Toujours en arrière plan, la blancheur des dépouilles nues, bras et jambes confondus, entrecroisés, sans visage, du sang dans la noirceur des dédales, d'où surgissent des hommes, rien que des hommes…bousculés, ils courent, ils frappent, ils entrent, ils sortent, ils repoussent et puis Saul parmi ces êtres inhumanisés, une croix rouge sur le dos de son vêtement. Cette croix qui le désigne, qui le stigmatise.
Saul au visage impassible.
La caméra le fixe et l'escorte de dos, de face, de profil, debout, courbé, agenouillé, herculéen.
Le même regard intensément noir qui ne dit rien ou qui en dit long.
Silencieux au milieu de toutes ces lamentations, il semble nous interroger.
Que fait-il là ?
Quel destin que de se retrouver parmi les siens pour les envoyer à la mort, un sursis pour la sienne, elle-même inéluctable.
La mort, toujours présente à chaque cri, à chaque injonction, elle peut arriver à tout instant selon le bon vouloir de ces monstres qui n'ont de cesse de hurler.
II accomplit sa tâche consciencieusement avec toute sa force de vie, à la cadence des vociférations : encourager et refouler sous la « douche » de la chambre à gaz ses congénères, les hommes, les femmes et les enfants.
Il lessive le sol rougi, il envoie des pelletées de cendres, il creuse la terre, sans jamais se départir de sa rage.
On reste paralysé face à cette fureur de gesticulations ininterrompues.
Ses gestes mécaniques ne font pas venir les larmes aux yeux.
Un enfant respire à peine. Il le reconnait, il se l'approprie. Il va déployer toute sa hargne pour lui inventer une sépulture et trouver un rabbin pour dire le kaddish.
Cela devient sa raison de rester vivant, lui que la mort guette à chaque injonction, à chaque éclat démoniaque, à chaque chuchotement.
Au milieu de cet effroi des hommes et des femmes survivent. Une société s'organise. Des hommes à qui il reste le courage de fomenter une révolte.
Alors que nous sortions encore abasourdis, assourdis les oreilles fracassées du bruit de ces cris où les langues et les sommations s'interpellent, une spectatrice est venue nous interroger
Elle s'étonnait de ne pas avoir eu d'empathie avec le personnage principal.
Comment interpréter la quête de Saul ?
Je n'ai pas été émue aux larmes, il est vrai.
J'ai pensé, en y réfléchissant, que ce n'était pas « du cinéma » .
Tout cela a existé.
Ce sont ces monstruosités qui nous tétanisent jusqu'à glacer nos émotions.
Le fils de Saul est un film essentiel par son caractère pédagogique.
Il évite les images accablantes.
Il nous fait vivre un enfer sonore, une résonnance en écho qui illustre la brutalité, la barbarie dans toute son horreur.
Evelyne Lévy pour Memorial 98
[1] Signifie groupe spécial. Il s’agit d’un groupe de déportés chargés de convoyer d'autres déportés jusqu'aux portes des chambres à gaz, d'en extraire les cadavres pour les brûler, avant de nettoyer les lieux et de se débarrasser des cendres. Pour ces détenus au statut particulier, ce travail ne représente qu'un sursis avant leur propre extermination
Voir aussi sur Memorial 98:
http://www.memorial98.org/article-allez-voir-la-rafle-46705214.html
http://www.memorial98.org/article-chef-d-oeuvre-allez-voir-welcome-in-vienna-90728752.html
Voir sur l'Info Antiraciste, blog d'actualités de Memorial 98:
http://info-antiraciste.blogspot.fr/2015/12/shoah-commemoration-en-norvege-et-en.html
http://info-antiraciste.blogspot.fr/2015/04/ghetto-de-varsovie-la-revolte-au-coeur.html
http://info-antiraciste.blogspot.fr/2015/07/quand-les-nazis-deportaient-les-juifs.html
http://info-antiraciste.blogspot.fr/2015/08/2-aout-71-ans-apres-lextermination-des.html