Guilherme Hauka-Azanga n’a finalement pas été expulsé.
Grâce à son obstination, à la mobilisation qui l’a entouré et au refus de commandants de bord de « transporter » une personne sous contrainte, le pouvoir a, pour le moment ,reculé.
Depuis le 19 janvier 2010, cet Angolais habitant Lyon et demandeur d’asile a passé quatre jours avec sa compagne et leurs enfants et soixante-douze jours en rétention ou en prison. Il a subi deux arrestations à son domicile, trois tentatives d’embarquement et trois passages à tabac.
Malgré de nombreuses manifestations rassemblant localement des centaines de personnes, des milliers de signatures et de multiples démarches de personnalités et d’élus, le préfet du Rhône et le ministre Besson persistaient dans leur volonté de faire un exemple.
Pourtant, Guilherme Hauka-Azanga est venu demander l’asile à la France après avoir fui l’Angola et les massacres qui ont décimé une partie des siens. Sa seule famille est maintenant constituée de trois enfants réfugiés au Congo et la compagne avec laquelle il a refait sa vie à Lyon, les deux enfants de celle-ci et les deux enfants nés de cette union.
Nous publions ci-dessous le récit de son avocate.
MEMORIAL 98
Témoignage de Dominique Noguères, avocat, membre du Bureau national de la Ligue des Droits de l’Homme.
Je me suis occupée, ce jeudi 8 avril, de ce monsieur angolais que la préfecture du Rhône essaye d’expulser depuis longtemps déjà.
Le juge des libertés de Lyon avait prolongé sa rétention jusqu’au lendemain, vendredi 9, 11 heures du matin. La veille, il a été embarqué vers 19 heures à l’aéroport de Lyon Bron, dans un avion spécialement affrété par le ministère de l’Intérieur en direction du Bourget. L’aéroport de Bron était un camp retranché : des CRS bloquant tous les accès et un hélico tournant au-dessus… pour surveiller ?
Menotté à bord de cet avion, ce monsieur, à l’arrivée au Bourget, est attendu par trente CRS et six voitures de police, excusez du peu. Avant de monter à bord d’une d’entre elles, il est entièrement ligoté, de la tête aux pieds, comme un saucisson, et on le bâillonne. Il dit que c’était « comme une muselière ».
On l’emmène à la Police de l’air et des frontières (PAF)de Roissy où il attend pendant plus d’une heure, toujours ligoté et entravé, sans pouvoir ni s’asseoir ni se tenir debout. On lui refuse à boire et d’aller aux toilettes.
Enfin on l’emmène en voiture au pied de l’avion pour Luanda (Angola) où il est monté par l’arrière comme un paquet, toujours saucissonné. Le commandant refuse de partir avec lui. Il est redescendu de l’avion et repart à la Police de l’Air et des Frontières. On est « gentil » : on lui désentrave les jambes et on lui enlève son bâillon, mais il est toujours ligoté à partir des genoux.
Après de multiples coups de téléphone, les policiers le remettent dans la voiture et le ramènent à l’avion. Le commandant refuse de faire rouvrir les portes. Il repart à la PAF et là, les policiers ne savent plus quoi faire… On le désentrave.
Il est quatre heures du matin, il est fatigué. Il n’a pas d’endroit pour se reposer et on lui dit que les locaux ne sont pas faits pour ça.
À cinq heures du matin, il est transféré au centre de rétention de Bobigny.
Le matin, je m’inquiète de voir qu’il n’est pas sur les listes des comparutions immédiates pour les refus d’embarquement. Le Parquet me confirme qu’il n’est pas déféré. Je vais alors au centre de rétention à Bobigny où je rencontre un homme épuisé, très nerveux, apeuré.
À la fin de l’entretien, au moment où nous nous séparons, il est emmené de force et je comprends qu’on va tenter de l’expulser. Je ne peux rien faire : il disparaît derrière une porte et les policiers ne sont au courant de rien. Je me trompe de porte en repartant et reviens sur mes pas pour voir qu’effectivement on lui a remis son paquetage.
Sa femme attend en bas pour le voir. Elle ne le verra pas. Les policiers expliquent qu’il prendra un avion au Bourget à 17 heures 30 pour destination inconnue. Les recoupements sont vite faits : il n’y a pas de vols de Paris pour Luanda aujourd’hui, mais de Lisbonne ou Francfort.
On organise en urgence une conférence de presse à 16 heures 30 avec une bonne couverture médiatique, et on attend.
Enfin, à 22 heures, on apprend qu’il sera libéré ; l’avion parti pour le Portugal n’ayant pas eu l’autorisation d’atterrir. Il est revenu à Bobigny et a été libéré du centre de rétention vers minuit. Dans l’avion qui l’emmenait vers Lisbonne il était accompagné de quatre policiers et attaché sur son siège Communiqué laconique de la préfecture du Rhône indiquant qu'en raison de l'impossibilité d'exécuter la mesure, il le remettait en liberté.
Résumons : déploiements de police incroyables, deux avions spéciaux, un aller et retour pour rien vers Lisbonne… Mais, surtout, des mauvais traitements, des traitements inhumains et dégradants.
On est épuisés, heureux qu’il s’en soit sorti, mais dégoûtés de ces méthodes indignes. Merci aux formidables mobilisations des militants, et des élus.
C’est nous qui aurons le dernier mot !
Dominique Noguères
Mémorial 98