Depuis la rédaction de cette tribune, son contenu a été abondamment illustré et validé par la découverte de dizaines de candidat-es du RN ayant publié des propos antisémites, négationnistes, racistes et homophobes.
Il soutient en réalité au moins 106 aspirants députés aux propos scandaleux ( voir leur portrait collectif publié par Mediapart ci-dessous), comme l'ont établi les enquêtes de différents médias.
L’exemple qui a le plus marqué les esprits est celui de Ludivine Daoudi, candidate RN dans le Calvados, désinvestie après la publication de la photo sur laquelle elle porte une casquette nazie. Mais tous les autres restent investis.
Texte de la tribune: Après son score historique lors des élections européennes et l’horizon des élections législatives du 30 juin et 7 juillet, le Rassemblement national (RN) représente un danger immédiat.
C’est un ennemi mortel de nos libertés et de la démocratie, qui utilise le racisme comme instrument de propagande.
Dans ce cadre de division et de haine organisée, le RN prétend être au premier rang du combat contre l’antisémitisme. Depuis le début des années 2000, sa stratégie de dédiabolisation a fait de la dissimulation de l’antisémitisme la clé de voûte de sa course au pouvoir. Ainsi le 12 novembre 2023, Marine Le Pen et Jordan Bardella défilaient à la marche contre l’antisémitisme et se plaçaient en protecteurs des juifs. Nous ne sommes pas dupes.
L’antisémitisme est consubstantiel au RN, à son histoire comme à sa matrice idéologique. Il continue de façonner la vision du monde qu’il déploie et il suinte régulièrement des propos de ses cadres et ses militants, comme l’a montré une enquête récente de Libération sur les candidats aux élections législatives. Selon le rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) de 2022, l’électorat du RN est celui dans lequel les préjugés antisémites sont les plus répandus.
Jordan Bardella avait déclaré dans l’émission « Le Grand Jury », sur RTL, le 27 mars 2022, qu’en cas de victoire de Marine Le Pen, les viandes casher et halal seraient interdites, alors que la menace d’une interdiction du voile et de la kippa dans l’espace public continue de planer dans les déclarations du RN, ce qui souligne la matérialité du danger pour les juifs et les musulmans que représenterait son arrivée au gouvernement.
Imposture
Ces tentatives de l’extrême droite de se faire passer pour des soutiens des juifs sont une imposture qui se mesure tant par les positions des membres du RN que par ses références et son programme politique. Cette utilisation de la lutte contre l’antisémitisme n’a pas d’autre objectif que de s’attaquer aux musulmans et aux étrangers. Les juifs servent de prétexte pour continuer de distiller la haine de l’autre et trouver des boucs émissaires.
Lorsqu’un parti xénophobe et raciste tel que le RN prétend s’emparer d’un thème antiraciste, c’est évidemment pour le vider de sa substance. Nous refusons cette manipulation conduite par un parti qui place la préférence nationale au cœur de son programme et de son action. Nous refusons la mise en concurrence des minorités et de leurs mémoires traumatiques, celle de la Shoah, celle de l’esclavage, celle de la colonisation, qui n’a d’autre but que celui de conduire ces communautés à se considérer comme ennemies.
Le Front national, prédécesseur du RN, est un parti fondé en 1972 à l’initiative d’Ordre nouveau, groupuscule fasciste, ensuite animé par Jean-Marie Le Pen, multicondamné pour antisémitisme et contestation de crimes contre l’humanité, et par Pierre Bousquet, ancien officier Waffen SS.
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Le RN n’a jamais rompu avec cet héritage politique. Marine Le Pen déclarait encore, le 23 novembre 2023, « tout assumer » de l’histoire de son parti. Elle assumait ainsi le négationnisme et l’antisémitisme, qui restent largement répandus dans les rangs du RN et dans son électorat.
C’est toute l’idéologie déployée par le RN qui développe une vision complotiste et antisémite. En 2020, Nicolas Bay, eurodéputé et alors membre de la direction du RN, proposait que la France quitte la Cour européenne des droits de l’homme car celle-ci serait « guidée par George Soros et son agenda visant à imposer une société ouverte ». Philanthrope juif d’origine hongroise, M. Soros a créé en 1984 le réseau Open Society Foundations, qui est un important donateur d’ONG de défense des droits, notamment de ceux des migrants et des réfugiés.
Faire front commun
George Soros est désigné par l’extrême droite et la sphère complotiste qui lui est attachée comme le nouveau dirigeant d’un prétendu complot juif qui aurait infiltré les institutions de pouvoir pour promouvoir les intérêts d’une « élite mondialisée », désignant explicitement les juifs. On ne dénonce plus les « youpins » mais les « cosmopolites ». On ne parle plus de « juiverie internationale » mais de « finance internationale ». Les termes changent mais leurs significations sont connues de tous et permettent de s’attaquer aux juifs en toute légalité.
George Soros est également accusé de financer le « wokisme » et le « lobby LGBT » dans le but de détruire la famille hétérosexuelle traditionnelle. En France, la Manif pour tous, a ainsi constitué un moment crucial d’articulation entre antisémitisme, antiféminisme et LGBTphobie. A chaque mouvement dans lequel l’extrême droite s’infiltre et participe, comme le mouvement des « gilets jaunes » ou les manifestations contre le passe sanitaire, on constate une recrudescence des propos et actes antisémites, montrant ainsi les répercussions immédiates de l’idéologie portée par le RN à l’encontre des juifs de France.
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Au niveau européen, les positions des alliés politiques du RN révèlent également l’orientation idéologique profonde de ce parti. Ainsi, le FPÖ en Autriche multiplie les déclarations nostalgiques du IIIe Reich. Viktor Orban réhabilite Miklos Horthy, le « Pétain hongrois », qui a fait passer des lois antisémites et s’est allié avec l’Allemagne nazie. Son régime envoya 100 000 hommes aux travaux forcés. Près de 40 000 d’entre eux y trouvèrent la mort.
Marine Le Pen est également considérée comme proche de Vladimir Poutine. Celui-ci verse dans le révisionnisme de l’histoire nazie et stalinienne pour justifier l’invasion de l’Ukraine, dont le président serait, à ses dires, celui que « les Etats occidentaux ont placé, un juif ethnique, avec des racines juives, avec des ancêtres juifs, à la tête de l’Ukraine moderne ».
L’extrême droite constitue un danger mortel pour la démocratie, elle doit être combattue sans relâche. Plus que jamais, nous appelons la gauche et tous les antiracistes à faire front commun contre le racisme et l’antisémitisme.
Signataires : Laura Cohen, membre du collectif Juifs et Juives révolutionnaires (JJR) ; Nessi Gerson, membre du mouvement des juifs et juives de gauche contre l’antisémitisme Golem ; Julie Haouzi, membre de Golem ; Albert Herszkowicz, membre du Réseau d’actions contre l’antisémitisme et tous les racismes (RAAR) ; Martine Leibovici, membre du RAAR ; Lorenzo Leschi, membre de Golem ; Frédérique Reibell, membre du RAAR ; Emmanuel Sanders, membre du JJR ; Alice Timsit, membre de Golem ; Miléna Yesnou, membre du RAAR
MEMORIAL 98