Les nazis attendaient une occasion pour lancer une étape supplémentaire de ce qui deviendra, selon leur terminologie, la « solution finale du problème juif en Europe ». Le premier acte sera un vaste pogrom dans tous les territoires sous domination allemande, destiné à terroriser les populations juives et à les forcer à quitter l'Allemagne
L'attentat contre Von Rath leur offre un prétexte idéal.
Herschel Grynzspan était un jeune Juif polonais qui, le 7 novembre 1938, dans un geste de protestation contre le sort des Juifs en Allemagne et l'expulsion de milliers d'entre eux vers la Pologne, avait abattu à Paris le conseiller d'ambassade Von Rath.
Hitler prépare alors une mise en scène destinée à démontrer que les Allemands du Grand Reich sont menacés par les Juifs. Le Volkischer Beobatcher, journal de propagande de Goebbels, écrit ainsi le 8 novembre, alors que Von Rath est encore vivant :
"Il est clair que le peuple allemand tirera les conclusions de cette nouvelle action. On ne peut plus tolérer que des centaines de Juifs règnent encore à l'intérieur de nos frontières sur des rues entières de magasins, qu'ils peuplent nos lieux de distractions, que des propriétaires étrangers empochent l'argent des locataires allemands tandis que leurs frères de race incitent au-dehors à la guerre contre l'Allemagne et tuent des fonctionnaires allemands"
Parallèlement, dès le 8 novembre, les nazis prennent la précaution de confisquer chez les juifs les armes et tout objet que ceux-ci pourraient utiliser pour se défendre.
Lorsque Von Rath décède le 9 novembre, tout est en place.
Au moment où la nouvelle parvient à Hitler, ce dernier est à Munich, avec la vieille garde des SA, réunie pour commémorer sa tentative de putsch de 1923. Contrairement aux habitudes, Hitler quitte l'assemblée sans prononcer de discours et déclare seulement :
"Il faut laisser le champ libre aux SA"
C'est Goebbels, ministre de la Propagande qui se charge non seulement d'annoncer publiquement le décès devant l'assemblée des SA mais également d'inciter au pogrom.
Les principaux chefs nazis quittent ensuite la réunion à 23 heures et téléphonent les instructions à leurs sections régionales.
Pour les SA, il s'agit d'incendier les synagogues, sans autoriser les pompiers à intervenir, sinon pour empêcher la propagation du feu sur les maisons alentour, de détruire les magasins juifs, et d' y apposer des pancartes "Mort à la juiverie internationale", d'abattre les juifs trouvés en possession d'une arme.
Dans le même temps, un message secret est diffusé dès 23 h 55 depuis la direction de la Gestapo à Berlin à tous ses services.
Pour la Gestapo, il s'agit d'incendier les synagogues, mais d'empêcher les pillages, de mettre en lieu sûr les archives importantes trouvées dans les synagogues, de préparer l'arrestation de 20 à 30 000 juifs parmi les plus fortunés, de traiter avec une extrême rigueur les juifs trouvés avec des armes.
Dans son Journal, Goebbels confirme qu'il présente les faits à Hitler; ce dernier décide de laisser les manifestations se poursuivre et donc de faire retirer la police.
Goebbels commente : « Les juifs doivent sentir pour une fois la colère du peuple. »
Goebbels décrit ensuite précisément son action, il donne des ordres, motive les indécis. Il est ovationné par les dirigeants du parti. Tous se précipitent sur leurs téléphones. Le bataillon des SA « Hitler » part attaquer les Juifs de Munich.
Selon les directives de Goebbels, la seule réserve est de ne pas apparaître en tant qu'organisation. Aussi, les SA et les SS s'habillent en civil et passent à l'acte dès 1 heure de matin.
Du nord au sud de l'Allemagne, incluant l'Autriche annexée, synagogues, maisons communautaires, asiles de vieillards, hôpitaux juifs, maisons d'enfants, logements privés et magasins juifs subissent l'assaut.
Les synagogues sont pillées, saccagées, détruites, incendiées, sans que les pompiers n'interviennent, se contentant d'empêcher la propagation des incendies aux maisons alentour. Des groupes de SA attaquent les magasins juifs qui sont facilement reconnaissables, depuis qu'une ordonnance a exigé que le nom du propriétaire soit peint sur la vitrine en grandes lettres.
La teneur des messages des chefs des SA et de celui de la Gestapo, corrobore l'idée de l'existence d'un plan d'ensemble dont l'instigateur est Hitler.
D'ailleurs le silence officiel d'Hitler ainsi que de Goebbels lors des événements du 7 et 8 novembre confirme cette thèse. Dans son journal, Goebbels écrit à propos de l'attentat, lorsqu'il relate la journée du 8 novembre : « A Paris, un juif polonais du nom de Grynzspan a tiré dans l'ambassade sur un diplomate allemand Von Rath, le blessant grièvement. Il voulait venger les Juifs. La presse allemande jette maintenant des hauts cris. Nous allons mettre les points sur les i... En Hesse, grandes manifestations antisémites. On brûle des synagogues. Si seulement on pouvait déchaîner la colère du peuple ».
Les conséquences
En Allemagne, 2 000 à 2 500 personnes ont trouvé la mort lors du pogrom ou dans les camps de concentration. Lorsque trois mois plus tard, certains sont libérés, c'est à la condition d'émigrer immédiatement. Rendus responsables du pogrom les juifs d'Allemagne devront verser une amende d'un milliard de marks, et devront payer eux-mêmes les réparations sans bénéficier de l'aide financière de leurs assurances à titre d'indemnisation. Des milliers de juifs d'Allemagne, privés de tous leurs biens, tentent de traverser clandestinement les frontières et d'obtenir le statut de réfugié politique.
En France
Lors de la conférence internationale d'Évian de juillet 1938 sur les réfugiés, qui a abouti à un échec, le gouvernement français a exposé sa position : la France ne veut plus accueillir de réfugiés. Par ailleurs, lors des accords de Munich, la France a cédé aux exigences allemandes. Les Sudètes sont annexées, la paix est « sauvée ». La France tourne le dos ouvertement à ses principes de pays de droits de l'homme, car le gouvernement recherche à tout prix l'apaisement avec son voisin allemand, à travers notamment des négociations secrètes menées par Georges Bonnet, ministre des affaires étrangères depuis le 10 avril 1938. Bonnet ne veut pas que les évènements de la Nuit de Cristal compromettent sa politique. Il choisit d'ignorer le rapport de George Von nouvel ambassadeur de France à Berlin qui lui écrit : "Le traitement infligé aux juifs en Allemagne que les nazis tentent d'extirper complètement comme des bêtes malveillantes éclaire la grande distance qui sépare la conception hitlérienne du monde du patrimoine spirituel des nations démocratiques". Bonnet sera ensuite pétainiste, membre du Conseil national de Vichy.
La France est ainsi la seule grande démocratie à ne pas dénoncer officiellement les massacres perpétrés dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938.
De plus, le 12 novembre 1938, deux jours après la Nuit de Cristal une loi autorise l'internement des indésirables dans des camps de concentration. Les réfugiés juifs allemands et autrichiens entrés illégalement en France sont désormais directement menacés et seront internés puis livrés.
L'hommage de Trotsky à Herschel Grynzspan (extraits) :
« Nous, marxistes, considérons la tactique du terrorisme individuel comme inopérante pour les tâches de la lutte libératrice du prolétariat ou des peuples opprimés. Un seul héros isolé ne peut pas remplacer les masses. Cependant nous ne comprenons que trop bien le caractère inévitable de ces actes convulsifs de désespoir et de vengeance. Toutes nos émotions, toute notre sympathie vont aux vengeurs qui se sacrifient, même s'ils n'ont pas trouvé la voie juste. Notre sympathie est d'autant plus grande que Grynzspan n'est pas un militant politique, mais un jeune, inexpérimenté, presque un enfant, dont le sentiment d'indignation a été l'unique conseiller.
Arracher Grynzspan des mains de la justice capitaliste, laquelle est capable de le décapiter pour mieux servir la diplomatie capitaliste, c'est le devoir élémentaire, immédiat de la classe ouvrière internationale.
Ce qui est le plus révoltant dans sa stupidité policière et sa bassesse inouïe, c'est la campagne actuellement menée sur ordre du Kremlin dans la presse stalinienne internationale. On essaie de le dépeindre comme un agent des nazis ou un agent des trotskystes liés aux nazis Fourrant dans le même sac le provocateur et sa victime, les staliniens prêtent à Grynzspan l'intention de créer un prétexte favorable à la politique pogromiste de Hitler.
Nous sommes naturellement liés par les liens d'une solidarité morale ouverte à Grynzspan et non à ses geôliers " démocratiques " ou aux calomniateurs staliniens. La diplomatie du Kremlin, complètement dégénérée, essaie en même temps d'utiliser cet " heureux " incident pour renouer ses intrigues en vue d'un accord de réciprocité international entre les divers gouvernements, y compris ceux de Hitler et de Mussolini, pour l'extradition mutuelle des terroristes
Ils deviennent rares les gens qui soient même capables de s'indigner contre l'injustice et la bestialité. Mais ceux qui, comme Grynzspan, sont capables d'agir...
Du point de vue moral - et non pour ses méthodes d'action - Grynzspan peut servir d'exemple à tout jeune révolutionnaire. Notre solidarité morale avec Grynzspan nous donne doublement le droit de dire à tous les Grynzspan possibles, à tous ceux qui sont capables de se sacrifier dans la lutte contre le despotisme et la bestialité : Trouvez une autre voie ! Ce n'est pas un vengeur isolé qui peut libérer les opprimés, mais seulement un grand mouvement révolutionnaire des masses, qui ne laissera rien subsister du système de l'exploitation de classe, de l'oppression nationale et de la persécution raciale...
Trotsky, 30 janvier 1939
MEMORIAL 98