Nous publions la réaction d'une lectrice du blog.
MEMORIAL 98
Une partie de la classe politique a décidé, après l'horreur des crimes perpétrés dans une école juive de Toulouse, de suspendre la campagne présidentielle. La question se pose du lien entre les discours tenus durant cette campagne et les éventuelles dérives incontrôlées d'individus passant à l'acte.
En effet, pendant que d'aucuns, débattaient de l"abattage rituel" des animaux comestibles, un criminel imaginairement "justicier" fomentait d'éliminer méthodiquement des citoyens français dont l'appartenance nationale lui apparaissait contestable au regard des critères définis par certains discours au cours de cette même campagne électorale.
Il est effectivement plus que regrettable que les débats portant sur la viande hallal et cachère et sur les pratiques de citoyens aux coutumes et aux croyances non considérées comme spécifiquement "françaises", aient pris tant de place dans les propos de certains responsables politiques et dans les medias.
La stigmatisation de personnes dans leurs pratiques religieuses, culinaires ou vestimentaires, produit des effets désastreux dans les esprits d'individus prompts à des agissements pulsionnels. La responsabilité de l'ensemble des protagonistes de la campagne est si vivement ressentie et partagée, que cette dernière doit de fait être suspendue. N'est-ce pas l'aveu même
de la piètre qualité du débat sur les questions touchant aux différences culturelles?
À l'égard de ces questions, la campagne aura été indigne, en laissant entendre des propos de nature à ouvrir une brèche dangereuse.
Même s'il est souhaitable de suspendre la campagne de fait, par respect pour les victimes endeuillées par ce drame et les blessures de l'ensemble de la nation, il sera judicieux de se demander ce qui dans la formulation même de certaines déclarations, a pu, sans bien évidemment l'autoriser explicitement, encourager la planification froide, délibérée, d'actes criminels racistes et antisémites.
Comment ne pas remarquer que le poids même des mots est à l'oeuvre dans le mode opératoire du tueur? Le signifiant "abattage rituel", si largement employé et désigné comme un "problème national", semble repris dans un mécanisme meurtrier dans chacun des actes de mise à mort perpétré de sang-froid. Le meurtrier "abat" ses victimes dans un rituel orchestré, prémédité.
Il ne suffit donc pas de suspendre la campagne, dans le souci d'éviter les récupérations politiciennes de l'évènement traumatique ; il est nécessaire, au moment de la reprendre, de repenser en profondeur les mots, les images, les arguments et la nature des débats et des messages véhiculés.
Il est urgent que les responsables politiques dans leur ensemble retrouvent une vigilance éthique qui les incite à respecter l'ensemble des citoyens et de veiller, dans le langage, à la protection des personnes. Il ne suffit de placer des policiers en faction devant chaque école, chaque mosquée, chaque synagogue, lorsque des assassinats ont été commis. Il serait souhaitable de "policer" le langage de chacun, loin de la démagogie et de la recherche du consensus au prix de querelles interculturelles et conduisant au mépris de citoyens stigmatisés, marginalisés.
Les fondamentaux de la Loi républicaine résident dans une éthique audible, dans la qualité et la dignité des débats.
Léa Sand