Portraits des victimes des néo-nazis de la NSU
C’est une mort qui pourrait arranger beaucoup de monde, y compris des gens aux intentions peu louables.
Les deux néonazis et probables assassins multiples, Uwe Mundlos et Uwe Böhnhardt, âgés de 34 et 38 ans, ne sont plus de ce monde : ils sont morts d’une balle dans la tête, le 04 novembre 2011 à Eisenach, en ex-Allemagne de l’Est. Leurs corps calcinés ont été trouvés dans un camping-car ravagé par le feu, stationné dans cette ville de la région de Thuringe. Les deux Uwe seraient responsables, d’après les premiers éléments d’une enquête policière qui s’annonce longue, d’au moins une dizaine d’assassinats de petits commerçants d’origine immigrée, turcs dans leur grande majorité; une personne grecque y figure également. Ces crimes ont été commis entre 2000 et 2006 dans différentes villes d’Allemagne.
Depuis ce jour-là, les révélations sur les actions meurtrières du groupe auquel auraient appartenu les deux défunts, appelé « Nationalsozialistischer Untergrund » (NSU, « Clandestinité national-socialiste » ou « Maquis national-socialiste »), ne cessent plus. Tout comme les révélations sur la couverture que leur auraient procuré des autorités policières allemandes. En effet, les probables assassins avaient vécu dans la clandestinité depuis 1998, pendant pas moins de treize années. Ceci en ne quittant quasiment jamais la région, en tout cas pas pour longtemps. Or, pendant cette durée, ils disposaient de vrai-faux passeports délivrés (sous un autre nom) par des autorités de la région, leur permettant de se déplacer à l’étranger, entre autres en Hongrie et en Bulgarie.
Pire, des fonctionnaires de la police et surtout de l’ « Office de protection de la constitution » (VfS, l’équivalent allemand des Renseignements généraux) de la région aurait été au courant des lieux où ils séjournaient. C’est ce qui ressort des révélations successives de la presse allemande depuis le 10 novembre dernier. Ainsi leur arrestation aurait été empêchée en 1998 par le VfS régional, alors qu’ils venaient de commettre un premier méfait, une tentative d’attentat à l’explosif contre un théâtre.
L’opinion publique, d’abord incrédule a appris, entre autres énormités, que ce même office de renseignement avait financé le groupe dans les rangs duquel les deux néonazis avaient d’abord milité dans les années 1990. Il s’agit du mouvement « Thüringer Heimatschutz » (« Protection de la patrie de Thuringe »), fort de 170 activistes prêts à la violence. Son ancien chef, Tino Brandt, aurait reçu pas moins de 200.000 deutschemark, l’équivalent de 100.000 euros, au nom de services qu’il aurait fournis en matière de renseignement. Or, se comportant plutôt en agent des nazis chez les policiers que l’inverse, Brandt aurait intégralement investi ces sommes dans ses activités d’extrême droite.
La version livrée par les autorités allemandes explique que les deux néonazis se seraient suicidés ou tués mutuellement, le 04 novembre, car leur cache venait d’être découverte par un policier en faction attendant des renforts. Juste avant, les deux hommes auraient effectué un énième hold-up dans une banque, mais cette fois-ci ils auraient fini par êtres découverts dans leur planque après avoir pris la fuite.
A peu près au même moment, à 180 kilomètres de là, à Zwickau – ville également située dans le sud de l’ex-RDA -, un appartement explosa. C’est une complice des deux néonazis, Beate Zschäpe, âgée de 36 ans, qui l’aurait fait sauter. Jusque-là, le « trio » avait vécu ensemble dans l’appartement, situé dans une zone d’habitation plutôt huppée. Sur place, les trois (Uwe Böhnhardt, Uwe Mundlos et Beate Zschäpe) avaient mené une vie en apparence normale, sous de faux noms, veillant à ne pas se faire remarquer. En même temps, les deux hommes avaient sillonné l’Allemagne dans des camping-cars, semant la mort dans plusieurs villes : Rostock, Nuremberg, Munich, Dortmund. Autour d’eux, un réseau comprenant au moins plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de personnes les aidaient en leur prêtant des passeports et en fournissant de l’argent, des appartements, des couvertures. Quatre personnes ont été arrêtées entre-temps, d’autres mises en examen.Les assassins néonazis n’étaient donc pas socialement isolés.
Entre eux existaient des différences flagrantes d’origine sociale : Uwe Mundlos était un fils de professeur d’université, lettré, passant pour quelqu’un de cultivé, issu d’un milieu favorisé, son complice Böhnhardt menait une existence sociale précaire. Ce dernier ne travaillait que par intermittence, en tant qu’ouvrier intérimaire. Une composition du « noyau dur » du groupe qui reflète le caractère hétérogène de la mouvance d’extrême droite, surtout en ex-Allemagne de l’Est. Celle-ci y exerce une sorte d’hégémonie culturelle, dans une partie non négligeable de la jeunesse masculine, au moins dans de nombreuses petites et certaines moyennes villes. Cette influence s’explique en partie par le discrédit d’un discours de gauche - identifié à l’ancien régime de la RDA -, la perte de repères et de perspectives sociales après la réunification. Il passe aussi par des concerts, des bars tenus par des néonazis, des styles vestimentaires partagés. Ainsi une grande auberge gastronomique, le « Gasthof zur Bergbahn », située à Oberweissbach en Thuringe passe aux yeux des enquêteurs comme l’un des centres de la logistique entourant le groupe clandestin NSU. Jusqu’à 150 néonazis et partisans d’extrême droite s’y étaient régulièrement réunis.
Selon ce qui a été révélé par les autorités jusqu’ici, la mort des deux hommes et l’explosion de l’appartement auraient obéi à un plan préalablement établi par les néonazis. En cas de découverte, il fallait se suicider et effacer toutes les traces. Or, ce n’est pas exactement ce qui fit Beate Zschäpe, puisqu’après l’explosion de l’appartement elle se rendit aux autorités. Depuis, elle se trouve en détention, mais garde le silence, tentant d’obtenir une remise de peine en échange d’un rôle de témoin de l’accusation face aux autres personnes arrêtées après elle.
La version des autorités est remise en cause de différents côtés, que ce soit de la part des amateurs de théories du complot, mais aussi de façon plus sérieuse –par des militants antifascistes. En effet, les contradictions abondent. Ainsi, les enquêteurs prétendent que les autorités n’étaient pas au courant du fait que c’était le même groupe – le NSU – qui avait commis les différents assassinats d’immigrés commis tout au long des années 2000 à 2006. C’est la découverte de l’arme du crime qui leur aurait permis d’y voir enfin clair, pour la première fois. Jusqu’ici, au sein de la police, la piste de crimes commis « entre immigrés » (par la mafia, par des Kurdes ciblant des Turcs, …) avait été privilégiée. Par ailleurs, l’assassinat d’une policière – Michèle Kiesewetter – commis à Heilbronn en Allemagne du Sud, en 2006, serait également à mettre sur le compte de ce groupe, pour des motifs encore obscurs. Dans ce cas aussi les autorités l’auraient ignoré jusqu’à la découverte de l’arme du crime, commune à tous ces assassinats. Or, selon d’autres informations de la presse, les différentes armes trouvées dans l’appartement étaient totalement déformées par l’explosion et ensuite par le feu, rendant difficile toute identification, alors que l’information sur l’utilisation de cette arme avait été donnée immédiatement. La « découverte » du point commun des crimes à travers l'arme semble donc mensongère
Par ailleurs, l’hebdomadaire « Der Stern » mentionne un rapport des services états-uniens qui, au moment de l’assassinat de la policière en 2006, menaient une opération de filature d’islamistes radicaux dans la même ville. Ils auraient d’ailleurs été obligés de mettre fin à leur opération en raison de ce meurtre, puisque des enquêteurs de police se rendaient massivement sur place. Ce rapport mentionne dès 2006 que les assassins de la policière étaient « d’extrême droite ». Or, les autorités allemandes prétendent qu’elles viennent seulement de découvrir cette piste, en novembre 2011.
Ainsi, des militants antifascistes, tels que Wolf Wetzel, membre de la « Coordination anti-nazie » de Francfort, analysent que les assassins du NSU auraient plutôt pu êtres liquidés par leurs commanditaires ou par des anciens protecteurs. Peut-être en savaient-ils trop, ou étaient-ils devenus encombrants. Pour couvrir ce fait , suppose ainsi Wolf Wetzel, des informations qui se trouvaient déjà dans les dossiers depuis longtemps auraient été rendues publiques.
Au-delà du périmètre des activités du groupe NSU, des liens avec le parti néonazi NPD semblent être attestés. En témoignent des interpellations de complices du groupe clandestin, et notamment celle du militant Ralf Wohlleben - ancien chargé des relations avec la presse du NPD en Thuringe. Il a été arrêté le 29 novembre 2011 pour avoir procuré une arme et des munitions aux membres du NSU. Il apparaît que le groupe entretenaient également des liens avec le réseau international néo-nazi « Blood and Honour ». Au-delà de ces liaisons, c’est la question du rôle exact des autorités qui est Posée. La députée régionale du parti Die Linke (équivalent allemand du « Front de gauche ») en Saxe, région voisine de la Thuringe, Kerstin Köditz, a ainsi déclaré : « De la part des services VfS en Thuringe et en Saxe, je m’attends à beaucoup de choses. Mais uniquement à des choses négatives.»
On constate une fois de plus que des fascistes ou néonazis avérés travaillent, en tant qu’ ’’ agents doubles », à la fois pour les services de police et pour l’extrême droite. Ce n’est d’ailleurs pas nécessairement contradictoire dans leur esprit, puisqu’ils ne se vivent pas comme des « traîtres » travaillant contre leur camp idéologique. Au contraire, l’existence de réseaux d’extrême droite au sein de la police tout autant que la fascination de l’uniforme a toujours pu contribuer à ce qu’ils se reconnaissent dans ces deux facettes de leur activité. Cette intrication est d’autant moins étonnante qu’en Allemagne fédérale d’après-guerre la police et l’armée ont été construites en bonne partie par d’anciens nazis. Le parti NPD, principale formation de l’extrême droite activiste en Allemagne, entretient depuis des décennies un département rattaché à sa direction, qui s’occupe des « agents doubles» dans ses rangs. C’est ce département qui détermine quelles informations ils sont amenés à fournir aux appareils de police et de renseignement.
En 2003, une procédure engagée par le gouvernement fédéral et visant à faire interdire le NPD échoua justement en raison de la très forte présente policière dans ses rangs. La Cour constitutionnelle estima que les services de renseignement ne pouvaient pas être à la fois juges et parties et que l’Etat ne saurait demander l’interdiction d’un parti qu’il avait infiltré à ce point. Le risque étant, au plan juridique, qu’il pouvait pousser un parti politique à la faute par l’action de ses « agents provocateurs ». La réalité est, cependant, souvent différente : il s’agit bel et bien d’agents doubles conscients, s’affirmant en tant que tels, qui travaillent aussi bien pour l’extrême droite par conviction que pour les services de renseignement.
L’affaire n’en est qu’à ses débuts ; les antifascistes d’Allemagne se mobilisent pour mettre à jour les manipulations de l'appareil policier. Celui-ci vient de faire la preuve de son incapacité ou de son refus à combattre la violence meurtrière de l’extrême-droite.
Bernard Schmid pour MEMORIAL 98
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