis pas favorable à une exclusion. Je tiens compte du travail effectué, de tout ce qu’il a apporté au combat national. Je suis rentré au Front parce que c’était lui ». Aymeric Chauprade, proche quant à lui de Marion Maréchal-Le Pen, s’est lui opposé sur Twitter au souhait de Florian Philippot d’exclure le président d’honneur : « Qui suis-je, moi, pour sanctionner ou exclure le fondateur du Front national ? Celui qui a nourri mon engagement politique et ma passion pour le combat patriote ? Mon honneur me l’interdit. ».
On ne peut pas connaitre l'issue de la bataille en cours au sein du FN mais nous savons que nous combattrons plus que jamais ce parti raciste, antisémite, anti-social, fasciste, ses idées et le poison qu'il déverse quotidiennement.
Memorial 98
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