Le candidat de l'UMP est engagé dans une entreprise de réhabilitation de la droite "décomplexée" et de ses valeurs . Il butte sans cesse sur la colonisation et sur la collaboration d'une grande partie de la droite avec la nazisme à travers le régime de Vichy (voir notre article précédent. Sarkozy jette aux orties la reconnaissance de la participation de la France à la Shoah)
Dans sa recherche de légitimité gaulliste, Sarkozy a été se faire adouber le 1er mars dernier par Maurice Druon. On a surtout retenu de cette épisode la complaisance des journalistes qui ont réjoui Sarkozy et Druon en entonnant le "chant des Partisans" auquel Druon a contribué. Du coup personne ou presque n'a relevé que Druon a témoigné en faveur de Papon lors du procés de ce dernier en 1997. L'académicien ultra-réactionnaire avait scandalisé lors de l'audience en dénonçant la passivité des Juifs déportés (voir ci-dessous le compte rendu de son témoignage par le journal Sud-Ouest ); il avait aussi mis en cause les parties civiles du procès les accusant d'être les "alliés des fils des bourreaux" parce qu'ils mettaient en cause les autorités collaborationnistes françaises de l'époque et pas exclusivement les "Allemands", selon son expression.
On retrouve une argumentation identique à celle de Druon dans le discours de Sarkozy notamment à Nice le 30 Mars:
"Je veux leur dire qu'ils auront à choisir entre ceux qui assument toute l'Histoire de France et les adeptes de la repentance qui veulent ressusciter les haines du passé en exigeant des fils qu'ils expient les fautes supposées de leur père et de leurs aïeux.
Je suis de ceux qui pensent que la France n'a pas à rougir de son histoire. Elle n'a pas commis de génocide. Elle n'a pas inventé la solution finale. Elle a inventé les droits de l'Homme et elle est le pays du monde qui s'est le plus battu pour la liberté."
Druon a déclaré le 1er mars que Sarkozy faisait partie de sa "descendance" politique; en effet !
Le procès Papon s'est terminé en Avril 1998 et c'est au même moment que la droite a passé des accords avec le Front national dans 5 régions pour diriger ensemble ces institutions. Raffarin et Longuet, dirigeants de la campagne de Sarkozy ont à l'époque crée le parti " Démocratie Libérale" pour soutenir ces accords. Gaudin, vice-président de l'UMP avait déjà dirigé avec le FN dans sa région...Ils ne sont jamais revenus sur ces forfaitures
Le témoin suivant est Maurice Druon, 79 ans, Secrétaire perpétuel de l'Académie Française, ancien ministre, ancien député et parlementaire européen, ancien engagé des Forces Françaises Libre.
Il avance, la canne sur le bras, et dépose longuement, comme un discours à l'Académie. Il rappelle d'abord que le jury d'honneur a reconnu les actes de résistance de Maurice Papon et ne tait pas une certaine ironie : « Je me demande si les membres du jury d'honneur et les témoins qui ont été entendus étaient des débiles mentaux, oublieux ou complaisants ! ».
Il se livre ensuite à un véritable plaidoyer en faveur de l'accusé et surtout à une virulente critique du procès qui lui est fait : « Comment le juger devant un jury populaire lorsque un jury de 35 millions de personnes a élu par deux fois un homme décoré de la Francisque et médaillé de la Résistance ? ». Le nom de François Mitterrand n'est jamais prononcé.
«Un français symbolique»
Maurice Druon précise qu'il n'a aucun lien particulier avec Maurice Papon qu'il a rencontré lorsqu'il était parlementaire et ministre mais témoigne de « rapports courtois, cordiaux, sans effusion. Il m'a toujours paru un homme très intelligent, très vif, efficace, froid et toujours patriote ».
Pendant la guerre, Maurice Druon était à Londres. Il affirme qu'avant le printemps 1945, on ne connaissait pas la solution finale :
« si on avait su, il n'y aurait pas eu de préfets et de sous-préfets pour signer les ordres de déportation, il y aurait eu moins de Juifs passifs, attendant qu'on vienne les arrêter, cousant leur étoile jaune sur leur vêtement, ils ne seraient pas restés là à attendre comme des groggys offerts aux sacrificateurs ». Un brouhaha monte dans la salle.
Maurice Druon refuse que l'on refasse le procès de Vichy : « Il a été fait à la Libération. On pensait alors que le chapitre noir était fermé et qu'il n'aurait pas à être rouvert sinon dans les livres d'histoire. Si on veut rechercher des coupables, en Allemagne, il y a assez d'anciens SS, de gestapistes à traduire devant la justice comme des lois européens le permettent ». Il assure, en effet, que ce procès profitera seulement à l'Allemagne : « Si l'on se met à condamner un français symbolique, il leur sera facile de dire : on est tous pareils, les Français sont aussi moches que nous, il y aura une dissolution de la responsabilité , de la culpabilité, c'est pour celà que je suis venu devant vous ». Il ajoute :
« Il y a un paradoxe de voir les fils des victimes devenir les alliés objectifs des fils des bourreaux ».
Un murmure d'indignation ponctue son propos. Me Jacob, de sa voix éraillée, n'accepte pas qu'en fils de résistant juif, on en fasse un complice des bourreaux.
Maurice Papon qui tient toujours sa tête posée sur sa main gauche a la parole en dernier. Sa voix est faible :
« J'observe toujours une dérive pour engager le procès du général De Gaulle. Je partage la véhémence de Maurice Druon, je me sens en bonne compagnie ».
MEMORIAL 98