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L'association MEMORIAL98, qui combat contre le racisme, l'antisémitisme et le négationnisme a été créée en janvier 1998, lors du centenaire de l'affaire Dreyfus.  

Son nom fait référence aux premières manifestations organisées en janvier 1898, pendant l'affaire Dreyfus, par des ouvriers socialistes et révolutionnaires parisiens s'opposant à la propagande nationaliste et antisémite.

Ce site en est l'expression dans le combat contre tous les négationnismes

(Arménie, Rwanda, Shoah ...)

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28 février 2016 7 28 /02 /février /2016 18:15

Pourquoi, en tant qu'antiracistes, réagir à la tribune spécifique de Kamel Daoud, parmi les mille qui ont pointé les viols et les agressions sexuelles commises à Cologne le soir du Jour de l'An, les décrivant comme relevant de comportements purement liés à l'origine et à la culture "arabo-musulmane" ?

Essentiellement, parce que, comme tous les antiracistes, la réaction de Kamel Daoud nous a sommés de nous taire, sous peine d'être assimilés aux partisans de la réaction la plus crasse et d'être accusés de soutenir les intégristes qui le menacent. Essentiellement, parce que Kamel Daoud, a prétendu être contraint à se retirer du journalisme, suite aux quelques réponses à ses thèses qui constitueraient une attaque inqualifiable et insupportable. 

Dans ce cas, nous n'avons plus qu'à parler, car ne pas prendre ce droit, serait donner raison à celles et ceux qui entendent aujourd'hui  exprimer leur essentialisme racisant  et qui d'ailleurs l'expriment sans réserve,  dans les médias les plus connus, mais voudraient que les antiracistes, non contents d'être minoritaires, en sus, se terrent dans le silence. 

Dans ce cas nous devons parler, car les enjeux  ne sont pas cantonnés à un débat idéologique abstrait. Ce dont il s'agit , ce n'est pas d'"âmes", comme le dit Kamel Daoud, mais d'humains persécutés, noyés, refoulés, et d'humaines, agressées, violées, que nul ne peut utiliser pour discriminer encore les premiers.

 

Si vraiment, c'est la culture d'origine, « arabo-musulmane » qui a déterminé les actes des violeurs de Cologne, alors c'est une très bonne nouvelle. Car, de fait, il y a donc en Europe, des millions d'hommes issus à des degrés divers de cette culture et qui ne violent pas. Et en toute logique, partant du présupposé selon lequel leur culture d'origine est l'explication pleine et entière de leurs actes, cela signifie que cette culture majoritairement ne produit pas de culture du viol.

 

Dans ce sens là, l'affirmation ci-dessus paraît complètement absurde, tirée par les cheveux , produit d'un syllogisme idiot, fondé sur un postulat faux.

C'est effectivement le cas, exactement comme l'affirmation inverse, selon laquelle c’est cette culture d'origine qui est responsable de leurs actes.

 

La différence, c'est que  cette affirmation inverse s'est posée d'emblée, en France et en Europe, comme un postulat concret et un fait indéniable. On s'est certes interrogé sur le fait de savoir si l'on était bien face d'hommes liés à un degré ou à un autre au « monde arabo-musulman », dans un premier temps : mais dès lors qu'ils l'étaient, l'affaire était pliée.

 

A un degré ou à un autre, Kamel Daoud, parmi les innombrables commentateurs ayant fait littérature essentialiste au sujet de Cologne, est sans doute celui, qui sur la forme, a le mieux formulé l'importance négligeable du degré en question. Dans sa tribune du Monde, le journaliste algérien, emploie indifféremment, les termes de réfugié et d'immigré, ceux de monde musulman et de monde arabe. Détail frappant, il commence sa tribune en jugeant que l'extrême-droite indifférencie tout, mais il fait ensuite de même, comme beaucoup d'autres, qui partagent la conviction anti-universaliste la plus banale qui soit dans nos contrées : l'argumentation n'est jamais raciste en soi, elle le serait uniquement lorsque l'extrême-droite l'utilise. Tout serait désormais permis, en matière de thèses essentialisantes, mais pas à tout le monde.

Le racisme ne serait raciste que si le raciste, avait auparavant signalé par son appartenance à un parti d'extrême droite qu'il n'était décidément pas antiraciste.

 

Donc réfugiés ou immigrés peu importe. Pourtant, lorsqu'on parle actuellement de « réfugiés », on évoque essentiellement ceux qui viennent d'arriver en Europe. Immigré, c'est quelqu'un qui est , un jour, arrivé en Europe. Un jour ou mille jours, ou trois mille ou dix mille.

 

L'essentialisation est d'abord la négation du facteur temps dans la vie des hommes, réduits encore plus que les arbres, à leurs racines fantasmées. Car au moins, reconnaît-t-on que le platane grandi en ville dans une avenue polluée ne sera pas exactement le même que celui qui pousse en pleine campagne.

Dans l'imaginaire raciste le racisé n'a même pas cette caractéristique. Il est immuable, d'ailleurs pour toujours, parce qu'à un moment, il était ailleurs. La frontière reste avec lui, mur étanche et résistant aux ravages du temps et de l'environnement.

 

Lorsqu'il commet un crime, alors forcément, son origine et elle seule explique ce crime.

 

Inaccessible au temps qui passe, inaccessible à l'environnement qui transforme, l’immigré, en sus, ne vient pas d'un ailleurs qui serait comme ici. Ici naissent des hommes dont on reconnaît qu'ils ont, par la suite, une classe sociale, une catégorie socio-professionnelle, un niveau scolaire, une place dans l'échelle des revenus, une origine et une culture urbaine ou rurale (et même péri-urbaine ou néo-rurale), une situation familiale, et certes également une religion, dont ils sont pratiquants ou non-pratiquants, cependant.

Ici, vivent des hommes dont le comportement est disséqué et débattu par des historiens, des sociologues, des psychiatres et des psychologues, des hommes qui ont le droit à la complexité.

 

Ailleurs, vivent des « Arabes », par millions, des « Musulmans » par milliards. Dans une sorte de Califat géant, bien plus étendu et plus puissant que celui de Daech, car n'ayant ni barrières de temps, ni barrières d'espace. Le « monde d'Allah », nous dit Kamal Daoud le laïque. Oui, le monde d'Allah comme il l'écrit : « ... L’Autre vient de ce vaste univers douloureux et affreux que sont la misère sexuelle dans le monde arabo-musulman, le rapport malade à la femme, au corps et au désir. L’accueillir n’est pas le guérir. La femme étant donneuse de vie et la vie étant perte de temps, la femme devient la perte de l’âme…Le rapport à la femme est le nœud gordien, le second dans le monde d’Allah ».

 

Les Autres, du monde d'Allah. Et il faudrait ne pas répondre à cette généralisation extraordinaire, digne des jeux vidéo de baston les plus sommaires, où chaque équipe est définie en un trait. Répondre, argumenter, critiquer, reviendrait à lancer une cabale inacceptable contre un intellectuel, effectivement menacé par les intégristes.

 

Ils ont violé, nous dit Kamel Daoud, parce qu'ils sont les Autres, du monde d'Allah. Ce à quoi, paisiblement, le Calife de Daech répondra que l'ensemble des criminels occidentaux sont des criminels, parce qu'ils sont les Autres, ceux du Monde qui n'est pas celui d'Allah.

 

L'ennemi est bête, il croit que c'est nous l'ennemi. Alors que c'est les Autres, bien entendu.

 

Le fait est que l'essentialisation raciste, dans l'affaire de Cologne aura été d'abord l'arme de ceux qui pensent que les « malades » ne se guérissent pas, mais qu'ils doivent être impitoyablement chassés avant de contaminer définitivement le corps sain de l'Europe.

Kamel Daoud, l'homme qui n'a rien à voir avec l'extrême-droite et prend bien soin de le préciser, a cependant choisi la métaphore "médicale", parmi cent autres possibles. Cette métaphore médicale, au cœur des dynamiques racistes offensives dans toute l'Europe, depuis le 19ème siècle, la métaphore antisémite par excellence, de Drumont lorsqu'il dénonce le Juif comme éternel microbe oriental, à Céline traqueur de Juifs et de métis. C'est ce que relève l'ami proche de Daoud, Adam Shatz, dans un texte qu'il lui adressé.

 

Il est hélas peu d'intellectuels progressistes qui guérissent favorablement de l'emploi de ce registre de métaphores.

 

Oui, mais Kamel Daoud n'est pas français, il est algérien, répète-t-on, pour sa défense. C'est peut-être là effectivement, sa seule défense, la seule chose qui permettrait de croire à sa sincérité. Le fait qu'il n'ait jamais, peut-être, connu physiquement ce que sont nos métropoles, et leur vie chaotique, le fait qu'il s'imagine peut-être Cologne ou Paris, sans leurs migrants, comme de douces et paisibles contrées où déambuleraient, légères et sans souci, des femmes totalement libres et des hommes totalement courtois. Un aimable rêve littéraire, à opposer au cauchemar du réel qu'il éprouve dans son quotidien.

 

Le poids du fantasme positif, est sans doute nécessaire lorsqu'on est en lutte contre la déclinaison locale du patriarcat et de l'oppression. Tant qu'il reste de l'ordre du fantasme, il peut demeurer positif.

Ainsi par exemple le rêve du retour au pays d'origine, partagé par tant et tant de jeunes issus de l'immigration maghrébine, En soi il n’avait rien de dangereux, tant que l'idéalisation d'un pays où l'on ne serait pas racisé ne se confrontait pas avec son utilisation politique par des groupes intégristes en mal de recrutement. Eux ont bien compris la puissance du fantasme du grand retour aux origines mythifiées. Parmi d'autres causes, ce fantasme là peut servir à alimenter le pire.

 

Le fantasme inversé de Kamel Daoud, celui d'un Occident lumineux qui aurait vocation à guérir ou à punir, l'Autre, le Malade n'est pas moins dangereux quand il rencontre aussi son prédateur, le camp politique raciste européen. Daoud parle d'Algérie, mais il parle, volontairement, aussi, aux Français. Or à aucun moment, sur le fond, il ne prend en compte le réel, celui du sens et de la force politique de son discours ici et maintenant. Son rêve occidental rejoint un cauchemar concret, celui des forces qui souhaitent de nouveau mettre en forme concrète l'essentialisme punitif contre une partie de la population.

 

Nul ne peut lui retirer le droit de ne pas s’en préoccuper, voire de s'en moquer éperdument. Nul ne peut, au nom de l'origine du locuteur, décréter comme inattaquable une parole fausse. En tout cas pas si on se réclame de la raison. Cette raison qui fait que dans le monde concret où nous vivons, la causalité unidimensionnelle des viols et des agressions sexuelles n'a aucune validité.

 

Or Kamel Daoud, dans sa manière de qualifier les réponses qui lui sont faites, a déjà éloigné l’horizon de cette même raison. En conséquence il tombe dans l'imaginaire rhétorique préféré de l'extrême-droite, celui selon lequel toute contradiction à un discours serait signe de persécution et de domination, quand bien même cette contradiction est minoritaire, surtout quand elle est minoritaire. Ce qui s'est passé à Cologne a en effet, et dès les faits connus, donné lieu à d'innombrables tribunes. Ces tribunes avaient le plus souvent pour seul objectif de taper sur le même clou éternel: Cologne apporterait une preuve irréfutable du « problème posé par l'immigration ».

Dans ces conditions, comment la tribune de critique de quelques universitaires, quand bien même, elle serait un tissu de sornettes, pourrait-elle constituer pour Kamal Daoud un « haro », un « hallali », comme le dit la directrice adjointe de Libération, dont on espère qu'elle a choisi le mot sans penser un seul instant à sa résonnance sonore possible ?

Quelle chasse a en fait  lieu aujourd'hui en Europe et qui se nourrit de tout, des drames, et des horreurs, pour traiter des hommes et des enfants comme des animaux sauvages ? Ce traitement dégradant s’applique aussi à des femmes par milliers, mais le traitement de ces femmes là, ne produit pas les mêmes analyses essentialistes car il n'est pas le fait du « monde d'Allah » mais des politiques de fermeture des frontières et de chasse aux étrangers.

 

Kamel Daoud peut donc être défendu par cents voix, de "Libération" à "Causeur", après avoir choisi d’endosser la posture de la victime dominée par une tribune tout juste équivalente à la sienne en taille.

Kamel Daoud est algérien, oui, et donc ? Les femmes qui ont défilé dans les rues de Cologne et d'Allemagne pour dénoncer le sexisme et le racisme, ainsi que l'utilisation raciste du sexisme sont femmes et allemandes. Leur parole, en France, est étouffée et devient peu audible quand d'autres sont omniprésentes. Ce choix de dévalorisation de leur parole traduit un certain rapport de force politique. Celui d'une France où la parole des concernéEs par le racisme est applaudie uniquement quand elle va elle aussi dans le sens du racisme. A cette occasion seulement, l'on veut bien que l'Indigène se revendique comme tel, s'il s'agit de cracher sur les autres indigènes.

Kamel Daoud est algérien, oui, et alors ? A moins d'être dans l'essentialisation raciste, une nouvelle fois, cela ne lui donne aucune autorité particulière pour parler de ce qui s'est passé à Cologne. A moins qu'on ne considère qu'il y a bien un « Eux », les Arabes, et un « Nous », les Occidentaux, une frontière intangible et éternelle entre les deux. Mais dans ce cas, on ne vient pas sans arrêt accuser les autres de « communautarisme ». Et l'on vient encore moins accuser ses contradicteurs de néo-colonialisme, quand on accepte soi-même de voir ses charges contre « les Arabes », reprises telles quelles par le camp raciste. Si à Daoud et à d'autres, il est indifférent d'être devenu la mascotte de Français qui n'assument pas et n'aiment rien tant que brandir ses tribunes en précisant «  c'est un Arabe qui le dit, c'est que c'est vrai », alors c'est grave.

 

Car notre première tâche, au fond, ici, nos responsabilités aussi vis à vis des progressistes de tous les pays, c'est  de faire barrage à celles et ceux qui font feu de tout bois pour fermer les frontières, refuser l'asile, à tout le monde, en pratiquant l'essentialisation permanente. Pour le moment, ils ont si bien réussi, qu'on peut être persécuté par le régime théocratique iranien et ne pas obtenir l'asile, être Afghan, avoir fui les talibans, et ne pas obtenir l'asile. Etre Syrien et survivre dans les bidonvilles de l'Europe, ou se noyer devant la frontière. Frontière érigée en grande partie grâce au discours de la peur. Kamel Daoud, dans sa tribune, fait la leçon au gouvernement allemand qui « donne des papiers ». Le fait est qu'en France, dans ce pays où il a tant de soutien, on n'en donne pas ou presque pas.

 

Une escroquerie est ainsi mise en place sur le dos des victimes de Cologne, dont on osera peut-être nous reprocher de ne pas avoir parlé d'entrée dans ce texte.

Il s’agit d’une arme désormais éprouvée à l'encontre des antiracistes cohérents. Ils devraient d'emblée se justifier de l'injustifiable, accepter le soupçon intolérable, à charge pour eux de tenter de le dissiper. Il faudrait face à chaque offensive raciste se nourrissant de n'importe quel drame, préciser qu'on lutte aussi contre ces drames, qu'on n'est pas pro-terroriste, qu'on n'est pas pro-violeur, ou au mieux, indifférents aux viols et aux attentats. Comme si c'était une option dont nous aurions sans cesse à nous dédouaner.

 

Jeu de dupes, car face aux vautours qui se nourrissent du corps des victimes, à quoi rime de se justifier ? Ces vautours n'ont évidemment pas l'intention d'empêcher de nouveaux drames, sinon de quoi se nourriraient-ils ?

 

Les victimes de Cologne ne sont en rien le sujet de l'exploitation raciste des viols de Cologne, bien au contraire. Kamel Daoud et bien d'autres commentateurs avant lui en font des objets, des représentations dans la scène fantasmée qu'ils ont montée de toutes pièces.

 

Parler vraiment, parler pour agir, pour empêcher, consisterait à analyser le réel. Il s’agirait de parler de psychologie, de sociologie, d'urbanisme, de politiques concrètes du maintien de l'ordre dans les métropoles. Il s’agirait d’examiner à quel point la sécurité sexuelle des femmes est un angle mort de ces politiques, comparée, par exemple à la sécurité des marchandises et des magasins. Il s’agirait aussi d’évoquer ce qu'on saurait vraiment, du rapport de ces violeurs concrets, à la religion, à la réaction, mais aussi à la consommation et à la fête, dans une Europe, où somme toute, consommer des femmes fait tout de même partie des ingrédients nécessaires d'une fête réussie, dans beaucoup de représentations collectives. On examinerait le sens de la mise en scène stigmatisante de celui qui fait tapisserie et n'a pas consommé devenue un poncif culturel, avec lequel on vend des gels douche aussi bien que du Houellebecq.

 

Mais voyons, les Autres, les Arabes, ne lisent pas Houellebecq. Qu'ils soient arrivés un jour , il y a trente ans ou trois semaines, ils sont les Autres.

 

Sauf Kamel Daoud, qui n'est pas arrivé, mais qui est déjà l'Exception qui confirme la Règle.

Et qui apporte une pierre massive à l'édifice qui fait que des évènements réels de Cologne, aucune leçon utile n'émergera dans l'ambiance politique actuelle. En réduisant le problème au prétendu monde d'Allah, on réduit au silence la question que se pose toute femme seule qui songe à se mêler à une foule anonyme les soirs de fête de rue, dans le monde réel. Cette question là ne serait audible que si l'on précise que la main masculine crainte est une main arabe.

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13 février 2016 6 13 /02 /février /2016 18:58

« Croire qu’ils étaient mus par une idéologie antisémite articulée serait sans doute excessif. Eux aussi, comme pas mal de monde, étaient convaincus, à tort, que tous les juifs sont riches et qu’ils pourraient en tirer gros. Les préjugés de ce genre - avarice des Auvergnats, entêtement des Bretons, etc. - sont monnaie courante."

Esther Benbassa, "Evitons l'emballement" 24 Février 2006

 

 

Il est des crimes racistes qui ont lieu dans l'indifférence, et c'est déjà grave. Lorsque c'est la gauche qui est indifférente, c'est encore plus grave.

Lors de l'assassinat d'Ilan Halimi, en 2006, il y eut pire que l'indifférence: le déni, la négation obstinée et persistante exprimée par tout un pan de la gauche radicale. Dans les années qui suivirent, le déni ne fut pas seulement un silence, mais au contraire une parole déchaînée et rageuse qui s'attaquait à toutes celles et ceux qui entendaient dénoncer et caractériser le crime antisémite.

 

Dix ans après la mort d'Ilan, se souvenir n'est pas seulement une question de vérité sur le passé : Ilan Halimi fut la première victime du retour de l'antisémitisme massif et meurtrier qui depuis a frappé à Toulouse et à Paris.

Un antisémitisme devenu banal dans une France où l'humoriste le plus populaire, celui dont les salles furent le plus remplies ces dernières années, Dieudonné, commença son activité politique au sein même de cette gauche radicale. Autour de lui, son principal allié Alain Soral fut membre actif du Parti Communiste et de Ginette Skandrani à Francesco Condemi, en passant par Jean Bricmont, nombre de ses compagnons de route furent aussi longtemps ceux de cette même gauche.

 

Dix ans après la mort d'Ilan Halimi, se souvenir n'est plus seulement l'affaire de la lutte spécifique contre l'antisémitisme. En réalité, bien que beaucoup s'acharnent à faire croire le contraire, c'est aussi une nécessité contre l'islamophobie et le racisme anti-arabes et anti-noirs. On assiste en effet aujourd'hui à l’expression d’une quasi-unanimité, à gauche comme à droite, pour confondre la montée du djihadisme et de l'intégrisme musulman et la montée de l'antisémitisme en France. Une quasi-unanimité pour oublier qu'en 2006, les principaux vecteurs de l'antisémitisme n'étaient pas de quelconques prêcheurs djihadistes, mais des pans entiers du champ politique français, dont une partie venue de la gauche altermondialiste et radicale, en sus de l'extrême-droite. Daech n'a pas tué Ilan Halimi, Daech ne pouvait pas soutenir Youssouf Fofana à son procès, car Daech n'existait pas en 2009. Dieudonné venu de la gauche antiraciste, lui, était bien là et l'une des avocates de Fofana, Isabelle Coutant Peyre était aussi celle du terroriste Carlos, figure d'un certain « anti-impérialisme », pas du tout inspiré de la lecture du Coran.

 

En 2006, quand Ilan Halimi meurt, Dieudonné a rejoint officiellement l'extrême-droite depuis à peine deux ans. Auparavant, en 2004 , il a été partie prenante d'une liste « antisioniste » radicale, Europalestine. Lui qui avait proféré publiquement ses première sorties ouvertement et violemment antisémites dès le début des années 2000, sera défendu par cette même partie de la gauche, après son sketch antisémite ("Israheil") en 2003, dans « On ne peut pas plaire à tout le monde ». Même lorsqu'il rejoindra officiellement Alain Soral et Jean-Marie Le Pen, beaucoup d'analyses en feront « une victime du sionisme qui a pété les plombs ». Car le milieu des années 2000 est aussi celui de la thématique "antisioniste" à toutes les sauces, même les plus frelatées. Celle aussi de la « liberté d'expression » à tout prix. Ce sont les années, où, dans une partie de la gauche radicale, certes l'on ne peut plus défendre les propos de Dieudonné, mais où l'attaquer serait la marque de celles et ceux qui « font le jeu du système ». Dans ces années là et jusqu'à aujourd'hui, chaque maigre initiative contre Dieudonné continuera à être dénoncée comme une atteinte à la liberté d'expression. Même en 2014, lors de l'interdiction à une seule reprise d'un spectacle de Dieudonné, beaucoup d'associations antiracistes, beaucoup d'organisations de gauche éprouveront encore le besoin de marquer leur désaccord .

 

Et c'est d'abord cette analyse là qui va prédominer concernant Ilan Halimi, le déni, décliné en banalisation et en dépolitisation.

 

Esther Benbassa n'est pas la seule, en effet, à dire que l'antisémitisme qui a tué Ilan Halimi ne constituerait pas, au fond, la résurgence d'une idéologie politique construite, alimentée par des vecteurs militants conscients et organisés, mais un simple « stéréotype », s'auto-alimentant par on ne sait quelle génération spontanée. Elle n'est pas la seule à écarter l'antisémitisme du champ du combat antiraciste. Nous la citons spécifiquement parce qu'elle considérée comme une spécialiste de gauche de l'antisémitisme. Or, bien évidemment, si l'antisémitisme est, comme elle l'écrit,  équivalent aux « préjugés contre les Auvergnats », alors il n'y a pas plus de nécessité à combattre l'un qu'à combattre l'autre. Chacun sait en effet que la vie des Auvergnats, de nos jours, n'est pas plus difficile que celle des Normands.

 

Et de fait, en 2006 ET dans les années qui vont suivre, on ne trouve pas trace du nom d'Ilan Halimi dans la quasi-totalité des publications et des initiatives antiracistes. Nous l'avons relevé en 2015, dans les suites de la tuerie antisémite de l'Hyper-Cacher

En 2016, nombreuses sont d'ailleurs les organisations qui prétendront ne jamais avoir rien eu de commun avec quelque antisémitisme de gauche que ce soit, au motif qu'elles n'ont jamais rien dit de scandaleux sur l'assassinat d'Ilan Halimi ; nombreuses sont celles qui aujourd'hui déclarent se rallier à la lutte contre l'antisémitisme, comme si de rien n'était.

 

Mais justement il n'y a rien eu, et c'est cela l'archive. Ce silence assumé pendant des années et des années sur un crime antisémite atroce, relégué au rang de fait divers, hors du politique. Sur une victime qui n'a jamais eu son portrait ou son nom dans les manifestations antiracistes, jamais été citée dans les analyses sur la montée des actes racistes, jamais fait l'objet d'aucune commémoration. En ne disant rien, avec obstination et persévérance, beaucoup ont tout dit.

 

Dans le même temps pourtant, on parlait beaucoup d'autre chose. Par exemple de la fausse agression antisémite du RER D, largement commentée, et présentée pendant des années comme la preuve ultime de l'« utilisation de l'antisémitisme » par le pouvoir raciste.

 

Lorsqu'Ilan Halimi est tué, cette affaire du RER sera d'ailleurs un des principaux arguments censés inciter « à la prudence », c'est à dire à ne pas se mobiliser. Seulement, ce qu'oubliaient celles et ceux qui faisaient de cette non-mobilisation une forme de radicalité contre le pouvoir, c'est que la police elle-même avait refusé d'envisager la thèse d'un rapt motivé par l'antisémitisme, pendant toute la captivité d'Ilan Halimi.

 

La thèse du crime « uniquement crapuleux » constitue aussi, au départ la thèse policière, comme le dénonce la mère d'Ilan. Elle accuse les policiers de ne pas avoir tenu suffisamment compte du fait que son fils courait un danger particulier, parce que Juif. Et c'est cette thèse policière là qui sera abondamment reprise dans des milieux de gauche pour se taire et ne rien faire. Une thèse particulièrement absurde et abstraite : si les crimes racistes sont seulement les crimes motivés uniquement et exclusivement par le racisme, alors il n'y en pas beaucoup. Dans ce cas là, on peut exclure Hermann Goering des criminels de masse antisémites puisque le maréchal nazi se préoccupait tout autant de récupérer une fortune en œuvres d'art spoliées à des Juifs que de mettre en œuvre le génocide.

 

Bien sûr, les assassins d'Ilan Halimi voulaient aussi gagner de l'argent. Mais seuls eux savent, après avoir humilié et torturé à mort un homme sans que le motif financier ait nécessité ce degré de barbarie pour être satisfait, ce qui était déterminant pour eux, dans leur logique meurtrière : l'antisémitisme ou l'argent ?

 

Pour la lutte contre l'antisémitisme, cela n'importait pas. La suite l'a démontré: dans les années qui ont suivi, la contamination de la haine a crée des tueurs et des agresseurs qui n'avaient plus d'autre motif annexe. Seulement la haine du Juif.

 

Mais à cela aussi, une partie de la gauche radicale avait sa réponse : quand bien même, l'assassinat d'Ilan Halimi aurait été un crime antisémite, l'antiracisme aurait nécessité qu'on n'«en fasse pas trop », car la priorité était d'empêcher que le meurtre soit utilisé par les racistes.

 

Evidemment, cette préoccupation légitime existait, et existe encore plus aujourd'hui. Les vautours racistes se sont jetés sur la mort d'Ilan d'Halimi dès que l'affaire a été connue, et plus encore pendant les deux procès. Nous l'avons dénoncé, sans que cela nous empêche de combattre en même temps l’antisémitisme, d'où qu'il vienne.

 

 

Effectivement, dès lors qu'un meurtre ou une agression antisémite est commise par des individus issus de l'immigration ou/et de culture musulmane, la meute raciste se jette sur l'occasion pour dire que c'est cette origine et cette religion qui sont la cause du meurtre et sa cause unique.

Mais de manière tout aussi évidente, combattre le racisme inhérent à cette thèse, c'est se mobiliser contre l'antisémitisme en montrant qu'il ne tient pas à l'origine des bourreaux.

 

Il n'y avait rien de plus simple concernant l'affaire Ilan Halimi et ses protagonistes : ils n'étaient pas tous issus de l'immigration, pas tous musulmans. Mais tous avaient grandi et vécu en France. Et en cette année 2006, où le flirt politique entre la mouvance antisémite menée par Dieudonné et le Front National éclatait au grand jour, il n'était pas bien difficile de faire le lien entre les racistes et les antisémites. Une partie de la gauche a choisi de  reprendre  les thèses essentialistes et identitaires, en prétendant que défendre la mémoire d'Ilan Halimi, c'était attaquer l'antiracisme.

 

Pour Memorial 98, cet argument infâme cependant, n'était certes pas la marque d'un « nouvel » antisémitisme venu d'ailleurs. Notre collectif est né en 1998, porté par des militantEs qui avaient assisté à l'accueil chaleureux de l'Abbé Pierre à l'église Saint Bernard par nombre d'associations et de partis de gauche, deux ans après son soutien au négationniste Roger Garaudy. L'injonction du silence devant l'antisémitisme dans notre propre camp, nous la connaissons donc bien.

 

Nous connaissons aussi les cycles du déni et ceux de l'unanimisme tronqué et hypocrite. Nous avons, pour certains, commencé à militer au milieu des années 1990, quand certains protagonistes de l'affaire Vieille Taupe et du soutien au négationniste Robert Faurisson étaient revenus sur la scène des mobilisations, en se proclamant « libertaires et d'ultra-gauche contre le négationnisme ». A cette époque, nous n'avions pas tous les outils pour saisir le mensonge qui nous était servi. On voulait dissimuler le fait que l'antisémitisme de gauche qui avait conduit à la collusion avec Robert Faurisson n'était pas le fait d'une « tromperie » du négationniste ou de la dérive de quelques individus mais bien un problème de fond. Et l'Histoire s'est alors bien répétée comme une tragédie aux fausses allures de farce : Dieudonné et Alain Soral, issus tous deux de la gauche, ont contaminé par leur propagande des millions de personnes, construisant un mouvement néo-nazi puissant , en ayant puisé leurs premières forces dans notre camp. Et à cause d’eux, Faurisson a pu être applaudi sur la scène du Zénith, dès 2008.

 

Memorial 98 ne combat pas seulement pour préserver la mémoire du passé, mais aussi et surtout pour le futur, qui a besoin de cette mémoire pour ne pas répéter les mêmes atrocités.

 

Dix ans après l'assassinat d'Ilan Halimi, son nom est désormais prononcé dans la gauche radicale. Prononcé et même pleuré, si l'on s'en tient aux apparences. Dix ans après l'assassinat d'Ilan Halimi, la dénonciation formelle de l'antisémitisme semble faire l'unanimité dans cette gauche.

 

Forcément, puisque nul ne peut plus dire, après les victimes de Toulouse, après celles de l'Hypercacher, que l’antisémitisme n'est qu'un « préjugé » diffus, et n'ayant rien à voir avec les autres racismes meurtriers. Personne ne peut plus dire, en France, que les personnes d'origine juive n'ont pas plus de problèmes que les Auvergnats.

 

Mais reconnaître les faits, parce qu'ils sont désespérément têtus, ce n'est pas forcément les combattre. C'est une chose de se réveiller après une bataille perdue, c'en est une autre de faire comme si on n'avait jamais dormi, ou pire combattu dans le camp adverse.

 

Aujourd'hui, il est trop tard pour ajouter brusquement et sans explications, le nom d'Ilan Halimi aux victimes du racisme que l'on commémore dans la gauche radicale. Dans notre camp, la seule commémoration honnête et constructive consisterait à expliquer pourquoi cela n'a pas été fait avant, ainsi qu'à reconnaître son silence, d'abord, et les mots et les actes insupportables, ensuite.

 

Il n'est pas nécessaire d'ailleurs, de remonter dix ans en arrière pour en trouver trace. Il y a encore moins de deux ans, en juin 2014, lorsque la mort de Clément Méric a été commémorée par une manifestation à laquelle nous avons participé, le mot antisémitisme ne figurait même pas dans l'appel unitaire, ce qui nous avait amenés à faire en plus, notre propre appel, qui rendait explicitement hommage à Ilan Halimi. Ainsi, plusieurs mois après la tuerie de Toulouse et du Musée juif de Bruxelles, voici ce que devait supporter un collectif de lutte contre le racisme ET l'antisémitisme. Il fallait signer un appel à la mémoire d'un jeune militant assassiné par l'extrême-droite, parce que le front antiraciste est évidemment nécessaire dans ces circonstances, et en même temps, être seuls à rappeler dans cette mobilisation, la mémoire d'une autre victime du racisme. Pendant qu'en tête de cortège, et après un meurtre commis pas des néo-nazis, une des banderoles proclamait comme priorité « la lutte contre le sionisme ».

 

Du passé faire table rase, ce n'est pas juste pousser la saleté sous le tapis,  mais travailler à détruire les fondations de la haine raciste, même au sein du camp progressiste. Et ces fondations là ne se baladent pas dans l'éther de la pensée, elles engagent aussi celles et ceux qui, pendant des années, les ont construites.

 

Commémorer la mort d'Ilan Halimi, dix ans, après, c'est d'abord réfléchir à ce qui l'a rendue possible, à ce qui pourra empêcher d'autres morts. C'est comprendre comment de jeunes prolos, ont pu en plein cœur des années 2000, en France, assassiner un autre jeune homme parce qu'il était Juif, au nom d'idées qui auraient pu être au mot près celle d'un jeune nazi des années 30.

 

Commémorer, c'est reconnaître l'horreur: le fait que la mort atroce d'Ilan Halimi, bien loin de conduire à la répulsion devant les idées antisémites, a au contraire été suivie d'une décennie qui les a vu exploser.

 

Commémorer c'est comprendre l'horreur pour ne plus la répéter: l'horreur pour notre camp progressiste, que d'aucuns veulent oublier aujourd'hui en se réfugiant derrière la thèse d'un antisémitisme uniquement « islamiste », c'est que le principal vecteur politique de l'antisémitisme français ces dix dernières années, a été une mouvance politique composite, dont les leaders n'étaient pas issus d'un groupe néo-nazi, mais dérivaient en partie de la gauche antiraciste.

 

Commémorer la mort d'Ilan Halimi, aujourd’hui, pour le camp antiraciste, c'est se souvenir, que le même Dieudonné qui appelle dans ses vidéos à déterrer et à profaner le corps d’Ilan, fut un compagnon de route presque incontesté pendant des années, et même après des déclarations antisémites sans ambiguïté.

 

Commémorer, c'est prendre nos responsabilités de militants antiracistes. Nous prenons et disons la nôtre : malgré tous nos efforts, nous n'avons pas réussi à freiner l'antisémitisme dans notre propre camp. Ce n'était pas une option, c'était un impératif et une de nos raisons d'être, et nous mesurons tout le poids de cet échec.

 

Nous ne voulons pas le revivre, et commémorer c'est avant tout continuer la lutte. Contre l'antisémitisme d'où qu'il vienne, avec une responsabilité particulière lorsqu'il vient de notre propre camp. Il s'agit pour en extirper les racines, de les rendre visibles, surtout dans les moments où certains, en jetant quelques fleurs sur la tombe d'une victime décédée une décennie auparavant, voudraient à bon compte faire oublier leurs crachats passés.

 

Memorial 98

 

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9 février 2016 2 09 /02 /février /2016 18:58

Mobilisation pour le 5e anniversaire du début de la révolte contre la dictature, avec un large collectif dont Memorial 98

Actualisation du 29 novembre 2016

 

 

Alep: l'aviation de Poutine ne se contente pas de bombarder sans relâche les habitants de la ville. Elle veut aussi les démoraliser. Les tracts jetés par les avions russes disent : "si vous ne quittez pas Alep, vous serez détruits car vous êtes abandonnés" .

 

Hélas c'est vrai. Poutine et Assad profitent à fond de l'élection de Trump et de la désignation de Fillon qui sont de leur côté. Les bourreaux d'Alep savent aussi qu'Obama, pourtant libre de ses décisions en cette fin de mandat, ne bouge pas, après avoir trahi en août 2013 lors de l'attaque chimique.

 

Face à cette situation Memorial 98 et d’autres associations et collectifs maintiennent  une mobilisation aux côtés de la résistance syrienne

Memorial 98

Tapis de bombes sur Alep

(Plus de 200 000 personnes ont pris la fuite dans la région d'Alep)

 

 

Ajout 15 février: les bombardements russes ciblent les hôpitaux. La fable de l'offensive contre Daech est une nouvelle fois démentie. L’aviation de Poutine met en œuvre le plan de reconquête de l'"ensemble de la Syrie" proclamé par Assad. Dans ce but, l'usage de la terreur est quotidien. Il s'agit d'effrayer les populations, de les priver d'accès aux soins et des les inciter à fuir.

 

 

Alors que l’aviation russe écrase la ville d’Alep sous les bombes, des dizaines de milliers de Syriens sont contraints de prendre le chemin de l’exil. Parmi cette foule de réfugiés, des familles entières, des enfants fuient dans des conditions terribles. Cinq ans après le début du soulèvement contre la dictature Assad et après des centaines de milliers de morts et des millions d’exilés, il faut empêcher Poutine d’imposer sa loi.

Selon des insurgés syriens confrontés à l’intervention militaire russe, les pourparlers de paix sur la Syrie, lancés le 29 janvier à Genève, sont « de la poudre aux yeux, une simple photo pour la galerie, ces négociations sont vouées à l’échec ». On assiste en effet aux efforts conjugués du pouvoir de Damas, de la Russie et de l’Iran pour conjurer toute avancée vers une solution[1] pacifique. Poutine a fait le choix d'anéantir toute possibilité de négociation, au moment même où l'ONU était enfin parvenue à être claire sur les exigences d'un processus de paix.

 

 

Les gouvernements occidentaux toujours lâches face au clan de la dictature

 

300 : c’est le nombre des enfants disparus par noyade lors de la traversée des réfugiés syriens . On doit y ajouter le nombre des adultes également disparus. Face à cette fuite éperdue de ceux qui préfèrent risquer la mort en mer plutôt que la terreur en Syrie, les réactions dans les pays européens se partagent entre une solidarité bienveillante et une hostilité de mouvances xénophobes. On peut s’étonner d’entendre si peu de voix faire le rapprochement entre les effets et les causes, c'est-à-dire entre cette fuite éperdue et l’épouvante de la terreur d’État. Au risque de passer sous silence un élément majeur : le rêve des arrivants n’est pas d’oublier d’où ils viennent et ce qui les a fait partir, mais de voir enfin la chute de la dictature et celle de sa créature Daech, au profit d’une Syrie libre et démocratique.

Se borner à accueillir – ce qui est absolument nécessaire et honorable – sans peser pour la fin du cauchemar syrien, c’est se placer de fait dans le cas de figure d’une Syrie progressivement vidée de ses habitants. Elle sera alors totalement livrée au duo mortifère Assad-Daech et au régime dictatorial et clérical iranien.

320, c’est le nombre des bombardements russes en Syrie[2], depuis le lancement des « pourparlers » sous l’égide de l’ONU, essentiellement sur les quartiers hostiles à la dictature. En détruisant les positions encore tenues par l’opposition modérée au régime, V. Poutine arrivé à la rescousse de la dictature, entend neutraliser ceux qui incarnent un avenir de la Syrie sans le clan Assad.

1400, c’est le nombre des civils tués par ces mêmes bombardements russes, dont 527 femmes et enfants.

Assad – Poutine – Rohani à la manœuvre

 

 

 

Dès que la proposition de pourparlers de paix entre les parties prenantes a été émise, Bachar Al-Assad a prétendu exiger de faire le tri parmi les opposants. Interviewé par France 2[3] en novembre dernier depuis l’Iran, le président Hassan Rohani a montré sa totale identité de vues avec son allié Assad en tenant le même langage.

À la question de David Pujadas « pour vous, Bachar Al-Assad est-il un président légitime ? », Rohani a répondu « ce n’est pas une question de personne (…) mais plutôt une question de terrorisme », et à la question « Pour la France, et pour une partie de l’Occident, Bachar Al-Assad, parce qu’il bombarde son propre peuple, les civils, ne peut pas incarner cette lutte contre le terrorisme, que répondez-vous ? », il a répliqué : « Pensez-vous que l’on peut lutter contre le terrorisme sans un État légitime à Damas ? (…). Quel pays a réussi à combattre le terrorisme sans un État fort ? ». Comme si les dictatures n’étaient pas le terreau idéal du terrorisme. Et s’agissant de futures élections en Syrie, lorsque J-P Elkabbach lui demande si Bachar Al-Assad est « un candidat acceptable », Rohani répond : « on n’a pas le droit de décider pour un pays, tous ces choix doivent reposer sur le peuple syrien ». Comme si, depuis 45 ans de dictature, le peuple syrien avait eu le choix de son régime et de ses dirigeants !

 

 

La rhétorique du terrorisme pour écarter l’opposition

 

Au cours de l’automne 2015, le régime syrien a fait arrêter, sur le trajet de leur retour d’entretiens officiels, deux opposants[4] très connus censés participer aux futurs pourparlers de Genève. Rien d’étonnant de la part d’un pouvoir qui, depuis 2011, qualifie indistinctement ses vrais opposants de « terroristes » et « ennemis » de la Syrie et les voue à une disparition violente. Cette hargne meurtrière remonte à beaucoup plus loin : confronté en 1982 à une rébellion de la ville de Hama, Hafez Al-Assad, dictateur d’alors et père de Bachar, y a envoyé ses forces armées qui ont assiégé la ville pendant près d’un mois. Bilan : 30 000 morts, 15 000 disparus et une part notable de la ville détruite, avec ses nombreux joyaux architecturaux. Sans l’ombre d’une réaction de la part des pays occidentaux déjà tétanisés à cette époque par l’épouvantail bien commode des présumés « terroristes ».

 

Des pourparlers tandis que les attaques continuent ?

De leur côté, les représentants du HCN (Haut Comité pour les Négociations, représentatifs de la rébellion) ont fait valoir des conditions minimales à la tenue des discussions projetées : la levée du siège des villes, la libération de prisonniers, la libre arrivée des secours humanitaires là où ils sont attendus, notamment dans les villes assiégées, l’arrêt des attaques contre les civils, tant de la part du régime que de ses alliés. Force est de constater que ces prérequis ne sont pas du tout réalisés, n’en déplaise au journal l’Humanité[5] toujours complaisante pour le régime Al-Assad sous la plume de P. Barbancey lorsqu’il écrit : « L’opposition syrienne, qui a contribué à tuer dans l’œuf toute négociation politique, en favorisant jusqu’alors une solution militaire, est-elle aujourd’hui disposée à s’asseoir autour de la table ?», faisant mine d’ignorer que c’est le régime qui dès 2011 a militarisé le conflit.

Selon Le Monde du 3 février 2016, les pourparlers de Genève sont suspendus jusqu’au 25 février et « des dirigeants du monde entier doivent se réunir à Londres pour tenter de lever 9 milliards de dollars en faveur des millions de Syriens victimes de la guerre, avec l’ambition d’endiguer la crise des réfugiés qui, du Moyen-Orient à l’Europe, pèse sur les pays d’accueil ». Le groupe international de soutien à la Syrie (une vingtaine de pays dont l’Iran et la Russie) se réunirait à Munich le 11 février.

 

Manœuvres de partition et menace sur Alep-Est

Le but avoué de l’axe Assad-Poutine-Khameneï (le « guide suprême » iranien) est de neutraliser l’opposition syrienne et d’enfermer le pays dans l’alternative Assad / Daech, dont l’immense majorité des Syriens ne veut pas. L’un des scénarios envisagés est une partition de la Syrie avec notamment une zone restant sous la coupe du régime Assad, dite « Syrie utile », même si diverses mouvances[6] du pouvoir s’entredéchirent sur ce point.

Dans ce cas de figure d’une partition, certains partis et groupes combattants kurdes jouent une alliance de fait avec le régime, en contrepartie de leur projet d’une certaine autonomie dans la région de la Rojava. Ce plan serait le substitut illusoire de l’horizon d’un Kurdistan agrégeant les zones des différents pays habitées par des Kurdes. Des factions kurdes ont entrepris de chasser du Rojava au nord les populations arabes qui y vivent depuis des siècles et de débaptiser leurs localités. À la satisfaction du régime qui y voit un atout à jouer dans son projet de partition en se réclamant de la « cause kurde ». Or cette vision est minoritaire chez les Kurdes syriens eux-mêmes qui restent attachés à l’unité d’une Syrie multiconfessionnelle et multiethnique.

Comme les autres minorités et comme la majorité arabe sunnite, les Kurdes syriens , qui ont des représentants dans la Coalition nationale syrienne (CNS), partagent son exigence lorsqu’elle affirme par son communiqué du 22 novembre 2015 que Bachar Al-Assad et « tous les criminels responsables du meurtre du peuple syrien dans l'instance de pouvoir » ne doivent jouer aucun rôle dans la phase transitoire et dans « l'avenir politique de la Syrie ».

Quoiqu’il en soit, le lancement d’un assaut d’Assad et de ses alliés pour faire tomber Alep fait planer une menace gravissime sur le territoire libéré d’Alep-Est où les habitants se sont donnés les organes d’une société civile. L’actuel encerclement d’Alep, conforté et « légitimé » de facto par une offensive sous label kurde, risque d’aboutir à un massacre qui ferait des milliers de victimes et qui assombrirait les perspectives d’une Syrie affranchie de la dictature.

Accompagner et soutenir cette exigence est une œuvre de salut public, tant pour les Syriens que pour l’avenir du des populations dans toute la région.

 

Urgence

L’urgence immédiate est de s’opposer à l’offensive et aux bombardements du trio Assad-Russie-Iran sur Alep et sa région.

C’est pourquoi, avec de nombreuses associations, Memorial 98 appelle à des actions dans les différentes villes et à un rassemblement à Paris le vendredi 12 février.

Non au massacre de la population d’Alep !

N’abandonnons pas un peuple faisant face à son bourreau depuis bientôt cinq ans

Mobilisation vendredi 12 février 18h30

Devant le Ministère des Affaires Étrangères Quai d'Orsay Métro Invalides

Memorial 98 lors du rassemblement du 12 février

Gérard Lauton pour Memorial 98

 

Articles précédents de Gérard Lauton pour Memorial 98:

http://www.memorial98.org/2015/11/avec-les-syriens-eradiquer-daech-pour-une-syrie-libre.html

 

http://www.memorial98.org/2015/10/poutine-et-assad-une-alliance-pour-massacrer-les-syriens.html

 

http://www.memorial98.org/2015/09/pour-les-refugies-syriens-et-pour-une-syrie-libre.html

 

http://www.memorial98.org/article-syrie-un-an-de-combat-et-de-debat-101451973.html

 

www.memorial98.org/article-syrie-quand-lhumanite-s-inquiete-pour-bachar-al-assad-124688465.html

 

Voir également, depuis le début de la mobilisation du peuple syrien en mars 2011, les nombreux articles de Memorial 98 concernant la Syrie ici et sur le blog d'actualités "L'Info Antiraciste", dont

www.memorial98.org/2015/03/noussommessyriens-4-annees-de-lutte-contre-les-tyrannies-de-bachar-al-assad-et-de-daech.html

 

info-antiraciste.blogspot.fr/2015/08/syrie-refugies-crimes-de-guerre-quand.html

 

Notes:

[1]http://www.lemonde.fr/international/article/2016/02/03/syrie-les-pourparlers-de-geneve-suspendus-jusqu-au-25-fevrier_4858865_3210.html.

[2] selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).

[3] http://www.leblogtvnews.com/2015/11/interview-du-president-iranien-ce-mercredi-sur-france-2-et-europe-1.html.

[4] http://souriahouria.com/arrestation-de-deux-opposants-syriens-ayant-participe-a-la-reunion-de-riyad/.

[5] https://www.facebook.com/gerard.lauton/posts/1065123943508658.

[6]http://www.lorientlejour.com/article/924737/vers-une-partition-a-la-yougoslave-de-la-syrie-.html.

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14 janvier 2016 4 14 /01 /janvier /2016 16:37

Commémoration de la Nuit de Cristal devant le gymnase Japy à Paris, le 9 novembre de chaque année

Mise à jour du 16 janvier 2018

Dans le contexte actuel d'une très importante vague de racisme et d'antisémitisme, nous publions un document fondateur de Memorial 98, rappelant, lors de l'affaire Dreyfus, la mobilisation contre l'extrême-droite et l'antisémitisme du 17 janvier 1898, date anniversaire à laquelle nous faisons référence dans notre nom.

Ce texte intitulé « Un siècle de combats contre l’antisémitisme » rend compte de la continuité de ce combat et aussi de ses difficultés .

Il a accompagné la création de l’association Memorial 98.

Notre association avait organisé le 17 janvier 1998 sa première activité publique: une journée d’étude retraçant les relations, parfois complexes, entre la gauche et la lutte contre l’antisémitisme et le racisme.

En ce cent dix-huitième anniversaire de la mobilisation du 17 janvier 1898, ce document fondateur garde toute son actualité et inspire notre engagement contre le racisme, l’antisémitisme et tous les négationnismes.

C'est dans son esprit que nous nous efforçons de défendre en toutes circonstances une conception et une pratique universalistes de l'antiracisme, car dans le regard des fascistes, nous avons tous la même couleur, celle du sang à faire couler.

L'activité de Memorial 98 s'est développée, notamment dans le domaine des publications et de leur diffusion, avec nôtre blog l'Info Antiraciste qui constitue nôtre "fil d'actualité".

Nous sommes également présents sur les réseaux sociaux ( accessible sur cette page à gauche des articles)

Cet anniversaire est l'occasion d'appeler nos lecteurs et ceux qui se reconnaissent dans nos combats à faire connaître ces blogs et leurs articles. Le blog est complété par un groupe Facebook qui vit au rythme de l'actualité quotidienne et permet de partager de nombreux débats et informations ainsi que des actions: contre la déchéance de nationalité et pour la levée immédiate de l'état d'urgence, contre les expulsions de sans-papiers, en soutien à la population syrienne qui fait face à Assad et Daech, mobilisations avec les migrants et réfugiés, commémorations de la Nuit de Cristal nazie...

Si vous visitez ce blog pour la première fois, nous vous proposons de vous y abonner afin de recevoir tous les articles à leur parution.

 

MEMORIAL 98

"Le centenaire de la parution du J'accuse de Zola (en Janvier 1998 NDLR) a donné lieu à de nombreuses commémorations et prises de position.

On connaît moins l'engagement des militants de gauche qui se jetèrent très tôt dans la bataille pour la défense de Dreyfus, contre l'antisémitisme et le nationalisme.

Le 17 janvier 1898, quatre jours après la publication par Émile Zola de son "J'accuse" , protestant contre la condamnation de Dreyfus, au paroxysme de ce qu'il était alors convenu d'appeler l'Affaire, les antisémites ripostaient violemment. Dans toute la France des cortèges pogromistes déferlaient sur les quartiers juifs aux cris de « Conspuez Zola! » et de « Mort aux juifs! ».

A Paris une réunion publique était programmée par l'aile la plus dure de l'antidreyfusisme, dans la salle dite du Tivoli‑Vauxhall; plusieurs milliers de personnes s'y pressaient.

Une centaine de militants ouvriers parisiens, socialistes de gauche dit allemanistes et anarchistes principalement, vinrent apporter une contradiction musclée à ce meeting. Les orateurs prévus dont Dubuc, président de la "Jeunesse antisémite", Jules Guérin, président de la "Ligue antisémitique de France" et directeur du journal l'"Antijuif", ne purent ce soir-là déverser leur poison en toute liberté. L'estrade fut prise d'assaut et la grande messe anti-juive tourna court.

Cette action connut à l'époque un important retentissement; elle figurait en première page de tous les quotidiens parisiens et fut fièrement revendiquée par ses initiateurs. Ce sursaut fut, dans le mouvement ouvrier de l'époque, la première réaction publique de rejet de l'antisémitisme, alors que l'extrême droite tentait comme aujourd'hui, souvent dans les mêmes termes, d'orienter sa propagande vers les milieux populaires.

Un siècle, jour pour jour après ces événements, l'association Mémorial 98 a voulu rendre hommage à ces pionniers de la lutte antiraciste et réfléchir à cette occasion aux rapports entre le mouvement ouvrier et le combat contre l'antisémitisme.

Il ne s'agissait néanmoins pas d'une commémoration.

En effet, deux années plus tôt en 1996, alors que le mouvement des sans‑papiers se développe avec le soutien de la notoriété de l'abbé Pierre, débute l'affaire Garaudy. Cet ancien dirigeant du Parti communiste fait paraître aux éditions de la Vieille Taupe, spécialisées dans le négationnisme, un livre, qui sous prétexte de dénoncer « les Mythes fondateurs de la politique israélienne », reprend tous les clichés négationnistes. Le scandale s'aggrave lorsque l'abbé Pierre déclare son soutien à Roger Garaudy et multiplie les prises de position antisémites. On apprend à cette occasion que depuis plusieurs années il a défendu ce genre de thèses.

Militants antiracistes engagés dans le soutien aux sans‑papiers, nous sommes alors surpris par la gêne, voire la complaisance qui se manifeste à l'égard de l'abbé. Son discours antisémite est traité ‑ y compris par ceux qui sont en principe les plus vigilants dans la lutte contre le racisme - comme un "dérapage", une foucade un peu obscène mais pas très grave.

C'est à ce moment que se cristallise le projet qui devait mener à la création de l'association Mémorial 98.

Notre attention avait déjà été attirée sur cette première mobilisation ouvrière contre l'antisémitisme par quelques phrases d'une brochure de l'organisation Alternative libertaire intitulée « La mauvaise conscience » et qui traitait de l'antisémitisme dans la gauche.

Ce document reprenait les informations de Michel Winock (« La gauche et les juifs » paru dans Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France)1 qui décrit ainsi la situation en janvier 1898 :

« Le 19 janvier après que les poursuites ont été lancées contre Zola un manifeste est lancé par 32 députés socialistes qui se déclarèrent "au-dessus de la mêlée". Les élections législatives devaient avoir lieu en mai 1898, Or les socialistes parlementaires sont sensibles à la pénétration des mots d'ordre nationalistes et antisémites dans les couches populaires.

C'est moins du côté du Parlement qu'on retrouve le premier foyer de résistance au nationalisme et les premiers bataillons dreyfusards que dans les tendances antiparlementaires du mouvement ouvrier: dans le groupe dit allemaniste et dans les colonnes de son journal "Le Parti ouvrier" et chez les anarchistes qui entourent Sébastien Faure et le Libertaire. Dès la fin de l'année 1897 ils ont fait leur choix [...]. Le 17 janvier, Jules Guérin ayant organise une réunion antisémite les anarchistes de Faure et les allemanistes pren­nent d'assaut l'estrade et dispersent la réunion. »

Le mouvement ouvrier français a longtemps hésité à s'engager dans la bataille démocratique et antiraciste. L'évolution de ses dirigeants vers la cause dreyfusarde n'est pas linéaire.

 

La gangrène antisémite a largement touché le mouvement ouvrier français du XIXe siècle. Bien entendu, elle était antérieure à celui-ci et n'avait pas épargné la philosophie des Lumières. Voltaire rédigeait ainsi l'article « Juifs » de son Dictionnaire philosophique: « Vous ne trouverez en eux qu'un peuple ignorant et barbare, qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice à la plus détestable superstition". »

Néanmoins, la Révolution a reconnu dès 1789 les Juifs comme citoyens français, puis a émancipé ceux d'Alsace et de Lorraine en 1791. Sous Louis‑Philippe, la presse souligne la fortune colossale accumulée par la famille Rothschild, à laquelle on ne tarde pas à assimiler tous les Juifs...

Un antisémitisme à prétention sociale allait dès lors renforcer l'antisémitisme d'origine chrétienne.

Des figures marquantes du mouvement ouvrier français cèdent à la tentation d'amalgamer le Juif et l'usurier, ou d'habiller leur antisémitisme d'un sentiment athéiste. Proudhon, un des pères de l'anarchisme français, écrit à propos de la « race juive » :

« Demander son expulsion de France, à l'exception des individus mariés avec des Françaises; abolir les synagogues, ne les admettre à aucun emploi [...] Le Juif est l'ennemi du genre humain. Il faut renvoyer cette race en Asie ou l'exterminer »2

Le jeune Marx lui‑même tient un discours douteux dans "La question juive" écrite en 1844 alors qu'il séjournait en France:

« L'argent est le dieu jaloux d'Israël, devant qui nul autre dieu ne doit subsister, »

En 1891, un délégué juif américain demande au congrès international socialiste de Bruxelles de condamner l'antisémitisme. Mais la motion retenue renvoie dos-à-dos « les excitations antisémitiques et philosémitiques ». C'est notamment à la demande de deux délégués français que ce dernier mot a été ajouté.

Édouard Drumont, l'auteur antisémite du best-seller absolu de l'époque "La France juive", n'hésite pas à se parer d'un vocabulaire anticapitaliste :

« Avec le sémite, tout part de la Bourse, tout revient à la Bourse, toute action se résume à une spéculation. [...] Sur qui pèse le régime actuel? Sur l'ouvrier révolutionnaire et sur le conservateur chrétien. L’un est atteint dans ses intérêts vitaux ; l'autre blessé dans ses croyances les plus chères. »3

 

DU CÔTÉ DES ANARCHISTES...

 

Lorsque commence l'affaire Dreyfus, les anarchistes français sont affaiblis par la répression. Beaucoup d'entre eux sont contaminés par l'antisémitisme à prétention sociale. En novembre 1894, au début de l'affaire Dreyfus, Pouget écrit dans son journal "Le Père peinard" :

« Un youtre alsacien, Dreyfus, grosse légume au ministère de la Guerre, a bazardé un tas de secrets militaires en Allemagne. Ohé, bourgeois, ne vous épatez donc pas; les militaires ont ça dans le sang. »4

Les anarchistes qui, comme Bernard Lazare, défendent la cause de Dreyfus sont au début très isolés. Pourquoi défendre un officier, fils de bourgeois... et un « youtre » ?

Bernard Lazare s'engage aux côtés de Dreyfus dès le début de 1895, bien avant Zola, Il essaye de convaincre les autres révolutionnaires d'en finir avec leurs préjugés dans un texte intitulé : « Antisémitisme et révolution ». Mais il faut attendre janvier 1898 pour que le mouvement anarchiste commence à basculer, notamment grâce à Sébastien Faure. Dans son journal, "Le Libertaire", celui-ci écrit : « Dreyfus est l'enchaîné de vos lois, monde chrétien et société bourgeoise! ». En février, il répond à Pouget que l'affaire Dreyfus « porte à l'ordre du jour la question sociale toute entière dans ses complexités ». Peu à peu, Émile Pouget et d'autres libertaires finissent par s'engager dans ce que Jean Grave, dirigeant anarchiste, appelle «la lutte entre clarté et obscurantisme». Mais Sébastien Faure sera, après coup, l'objet de nombreuses critiques de la part de ses camarades qui lui reprocheront une « compromission avec les partis politiques ».

LES SOCIALISTES : DE L’ABSTENTION AU DREYFUSISME

Le socialisme français est fortement divisé à cette époque. Le Parti ouvrier français de Guesde et de Lafargue est le plus organisé. Les socialistes révolutionnaires d'Allemane, implantés dans le mouvement syndical, viennent de se séparer des possibilistes de Brousse. Millerand incarne l'aile droite du mouvement, les socialistes indépendants. Depuis 1893, une quarantaine de socialistes sont députés; parmi eux Jaurès, Guesde et Millerand.

Tous ont longtemps rechigné à s'engager, à l'exception des allemanistes et notamment de Lucien Herr qui mobilisera largement les intellectuels aux côtés de Dreyfus.

Avant l'affaire Dreyfus, Jaurès entretenait des relations somme toute cordiales avec des antisémites notoires comme Drumont et l'ancien communard Rochefort. En mai 1895, à l'issue de courtes vacances en Algérie et après la condamnation et la déportation de Dreyfus à l'île du Diable, Jaurès publie deux articles dans La Dépêche de Toulouse; il écrit : « Sous la forme un peu étroite de l'antisémitisme se propage en Algérie un véritable esprit révolutionnaire »,. Et Jaurès de reprendre à son compte les arguments du lobby antisémite contre la « puissance juive ». Il n'a vu que « l'usure juive » qui réconcilie contre elle « l'Européen » et « l'Arabe ».

Lorsque Zola lance son "J'accuse", le 13 janvier 1898, les choses vont évoluer... mais lentement. Le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire d'Allemane s'est engagé dès décembre 1894 contre le conseil de guerre qui avait condamné Dreyfus.

« Étrangère à l'antisémitisme, c'est la coopérative d'impri­merie, dirigée par Allemane, qui publie en 1898 la belle Lettre des ouvriers juifs de Paris au Parti socialiste français : cessez de nous prendre pour des Rothschild! »5

Comme on l'a vu, les parlementaires socialistes n'en sont pas du tout là. Le plus droitier d'entre eux, Millerand, ne se ralliera au camp dreyfusard qu'au tout dernier moment, le 31 août 1898, après le suicide du commandant Henry, auteur confondu du faux accablant Dreyfus; la révision du procès devenant inévitable, le pragmatique Millerand s'y rallia.

L'évolution de Jaurès est plus rapide, mais non exempte d'ambiguïtés. En juin 1898, déjà acquis à la cause dreyfusarde, il déclare encore :

« Nous savons bien que la race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par une sorte de fièvre du gain quand ce n'est pas par la fièvre du prophétisme, nous savons bien qu'elle manie avec une particulière habileté le mécanisme capitaliste, mécanisme de rapine, de mensonge, de cor­ruption et d'extorsion. Mais nous disons, nous : ce n'est pas la race qu'il faut briser; c'est le mécanisme dont elle se sert, et dont se servent comme elle les exploiteurs chrétiens. »6

L'adhésion au dreyfusisme n'évacue pas tout antisémitisme.

Alors que Jules Guesde l'« orthodoxe » a vu dans J’accuse « le plus grand acte révolutionnaire du siècle », son parti publie néanmoins, fin juillet 1898, un manifeste qui tranche : « Les prolétaires n'ont rien à voir dans cette bagarre ». Seules comptent la lutte de la classe et la révolution sociale.

Derrière ce discours simpliste, se cache la déception électorale de mai 1898 : Jaurès et Guesde ont été battus dans leurs circonscriptions, alors que Drumont est élu à Alger sur la base d'une campagne dont les thèmes sont à la fois « républicains » et antisémites : « Vive l'Armée! Vive la République! À bas les juifs! ».

L'antidreyfusisme ouvrier persiste, notamment chez les travailleurs de l'habillement concurrencés par le nouveau prolétariat juif originaire d'Europe central. Et « l’on compterait 10 % d'ouvriers, en particulier des cheminots, parmi les 100 000 premiers adhérents de la Ligue de la patrie française »7.

Tout de même, l'ensemble du mouvement socialiste finira par entrer dans la bataille. Le mouvement ouvrier pèsera de tout son poids contre les ligues nationalistes, dans un contexte de remontée de la combativité : entre 1898 et 1900, le nombre de jours de grève passe de 1,2 à 3,7 millions. Dans les manifestations dreyfusardes, « les prolétaires font masse, ils contribuent, avec les étudiants, à dynamiser » le mouvement8.

Dreyfusard très tardif, Millerand deviendra ministre du Bloc des gauches. Il s'attachera à convaincre Jaurès de se contenter d'une grâce présidentielle et d'abandonner la bataille pour la révision du procès.

L'affaire Dreyfus a montré que la lutte contre le racisme ou pour les droits de l'homme en général n'était pas étrangère à la lutte des classes. Dreyfusard de la première heure, Bernard Lazare écrira en 1901 :

« On ne pourra Jamais détruire l'antisémitisme; on pourra momentanément en enrayer les manifestations violentes, mais on le verra réapparaître selon les circonstances. Le Juif est trop nécessaire aux peuples chrétiens, l'antisémitisme trop utile pour les possédants, les chefs d'État, les dirigeants des nations chrétiennes. Le Juif n'existerait pas pour qu'on puisse détourner sur lui les colères de ceux dont'on spolie et sauver ainsi les coffres‑forts qu'ondoya l'eau du baptême, qu'assurément on l'inventerait. »9

Notes:

1) WINOCK (Michel), « La gauche et les juifs », Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France, Points Histoire, Le Seuil.

2)PROUDHON (P.J.), Carnets, 1858.

3)DRUMONT (Édouard), La France juive, 1886.

4)CRANIGUES (Jean), « Les anarchistes », L'Affaire Dreyfus de A à Z, sous la direction de M. Drouin, Flammarion, 1994.

5)REBÉRIOUX (Madeleine), « Jaurès et les socialistes », L'Affaire Dreyfus de A à Z, op. cit.

6)Ibid note 1.

7)PIGENET (M.), « Les ouvriers et leurs organisations » in L'Affaire Dreyfus de A à Z, op. cit.

8) Ibid.

9)ORIOL (Philippe), « Bernard Lazare », L'Affaire Dreyfus de A à Z, op cit."

 

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MEMORIAL 98

 

 

 

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11 janvier 2016 1 11 /01 /janvier /2016 00:51

Mise à jour 13 Février 2017: nouvelle récompense pour Le Fils de Saul distingué lors du prix britannique du BAFTA

 

 

Le film "le fils de Saul" se déroule dans un camp d'extermination; c'est l'histoire d'un « Sonderkommando[1] ». Nous le recommandons vivement.

C'est avec lui que l'on découvre Auschwitz comme on ne l'avait probablement jamais vu au cinéma : une ruche abominable et gigantesque, une usine à fabriquer des cadavres à la chaîne.

Les jeunes cinéastes Clara Royer et László Nemes en ont écrit le scénario ensemble.

Làslo Nemes est un  réalisateur hongrois, une partie de sa famille a été déportée en 1944.

Elle est française, spécialiste des littératures d'Europe centrale. Elle explique que  Le Fils de Saul est « sorti des tripes » de Nemes, qui a pris le parti radical de ne pas quitter son personnage principal d'une semelle.

 

Du bruit et de la fureur

 

L'ampleur des fracas résonne encore à la sortie du cinéma.

Des déflagrations assourdissantes, des claquements de portes, des grincements métalliques, un déchaînement de hurlements, des clameurs, s'entremêlent, s'enchevêtrent comme ces corps en filigrane, eux-mêmes, mêlés, défigurés, estropiés.

Toujours en arrière plan, la blancheur des dépouilles nues, bras et jambes confondus, entrecroisés, sans visage, du sang dans la noirceur des dédales, d'où surgissent des hommes, rien que des hommes…bousculés, ils courent, ils frappent, ils entrent, ils sortent, ils repoussent et puis Saul parmi ces êtres inhumanisés, une croix rouge sur le dos de son vêtement. Cette croix qui le désigne, qui le stigmatise.

Saul au visage impassible.

La caméra le fixe et l'escorte de dos, de face, de profil, debout, courbé, agenouillé, herculéen.  

Le même regard intensément noir qui ne dit rien ou qui en dit long.

Silencieux au milieu de toutes ces lamentations, il semble nous interroger.

Que fait-il là ?

Quel destin que de se retrouver parmi les siens pour les envoyer à la mort, un sursis pour la sienne, elle-même inéluctable.

La mort, toujours présente à chaque cri, à chaque injonction, elle peut arriver à tout instant selon le bon vouloir de ces monstres qui n'ont de cesse de hurler.

II accomplit sa tâche consciencieusement avec toute sa force de vie, à la cadence des vociférations : encourager et refouler sous la « douche » de la chambre à gaz ses congénères, les hommes, les femmes et les enfants.

Il lessive le sol rougi, il envoie des pelletées de cendres, il creuse la terre, sans jamais se départir de sa rage.

On reste paralysé face à cette fureur de gesticulations ininterrompues.

Ses gestes mécaniques ne font pas venir les larmes aux yeux.

Un enfant respire à peine. Il le reconnait, il se l'approprie. Il va déployer toute sa hargne pour lui inventer une sépulture et trouver un rabbin pour dire le kaddish.

Cela devient sa raison de rester vivant, lui que la mort guette à chaque injonction, à chaque éclat démoniaque, à chaque chuchotement.

Au milieu de cet effroi des hommes et des femmes survivent. Une société s'organise. Des hommes à qui il reste le courage de fomenter une révolte.

 

Alors que nous sortions encore abasourdis, assourdis les oreilles fracassées du bruit de ces cris où les langues et les sommations s'interpellent, une spectatrice est venue nous interroger

Elle s'étonnait de ne pas avoir eu d'empathie avec le personnage principal.

 

 

Comment interpréter la quête de Saul ?

Je n'ai pas été émue aux larmes, il est vrai.

J'ai pensé, en y réfléchissant, que ce n'était pas « du cinéma » .

Tout cela a existé.

Ce sont ces monstruosités qui nous tétanisent jusqu'à glacer nos émotions.

 

Le fils de Saul est un film essentiel par son caractère pédagogique.

Il évite les images accablantes.

Il nous fait vivre un enfer sonore, une résonnance en écho qui illustre la brutalité, la barbarie dans toute son horreur.

 

Evelyne Lévy pour Memorial 98

 


[1] Signifie groupe spécial. Il s’agit d’un groupe de déportés chargés de convoyer d'autres déportés jusqu'aux portes des chambres à gaz, d'en extraire les cadavres pour les brûler, avant de nettoyer les lieux et de se débarrasser des cendres. Pour ces détenus au statut particulier, ce travail ne représente qu'un sursis avant leur propre extermination

 

Voir aussi sur Memorial 98:

 

http://www.memorial98.org/article-allez-voir-la-rafle-46705214.html

 

http://www.memorial98.org/article-liberation-d-auschwitz-70-ans-apres-les-images-temoignent-125439876.html

 

http://www.memorial98.org/article-chef-d-oeuvre-allez-voir-welcome-in-vienna-90728752.html

 

Voir sur l'Info Antiraciste, blog d'actualités de Memorial 98:

 

http://info-antiraciste.blogspot.fr/2015/12/shoah-commemoration-en-norvege-et-en.html

 

http://info-antiraciste.blogspot.fr/2015/04/ghetto-de-varsovie-la-revolte-au-coeur.html

 

http://info-antiraciste.blogspot.fr/2015/07/quand-les-nazis-deportaient-les-juifs.html

 

http://info-antiraciste.blogspot.fr/2015/08/2-aout-71-ans-apres-lextermination-des.html

 

 

 

 

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18 décembre 2015 5 18 /12 /décembre /2015 20:15

 

 

 

 

 

 

 

 

Actualisation du 27 décembre (voir d'autres mises à jour à la suite du dossier ): la colère gronde chez tous ceux qui sont attachés aux droits égaux et au droit du sol. La révolte se développe au sein même du parti de Hollande et Valls, comme le montrent les multiples déclarations de membres et militants de ce parti, ainsi que de députés qui annoncent qu'ils ne voteront pas la mesure( pensez à interpeller votre député). Face à ce soulèvement, Valls choisit l'escalade et même l'insulte en dénonçant "une partie de la gauche (qui) s’égare au nom de grandes valeurs". On rappellera que Valls lui-même a expliqué que la mesure de déchéance n'avait pas d'efficacité pratique (voir ci-dessous) mais qu'elle constituait un "symbole". Symbole discriminatoire contre grandes valeurs, l'enjeu est clair et s'inscrit dans le long combat pour la défense du droit du sol et du refus des déchéances de nationalité (voir le rappel de ce combat ci-dessous). En même temps l'exécutif diffuse un argumentaire et des consignes aux députés socialistes afin de peser sur leur vote. L'autoritarisme et la mise en cause des engagements de la gauche vont ainsi de pair. Il est d'autant plus important que le mouvement antiraciste et tous ceux qui sont attachés aux "grandes valeurs" se manifestement très fortement.

 

Actualisation du 24 décembre: F. Hollande et M. Valls ont donc décidé de maintenir la déchéance de nationalité dans les projets gouvernementaux. Ce choix a peu à voir avec la lutte contre le terrorisme et beaucoup à voir avec des manoeuvres politiciennes en direction de la droite. C'est ce qu'indique M. Valls lui-même en présentant la mesure: " L'efficacité - et tout le monde l'aura compris depuis cette annonce - n'est pas l'enjeu premier. C'est une mesure à caractère hautement symbolique..."

Le symbole est donc celui de la discrimination et de l'atteinte au principe du droit du sol, car comme l'avait déclaré la veille de cette annonce la ministre de la justice C. Taubira: «Cette déchéance de nationalité sur des personnes nées françaises, qui appartiennent depuis leur naissance à la communauté nationale, ça pose un problème de fond sur un principe fondamental qui est le droit du sol, et qui est, dans l'histoire de la construction de la communauté française sur une base civique, un pilier fondamental".

C'est ce qui est contenu dans le texte ci-dessous, qui rapelle l'importance de ces principes, mis en cause par le FN et la droite depuis 30 ans.

Désormais chacun(e) se trouve placé face à ses responsabilités. Chaque député, chaque sénateur se réclamant de la gauche, sera amené à voter et nous l'espérons, à rejeter ce projet discriminatoire. Les arguments sont connus et ce sont d'ailleurs ceux qu'ont utilisé F. Hollande et M. Valls lorsqu'ils s'opposaient en 2010 aux projets équivalents de Sarkozy.

Pour notre part, dans la continuité de notre engagement antiraciste, nous appellons à la mobilisation immédiate pour la défense du droit du sol, pour le rejet de la déchéance de nationalité. Avec de nombreuses associations et avec toutes les personnes désireuses de réagir à cette déchéance de démocratie, nous seront présents et ne céderons pas. 

 

 Memorial 98 

 

La "déchéance de nationalité", y compris pour des personnes nées en France, fera-t-elle partie du projet de loi constitutionnel promu par le gouvernement et F. Hollande ? Les manœuvres semblent se multiplier autour de cette calamiteuse proposition, qui établit une inégalité entre les citoyens français, selon qu'ils disposent ou pas d'une autre nationalité. Manuel Valls fait dire par des échos de presse qu'il faudrait renoncer à cette mesure qu'il a pourtant approuvé et mis en avant. Notons qu'il avait auparavant pris la responsabilité du renvoi aux calendes grecques de l'obtention du droit de vote des étrangers.

 

La déchéance de nationalité représente un immense facteur de discrimination. Elle suppose qu’il existe deux types de Français: les citoyens que l’extrême droite désigne comme les « Français de souche », et les autres, qui ne le seraient que s’ils se tiennent correctement et prouvent jour après jour qu’ils sont dignes de le rester. Certes, le code civil prévoit la possibilité, dans un certain nombre de cas, de déchoir de leur nationalité des étrangers qui ont acquis la nationalité française ; c’est notamment le cas pour ceux qui sont condamnés pour terrorisme. Le gouvernement veut aller plus loin, et pouvoir déchoir ceux qui sont nés Français.

L’impact de cette mesure contribuerait à fragiliser encore des populations issues de l'immigration, puisqu’elles constitueraient évidemment sa principale cible. Près du tiers des descendants d’immigrés déclarent une double nationalité. Cela représente environ 3,3 millions de personnes. Celles-ci sont aujourd’hui françaises à part entière. Demain, si cette réforme était validée et adoptée, elles entreraient dans l’ère du soupçon. La naissance sur le sol français "protège" à ce jour les binationaux contre la possibilité de déchéance de leur nationalité française; cela ne serait plus le cas si le projet Hollande est adopté. Cela constitue donc une remise en cause de droit du sol protecteur.

 

Le 1er décembre, le Conseil d’État a été saisi par le gouvernement,  pour avis, d’un projet de loi visant à consolider juridiquement l’état d’urgence et, en particulier, à autoriser cette déchéance de la nationalité, y compris pour des Français nés en France et disposant d’une autre nationalité, dès lors qu’ils auraient été condamnés pour terrorisme. Ils seraient ensuite évidemment expulsés.

 

Le Conseil d’État a semble-t-il choisi de ne pas se prononcer sur cette mesure et de la renvoyer à la décision du gouvernement. Le prétexte d'une "censure" du Conseil d’État est ainsi évacuée et  le gouvernement et F. Hollande se retrouvent placés devant leurs responsabilités; ils doivent immédiatement et définitivement retirer cette mesure.

 

Parmi toutes les mesures d'ordre sécuritaire envisagées au lendemain des attentats, celle concernant la déchéance de nationalité est particulièrement nuisible et effrayante.

 

Elle provoque déjà un immense malaise à gauche alors que le Front National ainsi que la direction des Républicains s'en félicitent.  Comme l'a rappelé Daniel Goldberg, député socialiste de Seine-Saint-Denis (et comme nous l'avions noté ici)  : «La seule fois où l’on a retiré la nationalité à des nés français, c’était sous Vichy…» Même Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS a été contraint de se démarquer, en déclarant:  «Ce n'est pas une idée de gauche, ce n'est pas la gauche qui a mis ça à l'ordre du jour». C'est en effet une proposition émanant du FN et de la direction de LR, mais c'est bien F. Hollande qui l'a mise en avant au lendemain des attentats du 13 novembre

 

D’ailleurs Marine Le Pen s'était félicitée de ce qui apportait de l'eau à son moulin, à la veille des élections régionales du 6 et 13 décembre: « Quand vous voyez un président de la République tourner le dos à toutes les idées qui étaient les siennes et reprendre les mesures du FN, il y a un côté étonnant, un hommage au FN, qui se retrouve crédibilisé »,

 

Que contient le projet, tel que F. Hollande l'a lui-même présenté devant le Congrès à Versailles dès le 16 novembre? Il a déclaré ce jour-là :

"Nous devons pouvoir déchoir de sa nationalité française un individu condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme, même s' il est né Français. Je dis bien même s'il est né Français, dès lors qu'il bénéficie d'une autre nationalité", a insisté le président.

 

Ainsi afin de se donner un profil de fermeté et plaire à la droite et au FN, François Hollande semblait prêt à remettre en cause les principes d'égalité et de non-discrimination.

 

Or, la  législation française a depuis toujours accepté la binationalité. L’inscription dans la Constitution ou dans la loi de deux catégories de Français produirait des effets destructeurs sur le statut et les droits de tous ceux qui pourraient être la cible d'une déchéance de nationalité et d'ailleurs aucun effet réel contre le terrorisme.

 

Auparavant seuls le Front National et la droite radicale avaient mis en cause l'égalité des citoyens binationaux.
C'est Jean-Marie Le Pen qui avait inauguré ce style d’attaque dès 1989. Le 5 décembre de cette année là, à la télévision (chaîne la 5), Le Pen débat avec Lionel Stoleru , alors secrétaire d'Etat chargé du Plan, sur le thème du travail au noir.
Il commence par demander à son interlocuteur s'il a la double nationalité (sous-entendu israélienne) ... en faisant ainsi allusion à ses origines juives.
En 2007 le dirigeant d’extrême droite s’en prend à R. Dati dans ces termes :" question à Mme Dati: est ce que vous avez la nationalité marocaine, ou est-ce que vous avez la nationalité française? Vous devez choisir. Si vous choisissez la nationalité étrangère, vous serez des étrangers, respectés en France, mais selon le statut des étrangers sans les avantages que moi je crois devoir réserver aux Français… »

De Villiers candidat du MPF à la présidentielle de 2007, avait lui aussi inscrit à son programme" l'interdiction de la double nationalité".

 

En 2011 Marine Le Pen marche dans les pas de son père. Elle dénonce la candidate écologiste Eva Joly, d'origine norvégienne, au prétexte de sa double nationalité et lui conteste le droit de se présenter à l'élection présidentielle de 2012. Elle utilise pour cela la rhétorique classique de l’extrême-droite française en déclarant :

"Quand on est candidat à la présidentielle (...) il faut avoir un lien charnel avec notre pays, avec notre peuple. Je trouve profondément indécent que quelqu'un qui est devenu français à 20 ans, qui a la double nationalité, puisse poser sa candidature... Il faut supprimer la double nationalité"

 

Lors du discours de Grenoble en 2010, Nicolas Sarkozy prétendait créer un nouveau motif de déchéance pour les binationaux naturalisés condamnés pour meurtre ou tentative de meurtre sur des agents dépositaires de l’autorité publique. Son projet fut abandonné quelques mois plus tard. Mais deux propositions de loi allant dans le même sens, présentées par le très droitier Philippe Meunier, député du Rhône et acolyte de Wauquiez  (LR) ont été débattues à l’Assemblée, fin avril 2014 et en avril 2015. Il s'agissait alors de priver de la nationalité tout binational participant «à des opérations armées contre les forces armées ou les forces de sécurité françaises». Des initiatives que la majorité socialiste balayait d’un revers de main, Patrick Mennucci ( député PS) n’y voyant qu’un moyen «d’envoyer des signaux au FN, de faire des clins d’œil au vieux chef et à ses deux héritières».

Hollande et le gouvernement mettent en cause le droit du sol.
En envisageant de promulguer  de telles mesures,  Hollande  et Valls attaquent aussi le cœur des positions de la gauche en matière de droit du sol, c'est à dire l'accession à la nationalité pour tout enfant qui naît en France.

 

La défense du droit du sol à donné lieu à de très importantes mobilisations durant toutes les années 1980-1990. La droite et le FN ont entamé la remise en cause du Code de nationalité dès les années 1980. La gauche et le mouvement antiraciste se sont mobilisés pendant plusieurs années, aboutissant à une manifestation nationale contre le projet de réforme du code de la nationalité qui a rassemblé plus de 50 000 personnes à Paris, le 15 mars 1987, sous le mot d'ordre "Faut pas décoder!"

 

Les théories du Front National avaient été installées dans la panoplie de la droite dans les années 1980, par l’intermédiaire du Club de l’Horloge.

 

Ce club, qui se positionnait comme une passerelle idéologique entre le FN et la droite, écrivait dès 1984 : « Aujourd'hui le code de la nationalité est une machine à fabriquer des "Français de papier", qui n'ont ni assimilé notre culture ni affirmé leur attachement à la patrie. Pour maintenir notre identité nationale, il est urgent de réformer cette législation. Le Club de l'Horloge, qui a lancé ce débat dans l'opinion, décrit ici la réforme qu'il faudra réaliser tôt ou tard… »

 

La mise en pratique de ces théories fut concrétisée par Chirac et Pasqua, en 1986, lors du retour de la droite aux affaires.

Elle fut symbolisée par la tentative de supprimer le traditionnel droit du sol et le droit à la nationalité française pour les enfants nés en France et issus de parents étrangers. "Être Français, ça se mérite" disait déjà Pasqua. Dans cette bataille du code de nationalité, le gouvernement Chirac-Pasqua, qui pensait remporter une victoire décisive, fut contraint de reculer fin 1986, en raison des grandes mobilisations étudiantes contre la loi Devaquet et les « facs-Tapie ». L’épisode tragique de la mort du jeune Malik Oussekine, battu à mort par la police le 6 décembre de cette même année, symbolisa la violence contenue dans les projets gouvernementaux .

« La carte nationale d'identité n'est pas la Carte Orange (carte de transport de la RATP) », écrivait Jean-Marie Le Pen, qui siégeait à l’’Assemblée Nationale entre 1986 et 1988, dans l'exposé des motifs de sa proposition de loi n° 82 « tendant à modifier le code de la nationalité française ».

En 1993, la droite reprit son offensive et imposa notamment une "déclaration de volonté" des jeunes nés de parents étrangers; l'absence de cette déclaration avant 18 ans supprimait leur accession automatique à la nationalité.

La remise en cause du code de nationalité constitue un marqueur historique de la convergence/concurrence de la droite avec le Front National. Elle est aussi au cœur de l’obsession de l’ « envahissement », distillée depuis des décennies.

 

C’est ce que suggérait déjà le contenu du discours de Sarkozy à Grenoble le 30 juillet 2010 sur les « déchéances de nationalité » et ce passage ; « … Il est quand même invraisemblable que des jeunes gens de la deuxième, voire de la troisième génération, se sentent moins Français que leurs parents ou leurs grands-parents … ».

 

L'UMP s'est ensuite  prononcée en novembre 2011, pour un retour à la loi Pasqua de 1993 sur l'acquisition de la nationalité. Le parti majoritaire entend aussi mener, lors de la campagne présidentielle, une "bagarre sans concession" contre le projet du PS d'accorder le droit de vote aux étrangers non communautaires pour les élections locales.

"La carte d'identité, elle n'est souvent que la carte bancaire, voire la carte Vitale pour certains", déclarait  le 10 Novembre 2011 le député Lionnel Luca (Droite populaire/UMP)

Ils voulaient ainsi remettre à nouveau en cause  en vertu du droit du sol, - et de la loi Guigou de 1998 réformant la loi Pasqua de 1993 - tout enfant né en France de parents étrangers en séjour régulier devient, sauf refus de sa part, automatiquement français à sa majorité s'il vit en France ou a vécu en France pendant cinq ans depuis ses 11 ans. Désormais, selon la droite il devrait, à 18 ans, "en faire la demande" écrite.

A l'époque l’UMP, sous la houlette de Copé et de la Droite Populaire, envisageait de  relancer la guerre du Code de nationalité et tenter de remettre en cause le "droit du sol", dont bénéficient chaque année 30 000 jeunes nés ici de parents étrangers.

 

La situation actuelle est marquée par la rupture  instaurée par l'entrée dans la durée de l'état d'urgence. Au delà des atteintes extrêmement graves que l'état d'urgence porte à des principes fondamentaux de la démocratie, comme le principe de la séparation des pouvoirs, le message idéologique envoyé par le recours à un texte inique issu de la guerre colonialiste est la marque honteuse d'un ralliement aux obsessions identitaires. La déchéance de nationalité entre également dans ce cadre là, renvoyant évidemment à la thématique des "racines", seules aptes à déterminer qui est "vraiment' français et qui ne l'est pas. 

 

Cette thématique là est au coeur des idéologies pré-fascistes et fascistes, au coeur aussi de la matrice antisémite française.

 

Faut-il rappeler que des hommes comme Léon Blum, né en France, ont été attaqués, calomniés, traînés dans la boue pendant toute leur vie publique, puis persécutés par Vichy, au nom de "la terre et des morts", comme disait Maurice Barrès. C'est ce dernier, antidreyfusard enragé, qui synthétisa une opposition fondamentale entre la conception universaliste de la République et celle de la Nation "charnelle", qu'allaient utiliser tous les racialistes, tous les antisémites français pour propager la plus dangereuse des haines.

Toute concession à ces forces réactionnaires, toute atteinte à l'égalité des citoyens représentent une appui à leurs idées et à la démagogie raciste qui constitue l'essentiel de leur fond de commmerce.

C'est pourquoi la déchéance de nationalité doit être immédiatement et définitivement retirée, et l'état d'urgence immédiatement aboli. Ce sont bien au contraire des mesures d'égalité et de lutte contre les discriminations qui doivent être mises en avant, telles que la défense du droit du sol ainsi que le droit de vote des étrangers qui figure dans les engagements de F. Hollande pour sa présidence.

 

MEMORIAL 98

Concernant l'état d'urgence, Memorial 98 est signataire de l'appel " Nous ne céderons pas" initié par la Ligue des droits de l'homme et repris par de nombreuses associations et organisations

MIses à jour 

Actualisation du 1er décembre 2016:

En annonçant qu'il ne se représentait pas, François Hollande a été contraint de reconnaître une "unique" faute concernant la déchéance de nationalité, qui a mobilisé contre elle un large front à gauche .
Cet aveu représente l'âpre vérité: il s'agissait en effet d'une mesure de division et de discrimination, issue de l'arsenal de la droite et de l'extrême-droite. 
Notons que les deux partenaires du pacte pro-déchéance passé entre  Hollande  et Sarkozy sont maintenant éliminés de la présidentielle. 
Il serait catastrophique que Manuel Valls, qui a porté ce pacte funeste et la mesure de déchéance, ainsi que d'autres projets du même acabit, apparaisse comme un des candidats de la gauche.
 
MEMORIAL 98
 

Actualisation du 14 janvier 2016 :  

Objectif 30 janvier contre la déchéance de nationalité, pour la levée immédiate de l'état d'urgence.

Alors que la discussion à l'Assemblée nationale sur la révision constitutionnelle débutera début février, le Collectif national, dont Memorial 98 fait partie, appelle à une journée de manifestations le samedi 30 janvier partout dans le pays et à Paris, à 14h30, place de la République.

La carte des manifestations unitaires est ici https://etatdurgence.fr/

 

Memorial 98 appelle à tout faire pour le succès de cette journée et à amplifier la diffusion de la pétition http://www.nousnecederonspas.org/petition .

 

" Communiqué de presse du collectif « Nous ne céderons pas ! »

Paris, le 14 janvier 2016

Nous manifesterons le 30 janvier 2016

Les associations et organisations syndicales regroupées autour de l’appel « Nous ne céderons pas ! » et ayant lancé la pétition « Pour nous, c’est définitivement non ! », contre la réforme constitutionnelle, appellent à manifester le samedi 30 janvier 2016 partout en France et à Paris, à 14h30, place de la République.

Elles expriment leur refus de la réforme constitutionnelle et leur exigence de la levée de l’état d’urgence."

 

Actualisation du 4 janvier 2016: face à la mobilisation croissante, le gouvernement sort une  invention diabolique. Il s'agirait maintenant  de généraliser la déchéance en cas de condamnation pour terrorisme, y compris pour ceux qui ne disposent pas d'une double nationalité. Or, on nous a expliqué à juste titre que cette mesure est interdite par les conventions internationales dont la France est signataire, car elle aboutit à créer des "apatrides" c'est à dire des personnes sans aucune nationalité. C'est une raison supplémentaire d'agir dès maintenant en signant et en faisant signer massivement la pétition nationale ci-dessous. La mesure inique de déchéance de nationalité doit être complètement retirée.

Actualisation du 29 décembre: Memorial 98 appelle a signer en ligne et à diffuser  la pétition lancée par le Collectif national " Nous ne céderons pas" initié par la Ligue des droits de l'homme.

L'adresse pour signer est http://www.nousnecederonspas.org/petition

Le texte de la pétition :

Pour nous, c’est définitivement non !

Non au projet de déchéance de la nationalité, non à une démocratie sous état d’urgence, non à une réforme constitutionnelle imposée sans débat, en exploitant l’effroi légitime suscité par les attentats.

Nous n’acceptons pas la gouvernance de la peur, celle qui n’offre aucune sécurité mais qui assurément permet de violer nos principes les plus essentiels.

Notre rejet est absolu. Nous appelons tous ceux et celles qui partagent une autre idée de la France à le manifester."

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28 novembre 2015 6 28 /11 /novembre /2015 21:25

« L’État Islamique est loin du viseur des bombardiers russes ». C’est le titre d’un article du journal Libération du 22 novembre, dans lequel Jean-Pierre Perrin[1] a relaté de quelle façon les missiles de V.Poutine ont pris le relais des barils d’explosifs largués par l’aviation de Bachar Al Assad. En témoignent les cartes et photos-satellites[2] montrant la position des impacts des tirs russes. Ceux-ci se sont concentrés sur les zones libérées, ces territoires qui se sont affranchis de la férule de la dictature et qui ont entrepris de créer une société civile dans la perspective d’une Syrie libre.

 

Les missiles russes visent des cibles dans le dessein de rendre ces territoires invivables et de faire échouer leur émancipation. C’est ainsi qu’ils ont fracassé un site "stratégique" dans le but manifeste d’affamer la population, à l’instar des bombes d’Assad : « La minoterie de Binin, une localité près d’Idlib, fournissait chaque jour quinze tonnes de farine et la boulangerie industrielle voisine 5500 sacs de pain. L’une et l’autre témoignaient que la vie, certes très difficile, était encore possible dans cette région contrôlée par la rébellion. Ce pain permettait aussi à des milliers de réfugiés du sud d’Alep et du nord de la grande ville de Hama de survivre et de ne pas prendre le chemin de l’exil. Mais le 12 novembre, à 17 h 20, les Sukhoï russes ont brusquement surgi et le bombardement a commencé. Les notables du conseil local ont compté dix raids, dont deux menés avec des bombes au phosphore. Dix personnes ont été tuées et la minoterie, édifiée grâce à des subventions de Paris et l’Union européenne, s’est écroulée sous les bombes, de même que la boulangerie industrielle »[3].

 

 

Le 25 novembre[4], après que V.Poutine ait démenti une nouvelle fois avoir ciblé les populations civiles des zones libérées, ses bombes larguées le matin-même ont encore pulvérisé une boulangerie. Celles du soir ont soufflé les bureaux d’une unité rebelle et les locaux d’une future université. À ceux qui persistent à tenir tête à son protégé, Bachar Al-Assad, Moscou a rappelé que cette audace se paie au prix fort.

 

L’offensive militaire de l’axe Assad-Poutine-Khameneï

Conçue en connivence avec le « guide suprême » iranien Ali Khameneï, cette offensive russe est secondée par les troupes terrestres des Forces Al-Qods des Gardiens de la Révolution islamique d’Iran, par celles du Hezbollah libanais également armées par l’Iran, et par des milices irakiennes également instrumentalisées. Ces dernières s’inscrivent avec l’Iran dans la perspective d’un camp dit « chiite » symétriquement opposable à la structure autoproclamée par Daech sous la forme de l’Etat Islamique. Chacun des deux camps justifie ainsi son existence et ses exactions  par celles de l’autre ; la religion sert ici de prétexte à des luttes pour le pouvoir et l’appropriation des ressources. C’est d’ailleurs contre cette confessionnalisation que des centaines de milliers d’Irakiens ont manifesté ( cet été durant plusieurs semaines au cris de « Le confessionnalisme est mort », « Ni chiite, ni sunnite, mais laïque » et « Au nom de la religion, ils nous volent » : ce sont des slogans qu’on a pu lire sur des pancartes ou entendre scander par la foule réunie sur la place Tahrir de Bagdad pour exprimer son mécontentement face à la politique du gouvernement de Haïdar al-Abadi[5].

 

Selon le journal libanais l’Orient-Le-Jour[6] qui évoque ces milices irakiennes inféodées au régime iranien, « on en compte seulement entre 7 ou 8 réellement organisées, parmi lesquelles les Brigades de la paix (Saraya as-salam), l'Organisation Badr, les Brigades du Hezbollah (irakien), la Ligue des vertueux (Aassaïb Ahl al-haq), ou encore les Brigades de l'imam Ali ("Kataeb al-imam Ali") ». Notons que la Brigade Badr se définit comme « branche armée du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak », et qu’elle est « aussi bien liée au gouvernement irakien qu'à la République islamique voisine, puisque considérée comme une section des Gardiens de la révolution (iraniens) ».

 

C’est la déroute les troupes de l’armée syrienne face aux rebelles dans la province d’Idlib qui a conduit l’Iran à majorer son dispositif déjà pléthorique d’aide au régime Al Assad. Malgré ces renforts, les territoires rebelles résistent, comme l’indiquait Le Monde[7] du 19 octobre : « Pour l’instant, deux semaines après son démarrage, cette offensive n’a enregistré aucun succès marquant. Les combats se déroulent sur deux fronts parallèles. Le premier, qui s’étend sur plus de 100 kilomètres, court du nord de Hama jusqu’aux contreforts montagneux de la province de Lattaquié, sur la côte, en passant par la plaine du Ghab et le sud d’Idlib. Les forces loyalistes, appuyées par les frappes de l’aviation russe, cherchent notamment à reprendre aux rebelles le contrôle de l’autoroute M5, qui relie Homs à Alep. Dans cette zone, les pro-Assad rencontrent une très forte résistance ».

 

Le but avoué de l’axe Assad-Poutine-Khameneï est de neutraliser l’opposition syrienne et d’enfermer le pays dans l’alternative Assad / Daech dont l’immense majorité des Syriens ne veut pas.

 

L’offensive médiatique et diplomatique des pro-Assad

Un front médiatique se déploie depuis plusieurs mois pour ringardiser la position officielle de la France "ni Daech, ni Assad" au profit du thème "entre deux maux, il faut choisir le moindre". Il a ainsi été explicité par le numéro 2 du FN  Florian Philippot[8] dans son propos de septembre 2014 « moi je préfère les méchants aux très méchants », ajoutant « Je suis désolé de parler comme ça. On va parler à la George Bush, on est obligé d’en être là car le niveau de l’analyse diplomatique française s’est lui aussi effondré mais aujourd’hui c’est ça » et déclarant prôner « le "pragmatisme" plutôt que "l'utopie" » au motif que selon lui, « il n'existe pas d'alternative démocratique réelle à Bachar el-Assad. Le Front national assure en effet qu'il n'y a pas d'opposition à Bachar el-Assad autre que des groupes islamistes ».

 

Côté médias, l’émission de France Inter « Secrets d’info » de Jacques Monin du 20 novembre 2015 s’est inscrite dans la même veine en présentant comme une « enquête » les propos d’anciens collaborateurs de nos services secrets. L’émission n’a fait aucune référence aux nombreuses preuves des crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par le régime, comme le Rapport César qui a révélé 11 000 morts sous la torture dans les seules prisons de Damas. Les "experts", journalistes ou barbouzes, rassemblés par cette émission ont prétendu que l’ALS (Armée Libre Syrienne) n’était plus aujourd’hui que « l’ombre d’elle-même » alors que la plupart des spécialistes et témoins travaillant sur la Syrie, l’évaluent aujourd’hui à environ 45 brigades pour un effectif de 60 000 combattants. Et ils en ont conclu que Assad était le seul interlocuteur.

 

Tout dernièrement,[9] François Fillon, ex-Premier ministre de Sarkozy et soutien affirmé de longue date de Poutine, a plaidé pour le choix d’une alliance avec Bachar Al Assad et ses alliés, incluant le Hezbollah libanais. Il a calomnié au passage l'opposition syrienne en l'accusant de ne pas lutter contre Daech. Or ce sont les bombardements de Poutine qui continuent à cibler l’opposition à Assad plutôt que Daech.

Mois après mois, cette offensive médiatique, sans scrupules sur la véracité des faits ni la réhabilitation d’un dictateur passible de la Cour Pénale Internationale, s’est amplifiée avec les visites intempestives à Damas de groupes de députés jouant les idiots utiles en se faisant photographier aux côtés de Bachar Al Assad.

 

Des tournées à Damas pour imposer une autre politique étrangère de la France

En février 2015, pour la première fois depuis que le régime Assad a été qualifié comme infréquentable en 2012  et comme le relate Le Monde[10], « une délégation parlementaire française s’est rendue en catimini dans la capitale syrienne. Elle y a rencontré le président Bachar Al-Assad, grand ordonnateur de la répression qui a fait des dizaines de milliers de morts depuis 2011 au grand dam du Quai d’Orsay, qui s’est nettement dissocié de cette initiative». Des élus français, au nombre de quatre, emmenés par Gérard Bapt, député PS de Haute-Garonne et président du groupe d’amitié France-Syrie à l’Assemblée nationale, ont rencontré le président Bachar Al Assad et se sont aussi entretenus avec le président du « Parlement » syrien Mohamed Jiham Laham ainsi qu’avec le mufti de la République, Ahmed Badreddin Hassoun, tous deux nommés par Assad et fidèles relais de sa propagande. « On a vu Bachar Al-Assad ce matin. Plus d’une heure. C’était très direct. Je vais faire passer les messages là où il faut, comme il le faut », a affirmé le député (UMP) Jacques Myard, membre de la délégation.

François Hollande a assuré ne pas avoir été prévenu de ce déplacement et a déploré une « rencontre entre des parlementaires français qui n’ont été mandatés que par eux-mêmes avec un dictateur qui est à l’origine d’une des plus graves guerres civiles de ces dernières années ».

 

En juillet 2015, c’est le député Jean-Frédéric Poisson[11], président du parti chrétien-démocrate fondé par Christine Boutin et affilié aux Républicains, qui s’est rendu à Damas pour déclarer « Une solution au conflit en Syrie doit passer par un dialogue avec Bachar al-Assad ». Il y est allé via le Liban avec Xavier Breton (LR) et Véronique Besse, élue d'un petit parti souverainiste, qui sont à la tête de groupes d'études sur le Vatican et sur les chrétiens d'Orient à l'Assemblée nationale. Parmi ses formules-choc : « Il n'appartient pas aux pays étrangers de décider qui doit diriger la Syrie, il appartient aux Syriens de décider », a-t-il martelé à l'issue d'une rencontre avec le même président du « Parlement » syrien. Au bout de 45 ans de dictature, voilà donc une trouvaille qui a étrangement échappé aux Syriens, la liberté de choisir leur destin ! Enfin, il a déclaré que l'intervention militaire russe en Syrie « permet de stabiliser pour le moment les choses et de faire reculer petit à petit le groupe État islamique ». On croirait lire un communiqué de l’agence syrienne officielle Sana.

 

Prenant goût aux voyages à Damas, le même Jean-Frédéric Poisson[12] a récidivé en rencontrant de nouveau le dictateur syrien le 27 octobre 2015, à nouveau sans le moindre mandat de l’exécutif français. Les lobbys pro-Assad ont aussitôt proféré des rumeurs disant que si ces parlementaires étaient partis de leur propre chef, ils avaient sans doute eu des contacts discrets avec le Quai d’Orsay.

 

Ces initiatives n’ont pas fait l’unanimité à droite et au centre. Ainsi a-t-on relevé les commentaires suivants dans le JDD[13] : « Le président du Modem, François Bayrou, désapprouve la visite des quatre parlementaires français à Bashar el-Assad en Syrie » en déclarant sur France Info : « C'est une démarche irréfléchie qui porte atteinte à toute la marche d'action qu'une diplomatie solide peut avoir ». Le JDD précise que sur son blog, l'ancien ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé refuse également toute alliance avec Assad : « Certains considèrent qu’il ne faut pas mélanger morale et géo-stratégie. C’est un point de vue. Ce n’est pas le mien », ajoutant : « C'est Assad qui a fait le lit de Daech ».

 

Assad et Poutine font aussi illusion à gauche

Le mirage du recours à la dictature pour contrer l’État Islamique n’est pas l’apanage de la droite dure. On l’entend aussi de la part de personnalités de la gauche. Ainsi le Figaro[14] a titré en septembre 2015 : « Védrine veut s'allier à Assad contre Daech, comme "il a fallu s'allier avec Staline" ». C’est la traduction des propos de l'ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine plaidant « pour un rétablissement des rapports avec Moscou, et donc d'un dialogue avec le régime de Bachar el-Assad en vue de contenir l'État islamique ».

 

De même, en mars 2015, Jean-Luc Mélenchon, fondateur du Parti de gauche, a estimé[15] « qu'il fallait renouer le dialogue avec le chef de l'Etat syrien Bachar el-Assad, alors que Paris a rompu ses relations diplomatiques avec Damas en mars 2012. Comme BFMTV et RMC lui demandaient s'il fallait parler avec lui, l'eurodéputé s'est exclamé : « Évidemment ! Avec qui voulez-vous parler ? », ajoutant : « La France et quelques pays ont retiré leurs représentations diplomatiques de Syrie, à quoi ça avance ? Qu'est-ce qu'on a fait bouger grâce à ça ? » et précisant : « On discute avec les gens qui sont en guerre, sinon ce n'est pas la peine d'essayer de faire la paix », et concédant que certes on a accusé le président syrien « de tout, et une partie était plus que vraie ». De même encore, selon L’Humanité[16] : « le ministère français des Affaires étrangères peut bien continuer à asséner que "la position de la France est constante, nous ne discutons pas avec Assad", il n’en reste pas moins qu’hier quatre parlementaires français en "mission personnelle" en Syrie ont rencontré à Damas le président syrien ».

 

Ses propos ont provoqué des remous au sein même du Front de Gauche ; ainsi une des autres composantes, le mouvement « Ensemble » se démarque de ces ralliements décomplexés ou résignés à une solution passant par la case dictature. Ensemble écrit : « Le régime syrien est-il, comme veulent le croire certains, l'ennemi de Daech ? (…) Le prétendre, c'est ne pas voir que les premiers djihadistes ont été libérés par lui de ses prisons, pour faire d'eux l'épouvantail justifiant un nécessaire soutien à son régime…Comment ne pas s'interroger sur une évidente coordination entre le régime et Daech ? ».

 

Conférence de Vienne[17] et pourparlers sous l’égide de l’ONU

Les réunions successives ont buté sur une divergence majeure concernant la présence ou non de Bachar Al Assad dans les scénarios projetés[18]. Les communiqués de novembre 2015 n’ont pas enregistré d’avancée significative par rapport au précédent qui avait mis le cap sur « l’instauration d’un cessez-le-feu dans toute la Syrie, la relance de négociations sous l’égide des Nations unies entre le gouvernement et l’opposition et  la tenue de nouvelles élections ». La problématique d’un solide contrôle international et d’un scrutin étendu à tous les Syriens, qu’ils soient dans le pays ou à l’extérieur (réfugiés notamment), a constitué une autre pierre d’achoppement.

 

Certes, le 25 novembre, le porte-parole de Ban Ki Moon, secrétaire général de l’ONU,  a dit avoir finalement obtenu que des représentants du gouvernement syrien et de l'opposition se réunissent à Genève le 22 janvier pour tenter de trouver une solution politique à ce conflit après trente-deux mois de conflit, avec les attendus suivants : « Le secrétaire général des Nations unies réunira la conférence de Genève sur la Syrie le mercredi 22 janvier, amenant à la table des négociations à la fois le gouvernement syrien et l'opposition pour la première fois depuis le début du conflit ».

 

Le Monde précise que la Coalition nationale syrienne (CNS), représentant notamment l’opposition laïque,  envisage d’y participer sous réserve de prérequis. D’une part, elle indique : « Il faut que le régime laisse rentrer de l'aide humanitaire dans les quartiers qu'il assiège et qu'il libère des femmes et des enfants ». D’autre part, elle précise dans un communiqué mardi 22 novembre que Bachar Al-Assad et « tous les criminels responsables du meurtre du peuple syrien dans l'instance de pouvoir » ne devaient jouer aucun rôle dans la phase transitoire et dans « l'avenir politique de la Syrie ».

 

L’aventure d’une coalition étendue anti-Daech avec Assad et la Russie

Après les attentats du 13 novembre, l’opinion française est sommée de se rallier au projet d’une coalition de pays pour une campagne de frappes aériennes contre Daech. La Russie se fait prier et veut bien envisager une superstructure dès lors qu’elle ne remet pas en cause ses arrangements avec Bachar Al Assad. On se dirige alors vers la situation d’un ciel syrien sillonné par des dizaines d’aéronefs tant syriens, russes, européens, qu’américains, et d’un sol syrien fracassé par des centaines de missiles  au motif de neutraliser Daech. Certes, il est utile de pouvoir cibler ses dépôts de munitions et ses caravanes de camion-citerne charriant le pétrole vendu en contrebande. Mais le vaste périmètre de l’État autoproclamé n’est pas peuplé que de "Jihadistes". Maints habitants de ces territoires n’ont pas pu fuir et sont exposés à la foudre des pays de la coalition venue du ciel.

Cependant, sous les coups de boutoirs des différents ténors plaidant pour une grande coalition incluant la Russie et l’Iran, on est sommé d’en approuver le projet au nom des actuels périls.

 

Ainsi, Laurent Fabius a préconisé le 27 novembre, outre les bombardements, « des forces au sol qui ne peuvent pas être les nôtres, mais qui peuvent être à la fois des forces de l’Armée syrienne libre, des forces arabes sunnites, et pourquoi pas des forces du régime, et des Kurdes également bien sûr », ce qui lui a valu[19] un satisfecit du chef de la diplomatie syrienne, Walid Mouallem. Le soir-même, il a nuancé son message en déclarant qu’une participation des forces du régime syrien ne pouvait être envisagée que « dans le cadre de la transition politique », et que le président Al-Assad ne pouvait pas « faire partie de l’avenir de la Syrie ».

 

Éradiquer Daech et mettre enfin le cap vers une Syrie libre

Comme l’explique le Pr Jean-Pierre Filiu interrogé par Le Monde[20] le 18 Novembre à propos de l’ascension de Daech : « … Pour ne parler que de la période la plus récente, trois décisions ou non-décisions internationales se sont traduites par une envolée du nombre des recrues de Daech. Il y a d’abord, en août 2013, le refus d’Obama d’intervenir après l’utilisation des armes chimiques par le régime de Bachar Al-Assad. Daech met alors des photos des enfants gazés sur tous ses sites en disant : « Voilà le monde et voilà ce qu’on fait aux musulmans dans le monde. Si vous êtes une bonne musulmane, un bon musulman… ». C’est la première fois que Daech recrute sur une base “humanitaire”.

 

Deuxième temps, août 2014, quand la coalition se contente de bombardements aériens : une situation idéale pour Daech. L’organisation compense très largement les pertes infligées par un recrutement accru.

Troisième temps, dont nous venons de payer le prix dans les rues de Paris, c’est l’entrée en jeu de Poutine et d’une forme renouvelée de la guerre sainte, avec sur le terrain des supplétifs iraniens et chiites. Il faut savoir que les avions militaires russes sont bénis par l’Église orthodoxe avant leurs missions ».

 

Lorsque Jean-Pierre Filiu annonce[21] dans Le Point que « le totalitarisme de Daech finira par céder », il se base sur l’analyse suivante : « je replace les évolutions en cours dans les tendances de longue durée. L'émergence de Daech est directement liée à la dynamique contre-révolutionnaire de régimes prêts à tout, en Syrie, au Yémen ou en Égypte, pour refuser la moindre concession. Or ce processus contre-révolutionnaire aboutit partout à une effroyable impasse en termes humains et financiers, aggravée par la chute spectaculaire des cours du pétrole. Le modèle contre-révolutionnaire n'est pas tenable et Daech entrera en crise avec lui. Comme tous les groupes totalitaires avant lui, Daech aura en outre à gérer le choc de la réalité (…). Ce sont les peuples arabes, et eux seuls, qui pourront défaire Daech. Il est grand temps de le comprendre dans les capitales occidentales et d'apporter le soutien indispensable à ces forces populaires, plutôt qu'à des dictatures condamnées à court ou moyen terme ».

 

De même, lorsqu’il pronostique dans Le Monde : « Contre Daech, le temps est désormais compté », il s’explique ainsi : « On peut gagner cette guerre. Daech, c’est 30 000 combattants, 5 000 Européens, et une idéologie qui peut se démonter en un recto verso. Simplement, il faut s’en donner les moyens. Il faut commencer par faire mentir les prophéties et donc leur infliger au plus vite une défaite carabinée. Sans s’allier pour autant avec les Russes – ni avec Bachar Al-Assad, qui n’apporte rien à la guerre contre Daech. On peut reprendre assez vite les territoires tenus en Syrie par Daech. Et il faut plus que jamais aider et soutenir les “révolutionnaires syriens” qui combattent à la fois Daech et l’armée de Bachar Al-Assad. Ce sont les seuls à pouvoir l’emporter sur le terrain. Envoyer des troupes occidentales serait tomber dans l’énorme piège que nous tend Daech ». Après dit-il, « il faut évidemment donner la parole aux victimes musulmanes, qui sont l’écrasante majorité, et aux dissidents de l’organisation qui ne peuvent renouer avec la vie qu’en dénonçant ce qu’ils ont vu. Et là, à mon avis, sur le plan militaire et sur le plan de la communication, on peut reprendre l’initiative assez vite, mais le temps est compté, parce que, pour l’instant, ce sont eux qui décident du calendrier, qui fixent les priorités et on voit bien qu’ils nous ont porté un coup terrible ».

 

L’urgence est en effet à ne pas échafauder de "solution" à l’insu des Syriens, mais au contraire à redonner l’initiative à ceux d’entre eux qui au Printemps 2011ont tracé des voies d’avenir.

 

Gérard Lauton pour Memorial 98

 

Articles précédents de Gérard Lauton pour Memorial 98:

 

http://www.memorial98.org/2015/10/poutine-et-assad-une-alliance-pour-massacrer-les-syriens.html

 

http://www.memorial98.org/2015/09/pour-les-refugies-syriens-et-pour-une-syrie-libre.html

 

http://www.memorial98.org/article-syrie-un-an-de-combat-et-de-debat-101451973.html

 

www.memorial98.org/article-syrie-quand-lhumanite-s-inquiete-pour-bachar-al-assad-124688465.html

 

Voir aussi, depuis le début de la mobilisation du peuple syrien en mars 2011, les nombreux articles de Memorial 98 concernant la  Syrie ici et sur le blog d'actualités "L'Info Antiraciste", dont :

 

www.memorial98.org/2015/03/noussommessyriens-4-annees-de-lutte-contre-les-tyrannies-de-bachar-al-assad-et-de-daech.html

 

 

info-antiraciste.blogspot.fr/2015/08/syrie-refugies-crimes-de-guerre-quand.html

 

 

 

 

[3] Idem.

[9] Billet du 25 novembre d’Albert Herszkowicz sur sa page Facebook.

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25 novembre 2015 3 25 /11 /novembre /2015 17:52

Ci-dessus Dieudonné avec le négationniste Faurisson et le fasciste Frédéric Chatillon, proche de Marine Le Pen

 

C'est un véritable tournant judiciaire qui vient d'avoir lieu devant le tribunal correctionnel de Liège ce 25 novembre. Dieudonné a été reconnu coupable d’incitation à la haine ou à la violence à l’encontre des personnes handicapées, des homosexuels et de la communauté juive, de diffusion d’idées visant à attiser la haine ou prônant la supériorité raciale et de négationnisme. Il a écopé d’une peine de 2 mois de prison ferme et de 9000 euros d’amende. C'est la première fois que Dieudonné est condamné à une peine de prison sans sursis. Ce jugement fait suite à une plainte déposée par différentes associations après un "spectacle" à Herstal le 14 mars 2012

 

Mais ce sont surtout les attendus du jugement qui sont importants et qui marquent enfin, pour la première fois, la caractérisation judiciaire de Dieudonné dans le champ du "national-socialisme", c'est à dire du nazisme. En clair Dieudonné est un néo-nazi. Nous nous félicitons de cette décision qui intègre le jugement très récent de la cour européenne de justice à propos du même Dieudonné.

 

Pour notre part cela fait plusieurs années que nous caractérisons ainsi celui qui n'a cessé de radicaliser son propos depuis ses premières diatribes antisémites et de reprendre diverses horreurs en effet tirées de l'univers nazi, concernant les handicapés.

Cela fait aussi plusieurs années que nous bataillons contre l’indulgence et la complaisance dont bénéficie l'agitateur antisémite de la Main d'Or ainsi que contre la réticence à le désigner comme un néo-nazi.

 

Le juge Kuty du tribunal de Liège a détaillé chaque élément du jugement, expliquant à quel point les propos émis par Dieudonné à Herstal forment les éléments constitutifs des infractions pour lesquels il était poursuivi. Ce jugement sera publié in-extenso dans la presse, aux frais de Dieudonné.

Ainsi, le tribunal se dit « frappé par le fait que le prévenu fasse siennes diverses thèses national socialistes ». Dieudonné a ainsi évoqué la trisomie 21 en parlant d’un pseudo ami qui en serait atteint : « normalement on ne les laisse pas vivre mais lui, il est passé sur le côté », déclarait-il dans son show. Il estime donc que les personnes handicapées sont « indignes de vivre », conclut le tribunal, qui rappelle que le premier programme de meurtre du national socialisme était la suppression des handicapés mentaux.

Au sujet des homosexuels, Dieudonné, résume le tribunal, « tend à les présenter comme des personnes lubriques, dégénérées, n’ayant aucune pudeur ». Il tente aussi de dresser les personnes musulmanes contre les homosexuels, résume le tribunal, en expliquant que les musulmans qui doivent prier dehors parce que la mosquée est pleine sont réprimandés tandis que les pseudo « actes lubriques » des homosexuels en rue, en référence notamment à la gay pride, sont cautionnés. « Les homosexuels étaient envoyés dans les camps de concentration par le régime hitlérien », rappelle le jugement.

Enfin, en « utilisant un catalogue d’insultes et injures », le Français parle de la communauté juive, qualifiant notamment le Talmud de « merde », évoquant un « terrier à rats d’Israël », fustigeant l’attitude de diverses personnes d’origine juive « en utilisant une phraséologie évoquant sans ambiguïté de vieilles rengaines national- socialistes ».

Entendu au sujet des faits par le biais d’une commission rogatoire internationale, Dieudonné M’Bala M’Bala avait invoqué le "droit à l’humour". Il était absent à l’occasion de son procès, mais le juge lui a tout de même répondu que la Cour européenne de justice avait eu l’occasion, tout récemment le 10 novembre, de rappeler au prévenu que « la justification d’une politique pro-nazie ne peut bénéficier de la protection de l’article 10 de la convention européenne des droits de l'Homme » et que « une prise de position haineuse et antisémite caractérisée, travestie sous l’apparence d’une production artistique, est aussi dangereuse qu’une attaque frontale et abrupte ».

 

Un cap est maintenant franchi. Il faudra en tirer toutes les conséquences, car comme nous l'écrivions à propos de son acolyte Soral, tout aussi néo-nazi: "...L’année prochaine à la Main d’Or, donc, ou celle d’après, peu importe. Les vents mauvais finissent toujours par tourner, le compte des injures racistes sera un jour collectivement soldé..."

 

Il faut notamment se pencher sur l'influence, dans la dérive terroriste de certains, de la propagande complotiste, raciste, antisémite, néo-nazie, distillée depuis des années par Dieudonné et Soral.

8 juillet 2019: Dieudonné provoque à nouveau en Belgique

Dieudonné s'est produit en Belgique dimanche 7 juillet sur un terrain  de Morlanwelz (Hainaut), deux jours après avoir été condamné à deux ans de prison ferme par le tribunal correctionnel de Paris ( voir à ce sujet ici notre dossier sur notre site d'actualités) . Une autre représentation est annoncée à Liège le 14 juillet.

Or Dieudonné ne peut en principe plus se produire dans des salles de spectacle en Belgique depuis sa condamnation pour propos racistes par la cour d'appel de Liège en 2017 (voir ci-dessous)

La police s'est tout de même rendue discrètement sur les lieux de sa première prestation et a constaté une série d'infractions 

Selon les autorités communales, le propriétaire ayant autorisé l'organisation du spectacle de Dieudonné sur son terrain sera poursuivi car il n'a pas demandé les autorisations nécessaires auprès de la commune et de la police.

Les agents, en tenue civile, ont réalisé des enregistrements vidéo d'une partie du spectacle. Ils déplorent toutefois que les autorités françaises n'aient pas délivré de mandat d'arrêt international à l'encontre de Dieudonné, ce qui aurait permis son arrestation immédiate. Dieudonné est ainsi protégé de fait , comme son compère en néo-nazisme Soral condamné à un an de prison ferme et toujours en liberté, grâce au procureur de Paris. 

Ce n'est pas acceptable et ne doit pas être toléré, ni par la justice, ni par les antiracistes de Belgique .

7 juin 2017: 

Grande et excellente nouvelle: la Cour de Cassation de Belgique confirme le verdict du Tribunal de Liège et de la Cour d'appel. La condamnation est donc définitive.

Et une bonne nouvelle ne vient jamais seule: le négationniste français Robert Faurisson, inspirateur de Dieudonné et vedette particulière de ses "spectacles", vient d'être débouté d'une plainte pour diffamation, avec des attendus importants qui ouvrent de nouvelles perspectives dans le combat contre les négationnistes. 

 


Deux mois de prison ferme et 9 000 euros d’amende. La Cour de cassation belge a validé, mercredi 7 juin 2017, la condamnation de Dieudonné pour incitation à la haine et tenue de propos antisémites en 2012. 

Dieudonné avait saisi la plus haute juridiction belge après sa condamnation prononcée en janvier par la cour d’appel de Liège (voir ci-dessous). Mais la Cour de cassation a rejeté la « majeure partie » de ce pourvoi, ne cassant l’arrêt de la cour d’appel que sur un point portant sur la contribution de Dieudonné à un fonds d’aide aux victimes, a précisé l’agence de presse belge.

L’affaire ne sera dès lors pas renvoyée devant une autre cour et la condamnation à deux mois de prison ferme et à une amende de 9 000 euros prononcée en janvier reste donc « exécutoire », selon la même source.

Des propos tenus en 2012

 

Dieudonné était poursuivi pour des propos tenus lors d’un spectacle en mars 2012 à Herstal, dans la région de Liège, devant un millier de spectateurs, et qui avait été enregistré par la police. La condamnation en première instance avait été prononcée en novembre 2015 par le tribunal correctionnel de Liège, en l’absence du polémiste, qui avait fait appel.

A l’issue de son enquête sur les propos de l'antisémite français, la justice avait retenu plusieurs préventions, qui ont été retenues par la cour d’appel de Liège: incitation à la haine, tenue de propos antisémites et discriminatoires, diffusion d’idées à caractère raciste, « négationnisme » et « révisionnisme ».

 

C'est une décision particulièrement importante et positive car  le tribunal  de Liège avait  analysé en détail la continuité nazie de la propagande de Dieudonné. 

 

De son côté, le tribunal de grande instance de Paris a jugé, mardi 6 juin, qu’écrire que  Faurisson est « un menteur professionnel », un « falsificateur » et « un faussaire de l’histoire » est conforme à la vérité. Il a en conséquence relaxé la journaliste du Monde Ariane Chemin qui était poursuivie pour diffamation. L’homme, aujourd’hui âgé de 88 ans, attaquait cette dernière, pour la réédition, en septembre 2014, , d’un article publié le 21 août 2012.

Jusqu’ici, Robert Faurisson perdait ses procès en diffamation uniquement au bénéfice de la « bonne foi » de l’auteur des propos diffamatoires. Même Robert Badinter n’a été relaxé le 21 mai 2007 qu’au titre de cette condition prévue par loi de 1881 sur la presse. Il avait utilisé les termes de « faussaire de l’histoire » sur Arte, en 2006.

« Ce jour est à marquer d’une pierre blanche », affirme Catherine Cohen, l’avocate de Mme Chemin. La présidente de la 17e chambre correctionnelle de Paris, Fabienne Siredey-Garnier, signe un jugement extrêmement détaillé pour constater que « l’offre de preuve de la vérité des faits diffamatoires » apportée par la journaliste est « parfaite, complète et corrélative aux imputations dans toute leur portée ». Ce qui produit un « effet absolutoire », alors que les propos sont reconnus diffamatoires. 

Invité par le parquet, lors de l’audience du 9 mai, à ne pas prononcer une énième relaxe au titre de la bonne foi, le tribunal s’est livré à un examen minutieux des nombreuses condamnations de M. Faurisson pour « contestation de crimes contre l’humanité », et des non moins nombreux jugements qui le déboutaient de ses actions en diffamation. « Toutes ces décisions n’ont de cesse que de stigmatiser, en des termes particulièrement clairs, les manquements et les abus caractérisant ses méthodes », peut-on lire dans le jugement. Et de rappeler « l’absence de caractère scientifique de ses travaux ».

Memorial 98 qui place au cœur de son combat la lutte contre les négationnismes, se réjouit de ces deux décisions judiciaires.

 

 

 

 


Mise à jour du 20 janvier 2017: confirmation de la condamnation et que la quenelle est bien un salut nazi.

La justice belge confirme en appel la condamnation de Dieudonné à 2 mois de prison ferme et 9000 euros d'amende pour incitation à la haine et propos antisémites. Nous nous en félicitons. Dieudonné devra également publier la décision du tribunal (soit 20 pages très argumentées; voir ci-dessous) à ses frais dans les deux grands quotidiens francophones belges Le Soir et La Libre Belgique. C'est une décision particulièrement importante et positive car  le tribunal a analysé la continuité nazie du condamné

Il semble que Dieudonné ne devrait toutefois pas avoir à aller en prison. « En Belgique, on n’éxecute jamais les peines de deux mois de prison ferme », a expliqué MEric Lemmens, représentant des organisations juives de Belgique


 

En même temps Dieudonné vient de renoncer à faire appel de la décision de justice française concernant la caractérisation de la quenelle comme un salut nazi . En décembre 2013, le président de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra), avait réagi  à la publication de photos de militaires français faisant une « quenelle », selon lui un « salut nazi inversé signifiant la sodomisation des victimes de la Shoah ».

 

 

Mise à jour du 22 juin 2016:

 

Dieudonné et ses acolytes ont été condamnés récemment en appel à propos de la "quenelle" néo-nazie et de la solidarité manifestée à l'égard du tueur antisémite de l'Hyper-Cacher, Coulibaly. Mais ces condamnations se limitent à des peines avec sursis et à des amendes, loin de la décision du tribunal de Liège (ci-dessous). 

 

Mise à jour du 9 mai 2016:

La volonté de profanation antisémite et négationniste se poursuit chez les adeptes de Dieudonné. Le 5 mai dernier, journée internationale de commémoration de la Shoah, trois hommes ont été arrêtés à Lyon alors qu’ils se prenaient en photo en train de faire une “quenelle” devant les tentes dressées pour la commémoration place des Terreaux. Ils suivaient ainsi l'exemple de Soral, acolyte de Dieudonné, qui est allé faire une "quenelle" au Mémorial de la Shoah à Berlin

Memorial 98

 

 

 

 

 

 

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14 novembre 2015 6 14 /11 /novembre /2015 17:05

« Les conditions de la guerre permettent seulement de voir la face sombre de ce qu'il se passe. Mais il y a une face lumineuse et incroyable à tout cela. Ce sont les gens, les femmes et les hommes qui agissent en silence sur le terrain pour réaliser leurs rêves de liberté et de justice, améliorer le quotidien pour que rien - pas même nos plus de 100 000 morts ( NDLR: depuis le nombre de morts dépasse les 250 000) ou le difficile siège ou la trahison de la communauté internationale - ne puisse jamais annihiler la volonté du peuple qui a un rêve et une foi en l'avenir. J'exprime mon grand respect à toutes ces courageuses personnes. Continuons à travailler ensemble pour rendre leur vie plus supportable et rendre leur rêve plus accessible. Merci à tous de me donner l'opportunité de faire entendre mon message. »

 

Ces mots sont ceux du dernier message de Razan Zaitouneh, combattante syrienne des droits humains et de la démocratie, opposante à la dictature, enlevée par un groupe armé en 2013, alors qu'elle avait décidé ne pas quitter le pays, malgré la traque des bourreaux du régime et celle des groupes terroristes qui lui avaient publiquement donné le choix entre l'exil ou la mort.

 

Ces mots, universels d'espoir, d'amour et de résistance, nous les reprenons et les dédions à toutes les victimes de la terreur sanglante qui a frappé hier et à leurs proches.

 

Et aussi à toutes celles et ceux qui ont peur et qui ont mal. Et à toutes celles et ceux qui, malgré la peur et la douleur, gardent haut le flambeau de la liberté, de l'égalité, de la fraternité, à celles et ceux qui ne renonceront à aucun de leurs combats pour les droits humains.

 

Nous savons ce que veulent les terroristes, pas seulement nous tuer physiquement, mais aussi et surtout tuer en nous, les valeurs du progressisme et de la raison, faire de nous, par la terreur, des doubles pétris de haine qui fassent écho à leur propre haine et renforcent sa puissance.

 

Antiracistes, nous savons bien qu'ils ont ici des alliés précieux parmi les charognards racistes, antisémites, négationnistes, de toutes obédiences, de toutes confessions, qui n'ont pas attendu la fin d'une nuit d'horreur pour répandre encore plus de ténèbres, qu'il s'agisse de diffuser les rumeurs conspirationnistes ou l'appel à la violence islamophobe.

 

Les révoltéEs syriennEs, pris sous les feux de toutes les barbaries, décimés par la dictature et par Daech nous apprennent pourtant chaque jour que nous n'avons pas à choisir entre la peste et le choléra, mais que le chemin de la liberté et de la fraternité humaine, aussi étroit soit-il, est toujours possible.

 

Que les antiracistes persévèrent, sereinement, car aujourd'hui, plus que jamais, nos voix comptent face aux diatribes de haines qui défigurent le monde et l'ensanglantent.

 

Paris le 14 novembre 2015

 

MEMORIAL 98

 

 

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21 octobre 2015 3 21 /10 /octobre /2015 14:22

Parmi les persécutions du 6 et 7 novembre 1938, celles des SS de Baden Baden qui contraignent des Juifs à défiler sous les huées antisémites jusqu'à la synagogue où on les contraints à chanter des chants SS, avant de les tabasser puis d'organiser leur déportation à Dachau. Photo YadvashemLe 9 novembre, Memorial 98, avec ses partenaires du Collectif VAN (Vigilance Arménienne contre le négationnisme) et de l'association Ibuka-France (Justice et soutien aux rescapés du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda)  vous invite à commémorer la « Nuit de Cristal », pogrom d'Etat commis par les nazis le 9 novembre 1938 contre les Juifs d’Allemagne et d’Autriche. Pour la 2e année consécutive, nous nous rassemblerons à Paris devant le gymnase Japy, lieu symbolique dans lequel furent parqués en 1942, les Juifs raflés par la police française au service des nazis.

 

Dans la montée du nazisme et du fascisme en Europe, la Nuit de Cristal représente un jalon important:  les nazis au pouvoir depuis 1933 franchissent une nouvelle étape dans la violence, celle de massacres antisémites commis au vu et au su de toute l'Europe. Les images des synagogues incendiées, des enfants, des femmes et des hommes assassinés, arrêtés en masse, frappés et humiliés en public ne pouvaient être ignorées, et pourtant en France elles ne changèrent pas la situation: ni à la politique de refoulement des Juifs qui tentaient de fuir l'Allemagne, ni à la politique de laissez faire face à Hitler.

 

Quelques mois plus tôt, en juillet 1938, s’était tenue la conférence internationale sur les réfugiés d'Évian de juillet 1938, dont le but affiché était de de trouver des lieux d'asile notamment pour les réfugiés juifs et qui se termina par un échec. Le gouvernement français y avait exposé sa position: la France n’accueillerait plus de réfugiés. Deux mois plus tard, lors des accords de Munich le 30 septembre de la même année, le gouvernement français cède aux exigences nazies. Une partie de la Tchécoslovaquie (la région des Sudètes) est annexée au Reich nazi, la paix est « sauvée ».

 

La France tourne ainsi ouvertement le dos à ses principes de pays de droits de l'homme, car le gouvernement recherche à tout prix l'apaisement avec son voisin allemand, notamment à travers  des négociations secrètes menées par Georges Bonnet, ministre des affaires étrangères, depuis le 10 avril 1938. Bonnet ne veut pas que les évènements de la Nuit de Cristal compromettent sa politique. Il choisit d'ignorer le rapport de George Von, ambassadeur de France à Berlin, qui lui écrit ainsi au lendemain des évènements : "Le traitement infligé aux Juifs en Allemagne que les nazis tentent d'extirper complètement comme des bêtes malveillantes, éclaire la grande distance qui sépare la conception hitlérienne du monde du patrimoine spirituel des nations démocratiques". Bonnet sera ensuite pétainiste, membre du Conseil national de Vichy.


La France est ainsi la seule grande démocratie à ne pas avoir dénoncé officiellement les massacres perpétrés dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938.


De plus, le 12 novembre 1938, deux jours seulement après la Nuit de Cristal, une loi autorisait en France l'internement des "indésirables" dans des camps de concentration dont ceux des Milles et de Rivesaltes. Les réfugiés juifs allemands et autrichiens entrés non légalement en France étaient désormais directement menacés et seront internés puis plus tard livrés aux nazis.

 

Soixante-dix ans après la défaite du nazisme, rappeler que l'Europe est de nouveau en proie à « ses vieux démons » peut apparaître comme un cliché mais rend compte d’une réalité.

 

Ainsi, l'antisémitisme, que d'aucuns disaient « disparu » est bien là: les victimes de l'attentat de l'Hyper cacher de Vincennes ont été tuées par un assassin qui avait choisi un lieu d'attentat uniquement parce qu'il était fréquenté par des personnes juives. D'aucuns ont choisi de lier sa haine à la religion qu'il revendiquait, mais c'est bien dans le pays de Jean-Marie le Pen, Dieudonné Soral, et que le jeune tueur avait grandi, bercé par une haine diffusée par des médias fascistes extrêmement puissants. En témoigne l'adhésion très large aux théories du « complot juif » qui ont essaimé dès le lendemain des attentats de janvier et qui influencent toutes les couches de la population française.

 

Dans la bonne ville de Versailles, fortement marquée par l’extrême-droite et l’intégrisme catholique, l’œuvre d'art d'Anish Kapoor est dégradée à plusieurs reprises avec des inscriptions contre les « Juifs déviants » .

 

La violence pogromiste touche toutes les minorités: l'année 2015 aura aussi été marquée en France par les incendies contre les mosquées, les attaques menées contre les personnes musulmanes dans la rue où à leur domicile, le tout dans une atmosphère de surenchère islamophobe, à laquelle participent des voix venues de tout le champ politique. À Calais, des commandos agressent les migrants et les tabassent. Les Roms qui ont été victimes des génocidaires nazis sont particulièrement visés : dans toute la France, les bidonvilles où survivent les Roms, victimes du racisme d'Etat, sont ciblées aussi bien par des attaques individuelles que par des rassemblements de foules haineuses, très souvent entraînées par des élus d'extrême-droite et aussi de droite.

 

La cacophonie raciste et antisémite ne semble avoir aucune limite : les déclarations racistes des responsables politiques se multiplient si vite que leur dénonciation finit par paraître vaine. Apologie de la « race blanche », dénonciation de l’« invasion » des gens du voyage, éloge du fichage des enfants musulmans, chaque semaine apporte son lot d'excréments verbaux sortis des poubelles de l'Histoire.

 

Face à cette marée, un grand espoir s'est levé, dans cette Europe où presque partout l'extrême-droite parlementaire explose les compteurs électoraux, où les mouvements néo-nazis sont devenus une réalité quotidienne et de plus en plus représentée dans les exécutifs nationaux ou locaux.

 

Car l'année 2015 aura aussi été celle du mouvement de solidarité avec les migrants : partout en Europe, de Vienne à Londres, de Copenhague à Budapest, mais aussi dans de petites villes comme Sérent (Morbihan), des centaines de milliers de personnes ont défilé dans les rues pour exiger accueil et solidarité. Partout, des gens ordinaires ont décidé de s'engager au quotidien, multipliant les initiatives, du simple don à l'accompagnement administratif en passant par les défenses collectives contre la répression malheureusement quotidienne des migrants à toutes les frontières européennes.

 

Une autre Europe a brusquement émergé, une Europe qui rêve d'égalité, d'ouverture, de coexistence. Une autre opinion publique a donné de la voix par les actes, ensemble des gens de cultures, de religions, de sensibilités différentes, ont répondu ensemble au fascisme montant, et commencé à construire enfin, l'idée d'un autre monde possible.

 

Nous ne sommes pas dans les années 30, mais il n'est jamais trop tôt pour dire « Plus jamais ça » aux héritiers nombreux des pogromistes de ces années-là.

Dans nos combats d’aujourd’hui, il n’est jamais trop tard pour faire de nos mémoires une arme .

 

Il y a cent ans, les logiques racistes de l'Etat turc conduisaient au génocide des Arméniens: le négationnisme maintenu de l’Etat turc se trouve renforcé par une décision récente de la cour européenne des droits de l’homme (CEDH) autorisant ce négationnisme à s'exprimer en toute liberté. En France, la loi pénalisant le déni du génocide des Arméniens est renvoyée aux calendes grecques. Nous serons là pour dire la vérité historique, parce que sans reconnaissance de cette vérité, les dérives autoritaires et oppressives en Turquie continueront contre la minorité kurde et contre tous les progressistes.

Il y a vingt et un ans, des rhétoriques similaires à celles développées par les nazis étaient utilisées pour préparer et exécuter le génocide contre les Tutsi au Rwanda. La justice n’est toujours pas réalisée: un génocidaire présumé vient d'être relaxé sans procès par la justice française, l’inauguration d’un lieu de mémoire à Dijon a été annulé par le maire et ancien ministre, alors que des députés ont fait pression pour qu'un colloque sur ce génocide n'ait pas lieu à l'Assemblée Nationale. Nous serons aux côtés des Rwandais qui se battent pour que les génocidaires ne restent pas impunis et pour que la responsabilité de l'Etat français soit enfin reconnue. Parce que cette reconnaissance est nécessaire pour que soit combattues toutes les complicités et les complaisances de notre Etat avec des dictateurs ou des tortionnaires, à l'heure où des avions de guerre sont vendus à la junte militaire égyptienne et des bateaux militaires à l'Arabie Saoudite qui décapite ses opposants.

 

Il y a 77 ans, les gouvernements européens refusaient de regarder la réalité nazie en face et fermaient leur frontière à ceux qui fuyaient Hitler, et laissaient commencer le massacre des Juifs, qui allait finir en génocide. Aujourd'hui, les discours prétendûment "réalistes" qui ont  laissé Bachar Al Assad massacrer sa propre population vont désormais jusqu'à prôner une alliance avec le dictateur sanguinaire ou au mieux, à le considérer comme un "moindre mal" et un "facteur de stabilité". Au nom du même prétendu "réalisme", l'Union européenne regarde avec indifférence l'un de ses membres, la Hongrie, basculer dans la persécution ouverte contre les migrants; elle refuse toute sanction contre un gouvernement de droite extrême qui favorise des milices racistes antisémites.

 

Mais le réalisme, c'est de regarder l'Histoire en face: celle du 20ème siècle nous a montré que les pogroms, les massacres, voire les génocides dirigés contre une partie de la population dans une aire locale et considérés ailleurs avec indifférence aboutissent toujours à l'extension de la guerre et de la haine au niveau mondial.

 

Nous serons ces Européens qui n'oublient aucune victime de la violence fasciste du passé, parce que l'oubli est la meilleure arme des héritiers des bourreaux.

 

Retrouvons nous le 9 Novembre à 18 H devant le gymnase Japy (2 rue Japy 75011, métro Voltaire ou Charonne)

 

Memorial 98

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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